Foot d’Avant a rencontré Denni Conteh au « First lady gastropub » à Fisketorvet, un grand centre commercial de Copenhague. Dans un français parfait, l’ex-international danois (2 sélections) s’est replongé dans l’inoubliable épopée européenne de 1997 du Racing Club de Strasbourg qui avait sorti les Glasgow Rangers, Liverpool et échoué de peu face à l’Inter Milan de Ronaldo malgré une victoire mémorable face aux Italiens à domicile (2-0). Rencontre avec celui qui a fait exploser la Meinau un fameux 21 octobre 1997 contre Liverpool.


Denni Conteh, que deviens-tu depuis la fin de ta carrière de joueur ?
Quand j’ai arrêté le foot, j’ai repris les études pour travailler dans la finance. Aujourd’hui, je travaille à Copenhague pour la banque Nykredit. Mais je suis toujours dans le foot, je suis entraîneur et j’ai la licence pro. J’entraîne une équipe de deuxième division danoise, l’AB Tårnby. Avant, j’ai aussi travaillé avec la sélection danoise féminine des moins de 19 ans. J’ai été attaquant et j’aime bien proposer un jeu offensif avec mes équipes. La passion et l’envie de gagner restent intactes.

 

Dix-sept ans après ton départ de France, est-ce que tu continues de suivre les résultats du Racing Club de Strasbourg ?
Oui bien sûr. Le club a connu de grosses difficultés et est descendu en cinquième division. Mais heureusement Strasbourg a réussi à remonter en Ligue 1 en 2017. J’ai vu la victoire de Strasbourg contre le PSG et ça m’a fait vraiment plaisir. Ça m’a fait repenser aux belles soirées de foot que j’ai vécues à la Meinau. C’est vraiment un stade où il y a une bonne ambiance. Les gens aiment le foot à Strasbourg. Ils sont vraiment passionnés. Quand je jouais à Strasbourg, l’ambiance du stade de la Meinau nous aidait à gagner. Même quand les choses ne vont pas bien, les supporters strasbourgeois sont toujours là pour t’encourager. C’est dommage que les Strasbourgeois aient été privés de Ligue 1 pendant tant d’années. Je suis content pour les supporters que le Racing Club de Strasbourg soit de retour dans l’élite.


Es-tu toujours en contact avec des membres du Racing Club de Strasbourg ?

Non. J’ai un peu gardé contact avec Corentin Martins et quelques personnes me souhaitent mon anniversaire chaque année sur Facebook.


Revenons en 1997 : comment es-tu arrivé au Racing Club de Strasbourg ?

Je jouais à Hvidovre au Danemark avec les seniors et j’ai marqué pas mal de buts en 1996/97. Un agent danois m’a mis en relation avec Strasbourg. Du coup, j’ai été mis à l’essai pendant une semaine et j’ai marqué en match de préparation. L’entraîneur, Jacky Duguépéroux, était content de moi et Strasbourg m’a fait signer. A l’époque, Strasbourg avait Pascal Nouma et David Zitelli en attaque et le club cherchait un troisième attaquant. Je suis arrivé à l’âge de 21 ans et je ne parlais pas français. C’était difficile au début car il n’y avait que la kiné, Godwin Okpara et Pascal Nouma qui parlaient anglais. Ils me traduisaient les consignes de l’entraîneur. Mais j’ai appris rapidement car en France les gens ne parlent pas anglais. Après six mois, je pouvais facilement communiquer en français.


« A Ibrox Park, il y avait tellement de bruit que tu ne pouvais pas entendre ton coéquipier, même s’il était à 5 centimètres de toi »


Quelles ont été tes premières sensations à Strasbourg ?

J’ai senti que c’était un grand club. Au Danemark, je ne jouais pas avec des aussi bons joueurs.


