61 buts. C’est le nombre de buts inscrits par Cyrille Watier pour le Stade Malherbe Caen de 1999 à 2005, ce qui permet à l’ancien joueur de Lorient d’être toujours en tête du classement des buteurs de l’histoire du club bas-normand. Au cours de cette magnifique interview, Cyrille Watier raconte comment il est passé de joueur de CFA à Pontivy à recordman de buts avec Caen. Entretien direct avec un joueur qui aurait aussi pu figurer au classement des joueurs les plus rapides du Stade Malherbe.


Cyrille Watier, que deviens-tu depuis la fin de ta carrière en 2007 à Laval ?
Je suis rentré chez moi, à Lorient. Je suis resté un an sans jouer et après j’ai repris du service au FC Ploemeur, un club amateur à côté de Lorient. J’y ai joué neuf ans, jusqu’à la fin de la saison dernière. Actuellement, je m’occupe de l’équipe féminine seniors de Ploemeur. A côté, je travaille à Leclerc Sport en tant que vendeur pour la partie chaussures et sports collectifs.


Que penses-tu de l’évolution du Stade Malherbe Caen et du FC Lorient, tes anciens clubs ?
Les choses ont bien changé. Pour Lorient, Mickaël Landreau a ramené un style de jeu, du plaisir et du spectacle aussi. C’est plaisant d’aller au Moustoir cette saison. De son côté, Caen connaît une bonne évolution car le club est quasiment installé en L1, malgré le fait qu’il y ait des hauts et des bas. C’est appréciable de voir Malherbe en Ligue 1 pour le public mais aussi par rapport aux belles installations qu’il y a et qui ont été améliorées par rapport à la période où j’y étais (1999-2005). En regardant ces deux aspects, c’est logique que Caen soit en Ligue 1. Malheureusement aujourd’hui, je n’ai plus du tout de contact au club.


Tu as commencé ta carrière à Lorient aux côtés de Christian Gourcuff au milieu des années 90 en National et en Ligue 2. Pourquoi tu n’as pas réussi à percer chez les Merlus ?
A l’époque, le club était moins gros qu’aujourd’hui et il n’y avait pas de structure professionnelle. Il n’y avait pas de centre de formation. Quand nous jouions en National, la moitié de l’équipe faisait que du foot et l’autre moitié avait un travail à côté. Je n’étais pas prédestiné à rentrer dans un centre de formation et à suivre les catégories classiques chez les jeunes. Sinon ça s’est très bien passé avec Christian Gourcuff à Lorient. Mais à l’époque, Bernard Bouger marquait but sur but donc c’était logique qu’il soit titulaire.


En parallèle de ta carrière, tu étais pâtissier au restaurant universitaire de Lorient. Est-ce que ce n’était pas trop dur pour toi d’avoir un autre travail en dehors du foot ?
Non, non. J’ai commencé à mi-temps et après j’étais à deux-tiers de temps au restaurant universitaire. Il y avait quelques fans de Lorient qui me reconnaissaient. J’ai fait ce travail pendant trois ans.


« Je n’aurais pas aimé jouer dans le foot de maintenant car c’est un monde d’individualistes. Moi je jouais pour l’amour du foot et pour jouer avec les copains. On se voyait beaucoup en dehors du foot. Aujourd’hui, ils jouent à Lorient un jour et le lendemain ils sont à Brest »

 

Puis tu as pris un an de congés sans solde en 1998 avec le restaurant universitaire pour jouer à Pontivy en CFA. L’idée était de tout miser sur une année pour te faire repérer par des clubs pro…
Je voulais savoir ce que j’étais capable de faire sur une saison sans être fatigué par le travail à côté. Certains jours à Lorient, je m’entraînais avec ma montre et je quittais les gars quinze ou vingt minutes avant la fin. Ce n’était pas l’idéal d’être comme ça dans le stress d’arriver en retard au travail. Au final, ma saison à Pontivy s’est très bien passée. J’avais une super entente en attaque avec Christophe Duboscq, qui était un ancien pro du Stade Malherbe Caen. Nous étions super complémentaires et on a mis vingt buts chacun durant cette saison.


