Entre la victoire inoubliable de Saint-Étienne à Hambourg en 1980 et la remontada incroyable de Liverpool contre Dortmund en 2016, en passant par l’épopée de Monaco en 2004, où il a côtoyé de très près les protagonistes de l’époque, Denis Balbir vous fait revivre ses plus beaux moments de Coupe d’Europe comme si vous y étiez.


Est-ce que tu as l’impression que depuis quelques années, les clubs français jouent plus à fond la Ligue Europa ?
Oui. J’espère que les clubs français iront le plus loin possible en Coupe d’Europe. Ils ont les qualités pour le faire. Les clubs français, grâce parfois à des entraîneurs qui sont plus dans l’ombre, ont gagné en expérience, en culture tactique et en culture technique. Je suis admiratif de ce que fait Lyon depuis plusieurs années en Coupe d’Europe. L’équipe arrive toujours à être européenne depuis des années. L’OL a l’ADN de la gagne. Les autres clubs français devraient suivre l’exemple de Lyon en Coupe d’Europe. Les joueurs doivent se dire que la Coupe d’Europe est très importante pas seulement pour eux mais pour leur club et le foot français. J’ai été très choqué le jour où j’ai commenté Mönchengladbach-Marseille en 2012. Ce jour-là, Elie Baup était l’entraîneur de l’OM et Vincent Labrune le président. Après l’élimination des Marseillais, j’étais descendu pour voir dans quel état d’esprit était l’équipe. Je m’attendais à voir un staff abattu et j’ai vu Vincent Labrune avec un grand sourire disant cette phrase : « on est enfin débarrassés de cette Coupe d’Europe ». Moi ça m’a fait halluciner d’entendre un dirigeant dire ça alors que son club, et pas n’importe lequel, venait de se faire sortir. C’était faire injure à la Coupe d’Europe, à son club, au diffuseur, au public. C’est le fait qui m’a le plus choqué depuis que je commente la Ligue Europa.


Au niveau du commentaire de match, qu’est-ce qui est différent entre commenter une rencontre de championnat et une rencontre de Coupe d’Europe ?
Quand on commente un match de Coupe d’Europe, on est derrière l’équipe française. Sans crier non plus « Allez Lyon », « Allez Marseille » ou « Allez Nice » toutes les trois minutes, on les pousse un peu plus au niveau du commentaire quand il y a une action en leur faveur. L’an dernier, je me suis régalé lors de Lyon-Roma et Lyon-Besiktas Istanbul. Quand il n’y a plus d’équipe française, l’idée est de profiter du spectacle, du beau jeu et de la passion que peuvent générer certains stades ou certaines équipes.


Plus personnellement, quels sont les premiers souvenirs de Coupe d’Europe qui ont rythmé ton enfance ?
Je ne vais pas être très original mais mes premiers souvenirs de Coupe d’Europe sont les matchs de Saint-Étienne. Je suis supporter de Saint-Étienne depuis que j’ai découvert Salif Keïta. J’ai suivi le club notamment à partir de la période où Robert Herbin a fini sa carrière de joueur. C’est une personne qui j’admire énormément. J’ai aussi beaucoup suivi l’épopée de Saint-Étienne mais aussi les exploits de Lens, l’épopée de Sochaux avec Patrick Revelli sous la neige mais également Bastia qui s’est hissé en finale de Coupe de l’UEFA en 1978 avec Jean-François Larios et Johnny Rep. A l’époque, la finale se jouait en matchs aller et retour.


« Mon meilleur souvenir de Coupe d’Europe, c’est quand Saint-Étienne a gagné 5-0 à Hambourg en 1980. C’était la grosse équipe de Bundesliga en face avec Horst Hrubesch »


Les matchs de Coupe d’Europe que tu cites avaient-ils une saveur différente de ceux d’aujourd’hui ?
Oui car les matchs de Coupe d’Europe se jouaient directement à élimination directe. A l’époque aussi, nous étions beaucoup moins abreuvés d’images et de matchs. Je me souviens d’une véritable attente. Quand j’étais gamin, j’attendais le match télévisé avec une attente qui était comparable à celle où on a attendu Real Madrid-PSG pendant des semaines. C’était LE rendez-vous du mois. On attendait les tirages au sort avec le cœur qui battait très fort. On scrutait la météo du jour du match, les matchs de championnat avant la rencontre de Coupe d’Europe pour voir si aucun joueur majeur ne s’était blessé. J’avais été frustré d’ailleurs en 1976 avant la finale de Coupe d’Europe car lors du match Nîmes-Saint-Étienne, les Nîmois avaient été agressifs et les Stéphanois avaient été diminués. Tout ça, ce sont mes souvenirs d’enfance. Mon meilleur souvenir aussi, c’est quand Saint-Étienne a gagné 5-0 à Hambourg en 1980. C’était la grosse équipe de Bundesliga en face avec Horst Hrubesch.


Tu parlais de Salif Keïta tout à l’heure. Quels sont les autres joueurs qui t’ont fait rêver lors des matchs de Coupe d’Europe ?
J’aimais beaucoup Kevin Keegan. Pour moi, c’était un super joueur. Il y avait aussi la grande équipe de la Juve. J’ai beaucoup aimé aussi les « jumeaux » Roberto Mancini-Gianluca Vialli de la Sampdoria Gênes.