Peux-tu nous dire un mot sur ces grands joueurs que tu as côtoyés à Strasbourg : Pascal Nouma, David Zitelli, Gérald Baticle, Corentin Martins, Olivier Dacourt, Valérien Ismaël, Jan Suchoparek, Habib Beye, Alexander Vencel ?
Pascal Nouma, c’est un dingue (rires). Plus sérieusement, c’est un bon mec. Il apportait de la bonne humeur dans le vestiaire. David Zitelli était impressionnant dans la finition. Dès qu’il avait un ballon dans la surface ça se terminait souvent par un but. Gérald Baticle était le capitaine de Strasbourg à l’époque. Même s’il ne parlait pas très bien anglais à l’époque, il faisait tout pour bien m’intégrer. Sur le terrain, il était très professionnel. Corentin Martins était un très bon joueur. Il était très performant avec les deux pieds, il donnait de très bonnes passes, il avait une bonne frappe. C’était un joueur complet. Il lui manquait peut-être un peu de vitesse. Cela lui aurait permis de devenir un top joueur mondial. Olivier Dacourt donnait tout sur le terrain et n’avait pas peur de donner des coups. Valérien Ismaël, j’ai joué six mois avec lui. Avec sa frappe de dingue contre l’Inter Milan, beaucoup de clubs se sont intéressés à lui. C’était un très bon défenseur, très sérieux. Je me souviens qu’en match de préparation, Strasbourg avait battu un club amateur 5-1. Il avait fait une erreur et Strasbourg avait concédé un but. Après le match, il pleurait dans le vestiaire. Il était fâché contre lui-même. Ça montrait que le foot, c’était tout pour lui. Jan Suchoparek, c’était un super gars, toujours très professionnel, il donnait tout sur le terrain. Habib Beye, je l’ai connu à la fin de mon passage à Strasbourg. Je ne jouais plus beaucoup à l’époque. Physiquement, il était costaud et il allait vite. Il a rapidement progressé à Strasbourg notamment sur le plan technique. Alexander Vencel était un super gardien. Il faisait des arrêts extraordinaires, vraiment. C’était un bon gars. Il était souvent avec Jan Suchoparek et était également très professionnel. Enfin, j’ajoute un petit mot sur Jacky Duguépéroux : c’est lui qui m’a donné ma chance à Strasbourg. C’était un bon entraîneur et c’est dommage qu’il ait été viré. On avait fait un bon parcours en Coupe d’Europe en 1997/98 mais en championnat, ce n’étais pas assez satisfaisant (ndrl : Strasbourg a fini 13eme de L1 en 1998). L’équipe avait du mal à enchaîner sur les deux tableaux. C’était un entraîneur avec des méthodes un peu anciennes. Mais il était toujours correct avec toi si tu étais professionnel. Jacky Duguépéroux est vraiment très attaché au Racing Club de Strasbourg.


Durant ton passage en Ligue 1 entre 1997 et 2001, comment trouvais-tu le niveau de la Ligue 1 ?
Il y avait un bon niveau. Monaco était déjà solide avec Thierry Henry, David Trezeguet et Jean Tigana sur le banc. Il y avait Paris aussi avec Jay Jay Okocha. Pour moi, les deux plus forts que j’ai affrontés en Ligue 1 sont Thierry Henry et Jay Jay Okocha. Concernant les gardiens de but, j’ai été marqué par Bernard Lama.


En 1997/98, Strasbourg a réalisé une belle épopée en Coupe de l’UEFA (aujourd’hui appelée Ligue Europa). Il y a d’abord cette victoire contre les Glasgow Rangers à domicile et à l’extérieur (2-1 à chaque fois). Que retiens-tu de ces deux confrontations face à ce gros d’Europe ?
A l’aller, c’était mon deuxième match de la saison en tant que titulaire. On a fait un bon match à la Meinau en gagnant 2-1. Le tempo était vraiment très élevé. Quant au retour à Ibrox Park, c’est l’un des matchs les plus fous que j’ai vécu. Je me souviens à l’échauffement il y avait pratiquement personne dans le stade. On revient dans le vestiaire. Et là dix minutes plus tard, à notre arrivée sur le terrain, plus de 50 000 supporters des Rangers nous attendaient. Il y avait tellement de bruit que tu ne pouvais pas entendre ton coéquipier même s’il était à 5 centimètres de toi. Là-bas aussi j’ai joué un très bon match. On a gagné 2-1. C’était un grand exploit à l’époque de gagner là-bas car il y avait Paul Gascoigne ou Brian Laudrup aux Glasgow Rangers.


Qu’est-ce que t’as dit ton compatriote danois, Brian Laudrup, à la fin du match ?
En fait, il ne savait même pas que j’étais danois (sourire). Je lui ai dit « Bon match » en danois et il m’a regardé bizarrement. Il était vraiment surpris.


Ensuite, en 16emes de finale de Coupe de l’UEFA, vous tombez face à Liverpool. Un nouveau tirage difficile pour Strasbourg mais vous gagnez 3-0 à la Meinau et tu marques le dernier but…
Nous avons probablement réalisé notre meilleure prestation en Coupe d’Europe face à Liverpool. A l’époque, Robbie Fowler, Steve McManaman ou Paul Ince jouaient à Liverpool. Mais nous, on voulait juste gagner, tout casser. Même si c’était Liverpool en face. Concernant mon but, c’est le premier que j’ai inscrit avec Strasbourg. C’était un vrai bonheur de marquer dans un match comme ça, le but du 3-0 en plus. Nous avions besoin de ce but pour nous rapprocher de la qualification avant d’aller à Anfield. Mon but contre Liverpool, à la Meinau, en Coupe d’Europe est le meilleur moment de ma carrière.

