Depuis la remontée du SCO Angers en L1 en 2015, aucun joueur n’a délogé Christophe Lagrange au classement des meilleurs buteurs de l’histoire du club (ndlr : toutes compétitions confondues). Vingt ans après la fin de sa carrière, Christophe Lagrange vous fait revivre comme si vous y étiez la montée du SCO Angers en D1 en 1993 ainsi que le foot des années 80 à Sedan et Lens mais aussi Le Havre version Jean-Pierre Hureau et les années noires de Saint-Étienne. Interview passionnante avec l’ancien compère d’attaque de Cédric Daury.


Christophe Lagrange, que deviens-tu depuis la fin de ta carrière de joueur de football professionnel ?
Après la fin de ma carrière en 1998, j’ai incorporé l’équipe corpo de Louis Nicollin à Montpellier tout en travaillant au club. J’y suis resté douze ans et j’ai entraîné notamment les U13 et les U17. J’ai formé la génération Remy Cabella, Jonas Martin, Benjamin Stambouli. Je suis arrivé en fin de contrat en 2010. Le nouveau directeur du centre de formation voulait faire des changements. Je suis donc parti à Béziers pendant trois ans. Puis je suis retourné dans la région de Montpellier pour entraîner l’ES Pérols. J’étais entraîneur des seniors et responsable de toute l’école de foot. Depuis deux ans, je suis revenu près d’Angers. C’est une ville où j’ai gardé de nombreux amis. J’entraîne actuellement Saint-Hilaire Vihiers Saint-Paul un club de PH qui va monter en R3 la saison prochaine. Il y a quelques années, Anthony Réveillère est sorti de ce club.


Quels souvenirs gardes-tu de Louis Nicollin ?
C’était un personnage extraordinaire. C’est lui qui m’a tendu la main quand ma carrière de footballeur s’est terminée. Il s’intéressait de près au football-entreprise. Il tenait beaucoup à cette équipe qui a tout gagné. Quand on remportait la coupe ou le championnat, il nous offrait deux ou trois voyages. Le football français a perdu une figure emblématique. Peu de présidents font et feront ce que Louis Nicollin a fait. Il savait tendre la main à ses anciens joueurs pour intégrer le staff du Montpellier Herault, ce que d’autres présidents ne font pas. C’est dommage. Un club comme Angers où j’ai joué sept ans, et avec lequel je suis toujours meilleur buteur, ne m’a jamais sollicité pour donner un coup de main. Au début de mon après-carrière, ça m’aurait intéressé. Je suis un peu déçu car j’ai beaucoup donné pour le SCO Angers et en retour on ne m’a pas trop tendu la main.


Revenons en arrière. Raconte nous tes débuts en équipe première à Sedan au milieu des années 80…
J’ai débuté le football à l’âge de 6-7 ans à Sedan. J’ai commencé à jouer avec l’équipe première en D2 en 1987-88. J’avais 17 ans et demi. A la fin de la saison, Lens est venu me chercher. J’ai refusé. Je ne voulais pas partir de chez moi et je voulais encore faire mes preuves en D2. Donc j’ai effectué une saison complète à Sedan à 18 ans. Lens est revenu me voir à l’issue de cette saison et j’ai signé un contrat de stagiaire pro de deux ans. Au bout de ces deux ans, Lens m’a prêté à Angers. Puis je suis finalement resté au SCO où j’ai vécu de belles années.


« A Sedan, à la fin des années 80, on s’entraînait sur un terrain derrière le stade Emile-Albeau. On appelait ça un crassier. C’était une ancienne décharge publique aplatie donc un terrain noir avec plein de poussières. En hiver, ça devenait de la gadoue »


Dans une précédente interview, Nicolas Sachy disait que le Stade Emile-Albeau à Sedan impressionnait les adversaires. Toi, quelles étaient tes sensations dans ce stade ?
C’est vrai que c’était compliqué pour les adversaires de venir jouer à Emile-Albeau. Le public était près des joueurs, à un mètre de la ligne de touche. Je me rappelle de derbys Sedan-Reims où c’était chaud, chaud, chaud. Je suis fier d’avoir commencé en poussins à Sedan pour jouer ensuite avec l’équipe première à Emile-Albeau. J’ai gardé beaucoup d’amis de l’époque de Sedan.