C’était un pari osé et risqué de te relancer en CFA…
Oui et non. Oui parce que je quittais le FC Lorient, un club où toutes les équipes jouaient dans le même style de jeu. Et non car j’avais déjà marqué un paquet de buts avec l’équipe B du FC Lorient. Sur trois saisons, j’ai fini meilleur buteur de DH, l’année d’après je mets 18 buts en CFA 2 et j’en marque 25 la suivante. Si je refaisais ça aujourd’hui, j’aurais signé pro direct. Après je n’aurais pas aimé jouer dans le foot de maintenant car c’est un monde d’individualistes. Moi je jouais pour l’amour du foot et pour jouer avec les copains. On se voyait beaucoup en dehors du foot. Aujourd’hui, ils jouent à Lorient un jour et le lendemain ils sont à Brest.


Au final, tu finis meilleur buteur de CFA en 1998/1999, et tu es recruté par le SM Caen. Comment le contact a-t-il été noué ?
Avant de partir à Pontivy, j’avais déjà joué à d’Ornano avec Lorient. J’avais fait un bon match. Puis avant que je ne signe à Pontivy en 1998, j’avais fait un essai à Caen. Ils avaient fait un match : les pros contre des gars de CFA ou CFA 2 qu’ils faisaient venir. J’avais joué à Venoix. Mais comme Caen avait tardé à me donner une réponse, j’avais signé à Pontivy. Pendant cette saison, Caen a vu que je marquais énormément de buts. D’ailleurs, j’ai inscrit deux fois un doublé contre la réserve du Stade Malherbe. Après le match à Caen, on était resté voir le match des pros à d’Ornano et le club m’a contacté à ce moment-là par l’intermédiaire de Pascal Théault et Daniel Jeandupeux. Avant la fin de la saison, début mai, je suis revenu à Caen pour faire une semaine d’entraînement avec les pros. C’était plus facile pour moi vu que j’étais en pleine bourre à Pontivy. Quand tu es en pleine confiance, le ballon rentre presque à chaque fois. Pendant cette semaine, j’avais été marqué par Samuel Boutal. Dommage qu’il soit parti quand je suis arrivé car je pense qu’on se serait bien entendus. Du coup, j’ai signé un contrat de deux ans à Caen à l’issue de cette semaine d’entraînement même si j’avais aussi été contacté par Amiens. Mais j’ai choisi Caen car à l’époque l’équipe jouait en 4-4-2 comme le FC Lorient. Puis quand tu vas à Caen, que tu vois les installations et d’Ornano, tu n’hésites pas. Je ressentais un peu de fierté de signer à Caen.


Qu’est-ce qui t’a marqué à ton arrivée à Caen ?
A Caen, tout était pris en charge. Tout était fait pour être focalisé sur le football. Par exemple à l’époque au FC Lorient, les kinés soignaient plus facilement un gars qui avait un contrat pro plutôt qu’un joueur amateur. Ils ne venaient pas tout le temps et du coup si tu avais besoin, tu devais aller à leur cabinet. A Caen, j’étais un joueur comme les autres.


« Quand on te demande de faire un footing, c’est ton métier, tu le fais avec plaisir. Je n’ai jamais ressenti de lassitude dans le monde du foot pro. Quand un jeune signe pro à 18 ans, à 28 ans tout lui est un peu dû. Moi, je partais du principe que je devais prouver tous les jours »


Dans le livre « 20 Légendes du Stade Malherbe Caen », Franck Dumas dit que tu étais « la bouffée d’oxygène du groupe ». Comment as-tu réussi à t’imposer à Caen (à l’époque en L2) à 27 ans ?
En restant moi-même. Aussi en étant plus heureux que les autres d’être professionnel. J’ai travaillé et parfois galéré pour pouvoir jouer au foot. Je savourais encore plus. Pour moi, travailler quatre heures par jour, c’était moins fatiguant que huit heures à l’usine. Quand on te demande de faire un footing, c’est ton métier, tu le fais avec plaisir. Je n’ai jamais ressenti de lassitude dans le monde du foot professionnel. Quand un jeune signe pro à 18 ans, à 28 ans tout lui est un peu dû. Moi, je partais du principe que je devais prouver tous les jours.


