Aujourd’hui entraîneur de l’équipe de Versailles en R2, Charles Itandje a ouvert le livre de sa carrière pour Foot d’Avant. Ses rêves d’enfant, ses débuts au Red Star, ses premiers pas au RC Lens, Gervais Martel, Michel Ettore, sa relation avec Guillaume Warmuz, les joueurs qui l’ont marqué en L1, ses danses sur les penalties des adversaires, le public de Bollaert, Francis Gillot, son départ en 2007, ses années difficiles à Liverpool mais également son passage avec la sélection camerounaise ou ses années en Turquie où en 2016-2017, Charles Itandje a joué pour Gaziantepspor, un club situé à une centaine de kilomètres la Syrie, ravagée par la guerre. Sans langue de bois, l’ancien gardien de but des Sang et Or vous refait revivre le foot des années 2000.

Charles Itandje, que deviens-tu depuis la fin de ta carrière de joueur de football professionnel ?
Je suis entraîneur de l’équipe de Versailles en R2. L’année prochaine, je vais passer le diplôme pour devenir entraîneur des gardiens de but. A l’avenir, j’ai envie d’entraîner les gardiens dans une équipe professionnelle.

Aujourd’hui, est-ce que le football professionnel te manque ?
Oui. Aujourd’hui, je suis en amateur et il y a quand même un décalage. Notamment par rapport à la rigueur, la discipline et au niveau.

Revenons à tes débuts. Quels étaient tes rêves quand tu étais enfant ?
J’ai d’abord été bercé par l’OM de Chris Waddle ou Jean-Pierre Papin. Mais le club que j’ai toujours aimé, et qui m’a donné envie de devenir professionnel, c’est le PSG. Je suis tombé amoureux du poste de gardien de but en voyant Bernard Lama. Je rêvais d’être Bernard Lama. J’aimais sa détente, son charisme, son élégance. J’essayais de le reproduire en me disant que je jouerais moi aussi un jour à ce niveau-là. Si j’ai joué au foot, c’est grâce et à cause de Bernard Lama. Je ne voulais pas faire autre chose dans ma vie.

Est-ce que tu as pu rencontrer personnellement Bernard Lama au cours de ta carrière ?
Une fois au Parc des Princes, je m’étais blessé aux doigts. J’avais fini le match avec les doigts attachés. Lens avait gagné ce soir-là. Une fois de retour dans le vestiaire, je l’ai vu. (Il s’exclame) Oh la vache. Ce jour-là, j’ai changé de couleur. Ça m’a fait quelque chose quand on a échangé pendant deux-trois minutes. En 2016/2017, je l’ai aussi eu au téléphone lorsque je jouais en Turquie.

Comment es-tu arrivé au Red Star ?
Avant d’arriver au Red Star, j’ai arrêté le foot pendant un an parce que j’avais eu un problème avec un parent de joueur aux Lilas. Je me suis mis à la boxe thaïlandaise. Heureusement, Yves-Henri Gergaud est venu me chercher. On habitait dans le même quartier. « Il ne faut pas que tu lâches. Reste concentré sur le football », m’a-t-il dit. Donc j’ai repris le foot et je me suis présenté à la journée de détection du Red Star en suivant ses conseils. J’ai participé à la première journée, ça s’est bien passé. Je ne me suis pas présenté à la deuxième. On m’a demandé de revenir pour la troisième journée, pour le tour final. Suite à ça, on m’a proposé de m’entraîner avec les U15. J’ai accepté. J’avais retrouvé goût au football. Et ensuite, ça s’est enchaîné. J’ai joué en National. Le lendemain de mon premier match, je me suis retrouvé à l’essai à Liverpool.

« A mon arrivée à Lens, le président m’a aussi dit une chose qui m’a marqué : « Tous les joueurs qui partent de Lens regrettent d’être partis ». Il avait totalement raison. Gervais Martel a été génial avec moi. Bienveillant. Un super président. Même si l’histoire s’est mal terminée »

Comment cela s’est déroulé exactement ?
Je suis parti une semaine à Liverpool. Le club voulait que je signe mais j’avais déjà un protocole d’accord avec le RC Lens. Comment ont-ils fait pour me repérer ? Ils ont des scouts partout. Quant à mon essai, ça s’est bien passé. J’étais dans le vestiaire du grand Liverpool qui avait réalisé le quadruplé (ndlr : en 2001 : Coupe de la Ligue, FA Cup, Ligue Europa, Supercoupe d’Europe) avec Michael Owen, Patrik Berger. J’ai été bien reçu, j’étais le benjamin de l’équipe (Charles Itandje avait 18 ans à ce moment-là). Ils ont été très bienveillants avec moi.