C’était comment d’être joueur de foot à Sedan à la fin des années 80 ?
Ça n’a rien à voir avec maintenant. Je jouais avec des joueurs qui travaillaient la journée. On s’entraînait presque tous les jours et les mecs ne rechignaient pas. Leur journée de boulot se terminait à 17h et à 18h on s’entraînait sur un terrain qui se trouvait derrière le Stade Emile-Albeau. On appelait ça un crassier. C’était une ancienne décharge publique aplatie donc un terrain noir avec plein de poussières. En hiver, ça devenait de la gadoue. C’était mémorable. Puis les déplacements, on les faisait en bus. Mon premier déplacement, je m’en rappellerai toujours, c’était à Guingamp : dix heures de bus. On a joué le samedi soir, on a passé la nuit dans le bus couchette pour arriver le dimanche à six heures à Sedan et faire le décrassage dans la foulée. Et ça, ça n’existe plus. Il y avait aussi l’organisation de goûters avec les jeunes du club.


Tu as donc joué à Lens à la fin des années 80. L’ambiance de Bollaert était-elle aussi chaude qu’aujourd’hui ?
C’était pareil. J’ai connu le Stade Bollaert plein. A Sedan, il y avait entre 12 000 et 15000 personnes, à Lens c’était plus du double. C’était impressionnant pour moi car j’étais le plus jeune de l’effectif. Quand on entend chanter le Stade Bollaert une heure avant le match et trois-quart d’heure après, on ne peut que rester bouche bée. Même quand je suis revenu y jouer avec un autre club, j’ai toujours reçu un bon accueil. J’espère que Lens pourra retrouver bientôt l’élite du football français. Les supporters méritent d’avoir Lens en Ligue 1.


« Lors de la saison 1993/94 en Ligue 1, le SCO Angers a voulu miser sur cinq-six nouveaux joueurs d’expérience et ça s’est cassé la gueule. Ces gars avaient pourtant fait une belle carrière : Bruno Germain, Christophe Galtier ou Eric Péan…. Mais la mayonnaise n’a pas pris »


Puis tu joues sept ans à Angers. Pourquoi l’aventure s’est bien déroulée pour toi au SCO ?
J’ai été prêté la première année et ensuite j’ai signé trois ans. J’ai pris confiance en moi car j’étais plus mature, j’avais 21-22 ans. J’ai donc enchaîné les bons matchs. J’ai joué tout le temps et j’ai marqué beaucoup de buts. Lors de la saison 1991/92, j’ai fini meilleur buteur du groupe A de D2 avec 19 buts. La saison d’après, j’en ai mis 17. On avait aussi une bonne équipe de potes : Cédric Daury avec qui je m’entendais bien dans la vie et en attaque, Laurent Viaud, Jérôme Gnako. On a gardé le même noyau pendant plusieurs années et cela a fait notre force. Malheureusement, lors de la saison 1993/94 en Ligue 1, le SCO Angers a voulu miser sur cinq-six nouveaux joueurs d’expérience et ça s’est cassé la gueule. Ces gars avaient pourtant fait une belle carrière : Bruno Germain, Christophe Galtier ou Eric Péan…. Mais la mayonnaise n’a pas pris et on a été relégués en Ligue 2. Et ensuite, le club a eu du mal à se refaire la cerise.


A l’époque, la Ligue 2 était un championnat très, très physique. Quel était ton secret pour enchaîner les buts ?
Ouais c’était très physique dans cette Ligue 2 à deux groupes. Tous les matchs étaient des combats. Je pense que c’est encore plus physique que maintenant. J’enchaînais les buts car je jouais sans pression, je ne me posais pas de questions. Je vivais dans un bon groupe qui travaillait bien la semaine. Dans notre équipe, beaucoup de joueurs étaient soient prêtés ou n’avaient pas été conservés par des clubs pros par le passé. Donc nous avions tout à prouver. Il y avait aussi les jeunes du club auxquels le SCO Angers faisait confiance. Le coach Hervé Gauthier était très proche de nous. L’ambiance du SCO était très familial avec les dirigeants.