Tu marques 8 buts lors de ta première saison en L2 avec Caen. Lors de ta seconde saison en 2000/01, tu en marques 13 et tu permets au club de se sauver en Ligue 2 en fin de saison. Tu étais coaché par Jean-Louis Gasset à l’époque. Comment as-tu vécu cette saison avec lui ?
La saison 2000/01 a été super compliquée. On change d’entraîneur dès le mois de septembre et moi je n’avais jamais connu ça. Cette saison avait été compliquée personnellement car mon père est décédé à cette période. Heureusement, à ce moment-là, Jean-Louis Gasset m’a fait énormément de bien et énormément progresser. Il me disait de ne pas me contenter de la Ligue 2 et que je pouvais largement jouer en Ligue 1. Mentalement, il m’a fait progresser et a provoqué un déclic.


A Caen, tu as aussi côtoyé Patrick Remy entre 2002 et 2005. Pourquoi ça ne s’est pas bien passé pour toi au début avec l’ancien coach de Sedan, finaliste de la Coupe de France 1999 ?
Quand il est arrivé, il a fait venir ses copains (rires). Après c’est classique : quand un entraîneur arrive, il fait venir les joueurs qu’il connaît. En attaque, il a fait venir Alex Di Rocco (ndlr : que Patrick Remy avait côtoyé à Sedan). Comme physiquement, j’étais capable de faire énormément d’efforts, il m’a demandé de changer de poste. J’ai joué milieu de terrain et j’étais moins technique que d’autres joueurs. J’en étais conscient. Par contre je pouvais courir trois jours. Du coup, j’ai joué sur le côté. Ça pouvait marcher sur deux matchs mais pas sur du long terme. Au départ, le coach avait oublié que j’étais capable de marquer un paquet de buts. Mais quand un coach arrive, c’est lui qui décide et le statut de certains joueurs peut changer.


En 2003-04 tu retrouves une place devant, tu enchaînes les bonnes prestations et tu marques le but synonyme de montée pour Caen sur la pelouse de Rouen (2-1) à trois journées de la fin. Comment as-tu appréhendé ta première expérience en Ligue 1 après le parcours atypique que tu as connu ?
Pour moi, la seule façon de jouer en Ligue 1 était de monter avec le club pour lequel je jouais. De mon temps (rires), les clubs de Ligue 1 recherchaient davantage à recruter des joueurs plus jeunes pour revendre ensuite et avoir un retour sur investissement. Et moi à ce moment-là, j’avais 32 ans. J’ai ressenti beaucoup de fierté de décrocher cette montée suite à mon parcours atypique. Puis pour la ville de Caen, c’était énorme aussi. Je ne l’ai pas vécu que pour moi. Quand tu vois le monde qu’il y avait au stade et le monde qu’il y avait sur l’esplanade à nous attendre le soir après la montée, tu te dis que c’est exceptionnel de vivre des moments comme ça.

« Je suis parti de Caen car j’avais l’impression de faire partie des meubles. J’avais l’impression que le club se disait : “on a Cyrille, on sait qu’il va marquer des buts quoi qu’il se passe, mais on va quand même essayer de trouver mieux. Puis si ça ne marche pas on aura toujours Cyrille”»

 

Lors de ton unique saison en Ligue 1 en 2004/05, tu marques le but victorieux de Caen face à Monaco (1-0), finaliste de la Ligue des Champions quelques semaines auparavant. Qu’as-tu ressenti quand tu as trompé Flavio Roma au Stade Michel d’Ornano ?
J’étais content pour tout le monde. J’étais heureux que le plus petit club batte le grand. J’ai plus savouré la performance collective que mon but. J’ai bien vécu cette saison de Ligue 1 mais en même temps c’était compliqué aussi car on passe vraiment pas loin du maintien.


Lors de cette saison 2004/05, tu as aussi marqué à Marseille pour une inoubliable victoire 3-2…
Cela n’a pas changé ma vie (rires). Quand je marquais, je n’étais pas le style de joueur à faire trois tours de terrain et à me rouler par terre. Je voyais plus la performance collective et ici le fait que Caen pouvait toujours se maintenir.


Tu es toujours le meilleur buteur de l’histoire du Stade Malherbe Caen (61 buts). Penses-tu que ton record sera battu un jour ?
Non. Quand je suis parti en 2005, je pensais que mon record ne durerait pas. J’ai aussi pensé que Mathieu Duhamel le battrait. Maintenant, vu que les joueurs changent très souvent de club, je pense que je détiendrai ce record encore longtemps. Je ressens beaucoup de fierté d’avoir ce record du fait de mon parcours. Je suis passé de joueur de CFA à meilleur buteur de l’histoire de Caen.