Quels joueurs de Liverpool t’ont marqué lors de ton essai ?
Si je dois en citer un, je dirais Emile Heskey. Il m’a dit de continuer à travailler et de m’accrocher. Ça m’avait marqué. Il faut savoir que quelques jours plus tôt, j’étais dans le 93. Il y avait quand même un sacré décalage. J’ai vécu cet essai avec beaucoup d’excitation. Aucune appréhension. A cet âge-là, je ne connaissais pas la pression.

Finalement, tu as préféré partir au RC Lens…
Tout d’abord, j’avais un protocole d’accord avec Lens. Ensuite, je voulais rester en France car je venais d’avoir un gamin. Je ne me sentais pas prêt pour partir à l’étranger. Mon rêve était de jouer en Ligue 1, pas en Premier League. J’ai grandi en regardant Téléfoot.

Comment as-tu été accueilli par Gervais Martel à ton arrivée à Lens ?
C’est Jean-Luc Lamarche qui m’a fait venir à Lens, même si je n’avais pas fait de centre de formation. Quant à Gervais Martel, il m’a souhaité la bienvenue. « Tu arrives dans un club familial et un club que tu aimeras », m’a-t-il annoncé à mon arrivée. Il m’a aussi dit une chose qui m’a marqué : « Tous les joueurs qui partent de Lens regrettent d’être partis ». Il avait totalement raison. Gervais Martel a été génial avec moi. Bienveillant. Un super président. Même si l’histoire s’est mal terminée.

Tu es arrivé dans un vestiaire avec des tauliers comme Jean-Guy Wallemme (lire son interview) ou Eric Sikora. Comment étaient-ils avec toi ?
Très bien. La chance que j’ai eue, c’est que je suis souvent arrivé dans des groupes où j’étais le plus jeune. Je sentais qu’on voulait me faire apprendre vite pour que je sois prêt. Il y avait ça à l’époque : on apprenait au contact des anciens. C’est un peu différent aujourd’hui car les joueurs jouent de plus en plus jeunes.

« Je respectais Guillaume Warmuz. Est-ce qu’il m’a pris sous son aile ? Non, pas vraiment. Je visualisais ce qu’il faisait en matches, comment il gérait les différentes situations, la façon dont il se préparait. J’ai été marqué par sa tranquillité dans les grands événements. Il dégageait une grande sécurité »

Dans une précédente interview sur Foot d’Avant, Sébastien Dallet (Lire son interview) confiait que lorsqu’il était jeune, au milieu des années 90, il devait toquer à la porte du vestiaire des pros pour avoir l’autorisation de rentrer. Est-ce que c’était pareil pour toi ?
Même si je n’ai pas fait ça, il y avait beaucoup de discipline. Il fallait filer droit. On te mettait dans des situations que tu devais résoudre. Il y avait beaucoup de respect. Je me souviens une fois, c’était la veille d’un jour férié, Lamine Sakho me dit : « Il n’y a pas d’entraînement demain, c’est le 11 Novembre ». Du coup, moi, je ne vais pas à l’entraînement le lendemain matin. Je suis au lit, mon téléphone sonne. « T’es où ?», répète Michel Ettore, l’entraîneur des gardiens. « Lamine m’a dit qu’il n’y avait pas entraînement », lui ai-je répondu (rires). « Mais t’es fou ou quoi », a-t-il répliqué. Quand je suis arrivé en retard, tout le monde était mort de rire. Je ne savais plus où me mettre. Il faut replacer la situation dans le contexte, le foot est arrivé très vite pour moi. J’ai appris les codes sur le tard.