Que retiens-tu de la montée d’Angers en Ligue 1 en 1993 ?
La saison passée, nous nous étions cassés les dents en barrages contre Strasbourg. La saison d’avant, Valenciennes nous avait coiffés au poteau. Du coup, lors de cette saison 1992/93, on a vraiment tout donné pour aller chercher cette montée.


« A Angers, je ne demande pas une statue mais j’aurais aimé avoir plus de reconnaissance du club par la suite »


Tu es un joueur historique d’Angers car tu es toujours le meilleur buteur du SCO toutes compétitions confondues…
Oui, j’ai marqué 125 buts. Quand je croise des gens à Angers, on me dit « tiens v’la le meilleur buteur du SCO » et ça fait toujours plaisir. A Angers, je ne demande pas une statue mais j’aurais aimé avoir plus de reconnaissance du club par la suite. Quand je suis parti d’Angers en 1994, j’ai toujours dit que je souhaitais finir ma carrière au SCO. A la fin de mon aventure à Saint-Étienne en 1998, j’ai appelé le club pour proposer mes services. On m’a répondu que c’était compliqué, que le club avait des problèmes financiers. Après c’est vrai, le club n’était pas bien à l’époque. Moi, ça m’aurait plu de terminer ma carrière au SCO Angers même si le club jouait en National. Quelques années plus tard, j’ai sollicité le club pour intégrer le centre de formation mais on ne m’a pas ouvert la porte.


Pourquoi choisis-tu de partir au Havre en 1994 ?
A la fin de la saison 1993/94 que je conclus avec 12 buts, je suis en fin de contrat. Angers me propose de prolonger mais je refuse car je souhaite poursuivre ma carrière en D1. Avant la fin de saison, le président Hureau m’appelle et me propose son projet pour la saison suivante au HAC. Il me dit aussi qu’il souhaite faire venir Cédric Daury, mon compère d’attaque à Angers. Au final, j’ai passé deux bonnes saisons au HAC. On a fait une belle première saison en finissant 12eme. Avec Ibrahim Ba, Vikash Dhorasoo, on avait une équipe sympa. Personnellement j’ai moins marqué au Havre. J’ai été un peu déçu par mes prestations car j’aurais aimé refaire la même saison que celle effectuée avec le SCO en D1. Mais j’ai été assez souvent blessé au HAC. Malgré tout, je garde de bons souvenirs de mes deux saisons havraises.


Quels sont tes meilleurs souvenirs du Havre ?
Sur le plan collectif, la première saison (1994/95) est superbe. On termine 12eme et on fait une demi-finale de Coupe de la Ligue (battu 0-1 à Deschaseaux par le PSG). J’ai aimé jouer au Stade Deschaseaux où il y avait de bons supporters, accueillants, sympathiques. Je ne connais pas le Stade Océane, mais c’était compliqué de venir gagner à Deschaseaux pour les adversaires car il y avait une ambiance à l’anglaise.


« Quand Saint-Étienne s’est maintenu en D2 en 1997, j’ai eu l’impression qu’on venait de gagner la Coupe de France voire la Coupe du Monde. Je revois encore ces supporters stéphanois qui attendent le coup de sifflet final debout sur les grillages pour nous féliciter alors qu’on avait fait une saison de merde »


Pourquoi pars-tu à Saint-Étienne en 1996 qui vient d’être relégué en D2 ?
Tout simplement parce que l’entraîneur est Pierre Mankowski et qu’il a été entraîneur au Havre. Il m’a annoncé qu’il allait entraîner Saint-Étienne et qu’il voulait m’avoir dans son effectif. A l’été 1996, il me reste un an de contrat au Havre mais le HAC me dit qu’il ne compte plus trop sur moi. A ce moment-là, j’ai 30 ans et j’ai encore envie de jouer. J’ai aussi signé à Saint-Étienne car c’est Saint-Étienne, l’un des clubs que je supportais plus jeune. Le challenge de la remontée était également super intéressant. Je ne regrette pas mon choix car j’y ai passé de bons moments mais en termes de résultats sportifs, ça aurait dû être mieux. Sinon par rapport aux supporters, l’engouement autour de Saint-Étienne, c’est quelque chose de magique. Je suis fier d’avoir porté le maillot des Verts. Pendant mes deux saisons à Saint-Étienne, j’ai joué 69 matchs toutes compétitions confondues et marqué 9 buts.