Pourquoi es-tu parti à Guingamp en 2005 alors que tu avais tout construit à Caen ?
Parce que les deux dernières saisons avaient été difficiles à Caen : lors de l’année de la montée, le club ne voulait plus de moi en début de saison et après j’arrive à jouer en Ligue 1, je joue 32 matchs sur 38. Mais quand Franck Dumas remplace Patrick Remy en fin de saison, je joue moins. Je me dis : « si Franck Dumas reste entraîneur, je jouerais moins la saison prochaine ». Puis il me restait un an de contrat à Caen, j’étais en fin de carrière, et je me disais que je pouvais avoir deux ans de contrat ailleurs. Malheureusement, tu es obligé de réfléchir comme ça quand tu es footballeur de 33 ans. Je suis aussi parti de Caen car j’avais l’impression de faire partie des meubles. J’avais l’impression que le club se disait : « on a Cyrille, on sait qu’il va marquer des buts quoi qu’il se passe, mais on va quand même essayer de trouver mieux. Puis si ça ne marche pas on aura toujours Cyrille ». Je n’ai jamais senti en début de saison qu’on comptait sur moi en qualité d’attaquant numéro un. J’avais un contrat donc on comptait sur moi, mais on ne me l’a jamais dit ouvertement. Si Caen m’avait dit ça en 2005, je serais sûrement resté.


« Ça me ferait plaisir de voir un match à Caen avec le Malherbe Normandy Kop »


Pourquoi ta saison à Guingamp n’est pas aussi aboutie que celles que tu avais vécues à Caen ?
Parce que je ne joue pas attaquant. Je me retrouve à jouer milieu droit. J’ai seulement joué des bouts de match devant : cette saison je n’ai marqué que deux buts. Deux buts de la tête (rires). Les gens qui me connaissent doivent savoir qu’il y a un problème. J’avais d’ailleurs marqué de la tête contre Caen en Coupe de la Ligue. Mais je n’ai jamais eu un esprit revanchard, je donnais simplement 100% pour le club pour lequel je jouais.


Enfin, peux-tu nous dire un petit mot sur ta fin de carrière à Laval en National ?
En National, j’ai retrouvé un peu un esprit amateur. En National, beaucoup de gars avaient des contrats d’un an seulement et tu faisais les déplacements en bus. C’était compliqué. Pendant la saison, on a joué la montée et Laval est vraiment passé pas loin en 2007. Si je ne me blesse pas en fin de saison d’une rupture totale du tendon d’Achille à trois matchs de la fin, je pense que Laval serait monté car j’avais marqué 11 buts cette saison-là. Laval devait gagner son dernier match à domicile, ou faire match nul, pour monter. Mais les joueurs lavallois ont eu peur. Laval a perdu et l’espoir de montée s’est envolé. J’avais une année de plus en option en cas de montée en L2. Suite à ma blessure, mon contrat n’a pas été renouvelé. Le pire, c’est que le jour où je me suis fait une rupture totale du tendon d’Achille, c’est un copain qui m’a ramené chez moi le soir. J’avais l’impression de ne plus servir au club et que c’était fini. Je n’ai même pas été les voir pour savoir si je pouvais resigner un an, me soigner puis rejouer si possible. Ils ne sont pas revenus vers moi non plus. Ils ne prenaient pas de risque en me faisant signer un an : si je rejouais c’était bon, si je ne pouvais pas rejouer on cassait le contrat. Après ma blessure, je n’ai plus été sollicité par un club pro.


Enfin, souhaites-tu ajouter quelque chose ?
Merci d’avoir pensé à moi. Sinon, je ne suis pas retourné à Caen depuis le centenaire du club en 2013. Si un jour on pense à moi pour donner le coup d’envoi d’un match à d’Ornano, j’irai avec grand plaisir. Quand Caen est venu à Lorient il y a deux ans, je suis allé voir le match dans la tribune des supporters de Caen. C’était sympa, nous étions heureux de nous revoir. Ça me ferait plaisir de voir un match à Caen avec le Malherbe Normandy Kop car ce sont des personnes qui m’ont et qui nous ont toujours encouragés.


Propos recueillis par Clément Lemaître