Quels étaient tes rapports avec Guillaume Warmuz, le gardien emblématique du RC Lens dans les années 90 et au début des années 2000 ?
On avait des rapports normaux. Au début, j’étais le petit des trois gardiens derrière Guillaume Warmuz et Sébastien Chabbert. Après de là à dire qu’on se parlait tous les jours, non ce n’est pas vrai. Je respectais Guillaume Warmuz. Est-ce qu’il m’a pris sous son aile ? Non, pas vraiment. Je visualisais ce qu’il faisait en matches, comment il gérait les différentes situations, la façon dont il se préparait. J’ai été marqué par sa tranquillité dans les grands événements. Il dégageait une grande sécurité.

Tu as joué ton premier match de L1 en novembre 2002. Comment Joël Muller t’a appris ta titularisation ?
On était dans le bus à Porto. Lens venait de perdre en Ligue des Champions (3-0). Il est venu me voir : « Charles, tu vas jouer ce week-end », m’a-t-il annoncé. Je me suis dit « Ouaah » (rires).

Joël Muller a pris sa décision après les deux grosses erreurs effectuées par Guillaume Warmuz à Porto…
C’est ça. Je ne vais pas raconter ce qui s’est passé exactement au sein de l’équipe, mais on m’a annoncé que j’allais jouer. Pour mon premier match, Lens a perdu à domicile contre Guingamp (1-3).

Finalement, tu as enchaîné les matches ensuite…
Joël Muller ne me l’a pas annoncé. Je pensais que j’allais retourner sur le banc après le match de Guingamp. Je n’étais pas obnubilé par le fait de gagner ma place. Je profitais juste du moment. C’est lorsque j’ai enchaîné six-sept matches que je me suis dit que je pouvais faire quelque chose. Le déclic est intervenu lors d’un match de Coupe de France contre Toulouse. J’ai arrêté trois penalties. Ensuite, ça s’est enchaîné : les Espoirs, les interviews… Pour moi, c’était une fierté de jouer en Ligue 1.

« Pauleta est peut-être celui qui m’a causé le plus de problèmes. Il n’était pas très rapide, mais il avait un « QI d’attaquant » bien au dessus de la moyenne »

Quand tu as commencé en L1, il y avait des grands noms dans le championnat de France : Pauleta, Didier Drogba, Djibril Cissé… Quels attaquants t’ont posé le plus de problèmes ?
Le premier nom qui me vient à l’esprit, c’est Santos, l’ex-Sochalien. Il était compliqué à jouer. Il y avait aussi Sidney Govou, Mamadou Niang, Mickaël Pagis (Lire son interview). Lui, c’était un magicien. Il y avait quand même de sacré joueurs. La vache (rires). Pauleta est peut-être celui qui m’a causé le plus de problèmes. Il n’était pas très rapide, mais il avait un « QI d’attaquant » bien au dessus de la moyenne. Il y avait aussi Ludovic Giuly, Fernando Morientes. Ouah la vache (rires). Shabani Nonda… Il y avait du monde. Après à Lens, on avait aussi une équipe très, très solide. Mais au delà des joueurs, ce qui m’a marqué, ce sont nos victoires au Parc des Princes. J’ai été invaincu là-bas.

Raconte-nous l’ambiance à Bollaert de l’intérieur…
Quand on est sur le terrain, on est survolté. On sent qu’on est soutenu mais qu’il y a aussi une obligation de résultat. A l’époque, Lens était l’un des plus gros budgets du championnat. Je sentais qu’il y avait beaucoup d’attente. Je sentais aussi que les supporters étaient très proches de nous. La force de Lens, c’est son public. Même en Ligue 2, il y a encore 30 000 spectateurs. C’est incroyable.

Sur penalty, tu improvisais des danses pour déconcentrer tes adversaires. Comment cette idée t’es venue ?
En fait, tout est parti d’une discussion avec Nicolas Gillet (Lire son interview). Un jour, il m’a fait remarquer que j’avais réussi à le déconcentrer la saison précédente en détournant son penalty lorsqu’il portait les couleurs de Nantes. « Ce n’était pas volontaire, j’avais juste froid car je n’avais pas touché le ballon pendant 70 minutes », lui ai-je répondu. Ce n’était absolument pas voulu. La semaine d’après, on joue contre Rennes. C’est Frédéric Piquionne qui tire, je refais la même chose et j’arrête le penalty. A l’époque, mon entraîneur des gardiens me répétait de ne pas perdre ma fraîcheur. Il ne voulait pas que je rentre dans un moule. Moi, je ne comprenais. Mais plus ma carrière avançait et plus je me rendais compte de la portée de ses propos. Michel Ettore est une belle personne. Un être humain extraordinaire.