Pourquoi Saint-Étienne termine la saison 1996/97 de Ligue 2 à la 17eme place alors que l’objectif était la remontée immédiate ?
Il y avait quelques problèmes financiers au club, le président de l’époque avait été nommé au dernier moment. Il y avait aussi des travaux au Stade Geoffroy-Guichard en vue de la Coupe du Monde 1998. Deux tribunes étaient fermées. Je pense également que le club a eu du mal à digérer la descente en D2. On a failli descendre en National. Ça aurait été la mort du club. Heureusement, nous avons réussi à sauver Saint-Étienne lors de la dernière journée de la saison 1996/97.


Justement à l’issue de ce dernier match, Saint-Etienne-Troyes (0-0, le 24 mai 1997), les supporters stéphanois ont envahi le stade pour fêter le maintien de l’ASSE en D2 après une saison éprouvante…
J’ai eu l’impression qu’on venait de gagner la Coupe de France voire la Coupe du Monde. Je revois encore ces supporters stéphanois qui attendent le coup de sifflet final debout sur les grillages pour nous féliciter alors qu’on avait fait une saison de merde. Heureusement, Jérémie Janot effectue un arrêt décisif à un quart d’heure de la fin. Un arrêt qui sauve Saint-Étienne. Quand l’arbitre siffle la fin du match, c’est l’explosion de joie : je vois tous ces supporters avec leur maillot vert à la main, le visage peint en vert, qui viennent vous embrasser et vous prendre dans les bras. C’était énorme. Vraiment énorme. Ça restera gravé dans ma mémoire.


« J’ai vu débuter Willy Sagnol à Saint-Étienne. Il était déjà au-dessus du lot et je n’ai pas été étonné de la carrière qu’il a effectuée derrière »


Pendant ton passage à Saint-Étienne, tu as notamment côtoyé Grégory Coupet et Willy Sagnol…
Je me souviens de joueurs simples. Willy Sagnol, je l’ai vu débuter. En 1996/97, il a joué libéro puis arrière droit. Il était déjà au-dessus du lot et je n’ai pas été étonné de la carrière qu’il a effectuée derrière. Quant à Greg Coupet, on a joué un an ensemble. Pareil, c’est un garçon attachant.


Pourquoi tu ne poursuis pas l’aventure avec Saint-Étienne en 1998/99 ?
Parce que j’ai 32 ans et le club a envie de changer son environnement surtout avec la saison compliquée qu’il vient de vivre. L’ASSE a voulu presque tout changer. Moi, il me restait un an de contrat. Le club m’a dit : « tu peux rester mais ça va être compliqué pour toi car on va recruter du monde ». J’aurais pu rester à l’ASSE mais j’ai renégocié ma dernière année de contrat car j’avais envie de jouer. Je pensais retrouver un nouveau club derrière et malheureusement ça n’a pas été le cas. Pourtant sur le plan physique, j’étais prêt à jouer encore deux ans minimum. Malheureusement en France, une fois que tu passes 30 ans, tu deviens un joueur vieux et ça devient compliqué pour toi. Il y a quelques années, je suis retourné à Saint-Étienne et les supporters m’ont reconnu. Ils m’ont dit que je « mouillais le maillot ». Ça fait plaisir d’avoir laissé de bons souvenirs dans ce club.


Enfin, souhaites-tu ajouter quelque chose ?
J’aime beaucoup le site Foot d’Avant. Ça permet de se remémorer des souvenirs. C’est toujours sympa d’avoir des nouvelles des anciens joueurs et ça nous permet de ne pas tomber aux oubliettes.


Propos recueillis par Thierry Lesage


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