Sur le plan du jeu, comment les matchs de Coupe d’Europe ont-ils évolué ?
La différence essentielle pour moi, c’est la rapidité avec laquelle se jouent les matchs d’aujourd’hui par rapport à l’époque de Saint-Étienne par exemple. Il y a plus de rapidité dans la circulation de balle, dans les déplacements, dans le marquage qui était un peu lâche parfois à l’époque. Maintenant ça va à 2000 à l’heure. Peut-être qu’aujourd’hui Platini et Boniek ne marqueraient plus certains buts qu’ils marquaient à l’époque. Sans enlever le mérite à Michel Platini qui a été un joueur majeur du football mondial. Sur le plan tactique, il y avait déjà de grands entraîneurs et notamment Albert Batteux ou Robert Herbin.


Quel a été le déclic dans l’histoire du foot qui a fait que le jeu est devenu beaucoup plus rapide ?
Je pense que ça a commencé pendant la période fin des années 70-début des années 80. Quand on voit les buts de l’équipe de France 1982 face à l’ex-Allemagne de l’Ouest, on voit notamment la dextérité technique de Marius Tresor ou Alain Giresse sur les buts inscrits par les Bleus.


« A l’époque sur Canal +, Charles Bietry avait réussi quelque chose de magique : faire pénétrer les téléspectateurs dans l’intimité des joueurs. Moi, j’ai fait des trajets en bus avec des joueurs, j’ai emmené Zinédine Zidane à l’entraînement quand il jouait à Cannes. J’ai fait des trucs qui seraient impensables aujourd’hui »


Parmi les matchs de Coupe d’Europe que tu as commentés, quel moment t’a procuré le plus d’émotion ?
Il y a deux événements qui m’ont beaucoup marqué et ils sont assez récents : c’est d’abord Monaco-La Corogne (8-3) de novembre 2003. J’ai eu la chance de suivre l’épopée de Monaco que j’ai commentée sur Canal +. Il y avait un entraîneur, Didier Deschamps, et un collectif incroyables. Il y avait des joueurs tellement sympas, abordables et souriants comme Ludovic Giuly, Fernando Morientes. Puis il y a aussi le renversement de situation lors de Liverpool-Dortmund en 2016 quand Mamadou Sakho et Lovren arrivent à marquer dans ce stade d’Anfield en fusion et qui bascule dans l’hystérie dans le temps additionnel. C’était quelque chose d’incroyable, qu’on aime vivre et revivre. J’aime aussi l’ambiance au Stade Ramon Sanchez Pizjuan à Séville. C’est extraordinaire. J’y ai commenté beaucoup de matchs quand Séville a enchaîné ses trois titres en Ligue Europa (2014, 2015 et 2016). Ce stade est toujours plein et les chants sévillans avant le match vous prennent aux tripes et vous donnent des frissons. Quand on aime le foot, c’est quelque chose qu’on doit absolument vivre. L’épopée de l’AJ Auxerre en Coupe de l’UEFA en 1993 m’a également marqué avec notamment cette demi-finale face au Borussia Dortmund.


Tu parles de l’épopée de Monaco en 2004. Quelle était la relation entre l’équipe et les journalistes à l’époque ?
C’était fantastique. Je connais Didier Deschamps depuis le milieu des années 90. J’ai eu la chance de travailler pour le foot italien pour l’Équipe du Dimanche. Donc j’allais forcément beaucoup vers lui et Zinédine Zidane pour les interviews d’après-match de la Juventus Turin. Didier Deschamps m’a toujours bluffé dans ses analyses. Du coup lors de l’épopée de Monaco en 2004, lorsqu’il entraînait l’ASM, nous journalistes pouvions aller à l’hôtel des joueurs, on appelait l’attaché de presse et on avait un accès direct aux joueurs, on prenait un thé ou un café avec eux les veilles de match de Ligue des Champions. Didier Deschamps avait été très classe. A force d’être avec eux, on avait presque l’impression d’être le douzième homme. De commenter des potes qui jouent. Maintenant, il faut passer par les agents, les chefs de communication, etc…Il y a beaucoup plus d’étapes à franchir pour atteindre un joueur aujourd’hui par rapport à avant. A mon sens, la proximité des clubs avec les médias est très importante. Ça m’étonne tellement de voir des joueurs qui boudent les micros alors qu’ils ne feraient pas ça à l’étranger car il y a des obligations médiatiques. A l’époque sur Canal +, Charles Bietry avait réussi quelque chose de magique : faire pénétrer les téléspectateurs dans l’intimité des joueurs. Moi, j’ai fait des trajets en bus avec des joueurs, j’ai emmené Zinédine Zidane à l’entraînement quand il jouait à Cannes. J’ai fait des trucs qui seraient impensables aujourd’hui. Dans les équipes du Top 5 du championnat de France, c’est très très rare d’avoir un joueur qui vous dise « oui, vas-y appel moi, on va à la pizzeria après le match ». Ce sont des choses qu’on faisait à l’époque y compris avec les entraîneurs. Je me souviens par exemple de Guy Lacombe qui m’invitait à manger chez lui à Cannes. Ce sont des choses qui se sont perdues aujourd’hui.


Maintenant, c’est malheureusement une nouvelle ère où certains clubs et joueurs préfèrent en dire le moins possible…
On est aussi rentrés dans une nouvelle ère avec les réseaux sociaux qui peuvent faire terriblement de mal. On voit Neymar qui pose dans la neige ou qui fête son anniversaire et du coup tout le monde analyse tout au moindre détail et déverse sa haine sur les réseaux sociaux. C’est aussi pour cela que les joueurs et les clubs se recroquevillent de plus en plus.


Propos recueillis par Clément Lemaître