Lors de ta dernière saison à Lens, Francis Gillot officiait sur le banc (de 2005 à 2007). Quels étaient tes rapports avec lui ?
A l’époque, c’était un coach débutant. On a vite adhéré à ce qu’il nous demandait. Quand il y avait des désaccords, il savait bien les gérer au final. Il était honnête. Il a apporté un nouveau souffle au RC Lens. J’ai vécu de belles années avec lui.

Lors de la saison 2006/2007, Lens est dans le bon wagon pour se qualifier en Ligue des Champions mais chute du podium lors de la dernière journée. Comment as-tu vécu cette désillusion ?
Ce soir-là, on a perdu (3-0) contre Troyes. C’est l’un des plus durs souvenirs de ma carrière. La semaine d’avant, on est accroché par Nice. On fait aussi match nul contre Toulouse alors qu’on doit gagner. On touche même la barre. Ça ne rentrait plus. Tout s’est écroulé comme un château de cartes lors de la dernière journée. On a joué contre une équipe de Troyes reléguée mais libérée. C’est l’une des équipes qui proposait le meilleur football dans ce championnat à l’époque. Il n’y a rien de pire que de jouer contre une équipe qui n’a plus rien à perdre.

«  A mon retour de vacances à l’été 2007, j’atterris et là je reçois un appel d’un journaliste de RMC. « Lens vient d’engager deux gardiens de but, est-ce que tu es au courant ? ». Je n’en savais rien. J’ai vérifié sur Internet et j’ai vu que Lens avait fait signer Vedran Runje et Ronan Le Crom »

A l’issue de la rencontre, réalises-tu que tu viens de jouer ton dernier match à Lens ?
Non. Dans Jour de Foot sur Canal +, ils disaient « Charles Itandje est sur le départ ». Moi, je ne le savais même pas. Mon agent non plus. Mais ça s’est confirmé quelques semaines plus tard. Après, je m’en doutais un peu car Lens ne m’avait pas prolongé. J’avais la sensation d’être pris pour un con. Je l’ai très mal vécu.

Comment apprends-tu ton départ ?
C’est vrai que je n’ai pas été incroyable lors du match de Troyes. Lens a voulu prendre un gardien avec plus d’expérience. J’aurais aimé qu’on me prévienne avant. J’entendais les bruits mais on n’est jamais venu me voir directement. J’avais quand même joué six ans au club, j’étais performant et je n’ai jamais causé de problèmes. Donc à mon retour de vacances, j’atterris et là je reçois un appel d’un journaliste de RMC. « Lens vient d’engager deux gardiens de but, est-ce que tu es au courant ? ». Je n’en savais rien. J’ai vérifié sur Internet et j’ai vu que Lens avait fait signer Vedran Runje et Ronan Le Crom (Lire son interview). J’étais sur le cul. Complètement. Heureusement, ils ont été incroyables avec moi. Incroyables. Vraiment incroyables. Ils se sont très bien tenus avec moi.

Pourquoi pars-tu à Liverpool à l’été 2007 ?
Parce que je n’ai pas le choix. Liverpool était la seule option qui se présentait à moi. J’ai forcé une réunion avec Gervais Martel, Guy Roux et Francis Collado. Ils me conseillent de trouver un club. Le discours était complètement rompu avec Guy Roux. Même si c’était une décision du club d’abord.

A Liverpool, tu deviens la doublure de Pepe Reina…
Un jour, mon agent m’appelle. « Prends tes affaires, on y va », me dit-il. Le lendemain, j’arrive à Everton. Je m’entraîne une journée là-bas. Dans l’après-midi, mon agent me fait sortir du vestiaire et en fait, je me retrouve à Liverpool.

Tu n’a pas accroché avec Rafael Benitez ?
Ah non, non. Laisse tomber. Ça n’a pas accroché du tout. Après, il a souvent eu des problèmes avec ses joueurs. On parle juste de respect. Quand tu joues un match dans l’année et qu’au début de la rencontre, il t’annonce que tu vas jouer seulement une heure et que tu seras remplacé par un autre gardien, tu le prends mal. Il ne m’a pas mis dans les meilleures conditions. La psychologie d’un gardien, c’est primordial.

« A Liverpool, c’était tous les jours tendu. Il y avait une grosse compétition au sein de l’équipe, c’était génial. Chaque entraînement, c’était un match »

Tu as côtoyé des grands noms à Liverpool : Steven Gerrard, Jamie Carragher, Daniel Agger, Fernando Torres, Javier Mascherano…Comment étaient-ils au quotidien ?
Ces mecs étaient sur-programmés. Ils n’étaient pas là pour se faire des bisous. Ils faisaient tout pour gagner leur place. C’était tous les jours tendu. Il y avait une grosse compétition au sein de l’équipe, c’était génial. Chaque entraînement, c’était un match. Magnifique. J’ai pris beaucoup de plaisir à l’entraînement. J’ai cependant eu du mal à m’adapter car c’était un nouveau football et parce que je jouais très, très peu.

Dans plusieurs interviews que tu as déjà accordées, tu as dit que tu avais effectué une dépression à Liverpool…
C’était lors de ma troisième saison là-bas. A l’issue de ma première année, Liverpool veut m’envoyer à Galatasaray car il avait ses intérêts là-bas mais j’ai dit non. Ensuite, je réintègre la réserve toute l’année. Je suis passé de titulaire en Ligue 1 à réserviste avec les U19 de Liverpool. C’était un coup d’arrêt pour ma carrière. J’ai voulu partir, mais on ne m’a jamais laissé aller là où je voulais. J’ai aussi eu l’opportunité d’aller à Malaga mais ça ne s’est pas fait car Liverpool n’y trouvait pas ses intérêts.

Puis vient le 15 avril 2009. Lors de la cérémonie de recueillement, vingt ans après le drame d’Hillsborough (ndlr : en avril 1989, 96 personnes trouvaient la mort lors du match entre Liverpool et Nottingham Forest), tu es filmé en train de chatonner. Comment as-tu vécu cette période ?
Je l’ai très mal vécue. Je n’ai jamais eu l’intention d’offenser qui que ce soit. Ma situation au club était bizarre. J’arrive à la cérémonie en me disant que personne ne veut pas de moi et que je n’ai plus rien à faire ici. A ce moment-là, je ne prends pas l’ampleur des événements auxquels j’assiste. Quand mes coéquipiers se sont mis à chanter, je me suis dit : « mais je la connais cette chanson ». Je me suis mis à chanter à tue-tête. Au moment où je sors du stade, je croise le regard d’un agent de sécurité et j’ai ressenti une sensation vraiment, vraiment étrange. Ensuite, ç’a été la déferlante médiatique. Le lendemain, il y avait entraînement et des gens m’attendaient. Quelqu’un du club m’appelle : « Ne viens pas à l’entraînement, reste chez toi, les supporters sont furax contre toi, ils veulent ta peau. On te convoquera dans la semaine », me dit-il. J’avais l’impression que ça faisait partie de l’acharnement que je vivais depuis le début de saison. Ensuite, tout s’est enchaîné, j’ai reçu des menaces de mort, des gens frappaient à ma porte. Après les événements, je suis parti une semaine à Paris et à mon retour, le club a évoqué une rupture de contrat. J’avais la sensation qu’ils attendaient juste que je fasse une faute. Ils ont profité de l’occasion. Du coup j’ai été suspendu deux semaines.

As-tu cherché à faire une interview pour t’expliquer ?
Ouais, mais on m’a interdit de le faire. « On n’en parle plus », m’a-t-on dit. Après cette affaire, il fallait juste que je m’en aille.

Tu as joué en Grèce après l’Angleterre. Que retiens-tu de cette expérience ?
Là-bas, j’ai retrouvé le plaisir de jouer au football. J’ai vraiment aimé la Grèce. J’y retourne souvent en famille pour les vacances.

« C’était plaisant de jouer pour l’équipe nationale du Cameroun. Après, il faut voir le contexte dans lequel je suis arrivé. Ce n’était pas optimal. Trop de bagarres entre joueurs, les problèmes avec la fédé… »

A partir de 2013 tu as joué en Turquie…
Si j’avais su que le football était comme ça là-bas, j’y serais allé un ou deux ans avant. J’ai retrouvé tout ce que j’aime dans le foot : la ferveur, la folie, la gagne, la tension, l’enjeu. Quel stade était le plus chaud ? Sans hésitation, celui de Besiktas. Tu te souviens quand Timo Werner est sorti du stade parce qu’il avait mal aux oreilles : ce fait de match résume tout. J’en ai connu des barrés mais là-bas, c’est la folie furieuse (rires). Après, c’est plaisant aussi. Quand tu es gardien, tu absorbes tout ça. C’était vraiment une belle expérience.

En 2016-2017, tu as joué à Gaziantepspor, un club situé à une centaine de kilomètres de la Syrie, qui était en guerre. Comment vivais-tu dans ce contexte ?
Déjà, le club était pourri. Il n’y avait pas d’infrastructures. Le centre d’entraînement était délabré. Le club voulait construire un nouveau stade alors qu’il n’arrivait même pas à payer ses joueurs. C’était la merde totale. Après pour revenir à ta question, je sentais le contexte lourd. Lors de ma première semaine là-bas, on s’entraîne, je suis sur le côté droit en train de faire des obliques. Je lève les yeux et qu’est-ce que je vois : un hélicoptère hapache. Il passe au dessus du centre d’entraînement (il éclate de rires). Je me suis dit : « c’est quoi ce délire ? ». J’ai tenu six mois. J’aimais le foot mais c’était trop pour moi (rires). C’est dommage car il y a 20 ans, c’était un super club.

Sentais-tu la tension dans la vie quotidienne ?
En ville, il se passait des trucs tous les jours. Je ne sortais pas là-bas. Ça m’est déjà arrivé de me faire suivre. Un jour, on jouait à Ankara. Sur le chemin du retour, un pote d’Istanbul m’appelle : « comment ça va? ». Je lui réponds : « ça va frérot ». « Je t’appelle parce que ça vient de péter à Gaziantep », réplique-t-il. Du coup, j’allume la télé sur mon téléphone. En fait, c’était un mirage qui était passé à toute bombe à basse altitude. A plus de 2000 km/h, ça résonne. Des vitres éclataient. Ç’a pété le centre-ville. Je me suis dit « bababa, mais qu’est-ce que je fais là » (rires). En plus, ça faisait deux-trois mois que je n’étais plus payé.

Tu as également joué pour la sélection du Cameroun. Quelles souvenirs gardes-tu de cette expérience ?
C’était plaisant de jouer pour l’équipe nationale. Après, il faut voir le contexte dans lequel je suis arrivé. Ce n’était pas optimal. Trop de bagarres entre joueurs, les problèmes avec la fédé… En 2014, on a joué un match au Portugal. La veille de la rencontre, vers 21h, on avait rendez-vous avec des ministres camerounais. Ils ne sont pas venus à l’heure et on est remonté dans nos chambres. A 1h du matin, le staff de la sélection nous a demandé de redescendre. En fait, ils sont arrivés à 3h pour parler des primes. Le lendemain, on devait se lever à 9h car à 19h, on affrontait le Portugal de Cristiano Ronaldo. Au final, on s’est fait défoncés (5-1) et je me suis blessé avant la mi-temps.

Enfin as-tu quelque chose d’autre à ajouter ?
J’aime le foot et je suis très reconnaissant des personnes qui m’ont permis d’effectuer une carrière professionnelle. Je ne peux qu’être reconnaissant de ces personnes qui ont donné la chance à un garçon du 9-3 qui avait envie de faire quelque chose de sa vie. Peu importe ce qu’il s’est passé ensuite, il ne faut jamais cracher dans la soupe. Au final, ça reste juste du foot. Ce sont les rapports humains qui comptent.

Propos recueillis par Thierry Lesage

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