Comment avez-vous réussi à tenir à Anfield (2-0 pour Liverpool mais Strasbourg qualifié sur l’ensemble des deux matchs) ?
Strasbourg avait bien géré en première mi-temps. Il y avait 0-0 à la pause. Quinze minutes avant la fin, Liverpool marque son premier but. Là tu commences à avoir la pression et rapidement les Reds inscrivent leur deuxième but. Heureusement on a bien géré sur le plan tactique mais dans l’ensemble Strasbourg n’avait pas bien joué à Liverpool. Mais nous nous sommes bien battus pour garder l’avantage et nous qualifier. Nous avions aussi de l’expérience derrière avec Jan Suchoparek et Alexander Vencel. Ils ont su calmer l’équipe dans les moments difficiles. C’était un énorme plaisir de se qualifier face à un grand d’Europe.


En 8emes de finale, Strasbourg a affronté l’Inter Milan (victoire 2-0 de Strasbourg à la Meinau et défaite 3-0 à San Siro). Que retiens-tu de l’ensemble des confrontations ?
C’est lors de ces deux confrontations que j’ai rencontré le meilleur joueur du monde : Ronado. Il était extraordinaire. Je pense qu’il est meilleur que Cristiano Ronaldo ou Lionel Messi. Il dribblait en sprintant. Il allait tellement vite. J’ai vraiment été impressionné. Mais comme contre Liverpool, on avait la même mentalité : nous respections l’Inter Milan mais nous souhaitions les battre avant tout. Nous étions d’ailleurs convaincus que nous pouvions les battre.


« Contre l’Inter Milan, les supporters strasbourgeois avaient été extraordinaires. Je me souviens aussi du coup-franc terrible de Valérien Ismaël. Je pense qu’il n’a jamais remarqué un tel coup-franc dans sa carrière »


Vous avez battu l’Inter Milan à la Meinau (2-0). C’était un autre grand exploit à l’époque…
Oui. D’ailleurs, l’Inter Milan a gagné la Coupe de l’UEFA à l’issue de la saison. Peu d’équipes ont battu l’Inter Milan 2-0 à l’époque. Lors de cette rencontre, notre mentalité et la grosse ambiance à la Meinau ont fait la différence. Les supporters strasbourgeois avaient été extraordinaires. Je me souviens aussi du coup-franc terrible de Valérien Ismaël. Je pense qu’il n’a jamais remarqué un tel coup-franc dans sa carrière. C’était une grande soirée européenne.


Comment expliques-tu la défaite (0-3) sur le terrain de l’Inter Milan au retour ?
Ronaldo avait encore été extraordinaire. Youri Djorkaeff avait aussi fait un grand match. C’était difficile pour nous face à de tels joueurs. Personnellement, je devais débuter la rencontre, mais à l’entraînement quelques jours plus tôt un jeune gardien de Strasbourg a sauté sur ma jambe. J’ai été blessé, je n’étais pas prêt pour jouer l’intégralité de ce match retour. Je suis rentré en fin de rencontre. J’ai même eu une occasion de marquer mais ma frappe a rasé le poteau adverse.


Est-ce que Strasbourg a eu du mal à se remettre de cette élimination ?
Oui peut-être car après l’élimination en Coupe d’Europe, Strasbourg n’a plus rejoué à un tel niveau. Puis les choses ont changé quand Jacky Duguépéroux s’est fait virer en 1998.


Pierre Mankowski lui a succédé sur le banc strasbourgeois. Quelles étaient tes relations avec le nouvel entraîneur de Strasbourg ?
Ce n’était pas super. Tout comme avec Claude Le Roy ensuite. On m’a demandé de m’entraîner seul avec cinq ou six autres joueurs. Claude Le Roy avait fait venir Joseph Ndo, Mario Haas ou Gonzalo Belloso. Du coup, les nouveaux joueurs devaient jouer et je me suis retrouvé écarté du groupe. J’aurais dû partir à ce moment-là. Mais je n’ai pas lâché pensant que je reviendrai dans le groupe. Mais ça ne s’est pas passé comme ça. J’ai perdu mon temps. Je n’ai pas aimé mes derniers mois à Strasbourg. Claude Le Roy ne m’a pas bien traité.


« Ma dernière année à Strasbourg, c’était presque l’enfer »


Juste avant ton départ, tu as pu côtoyer José-Luis Chilavert à Strasbourg . Quels souvenirs gardes-tu de l’ex-gardien international paraguayen ?
Je pense que sa personnalité ne collait pas vraiment à celle de Strasbourg. Il avait un grand nom, bien sûr, mais il n’était pas en forme à l’époque. Alexander Vencel était meilleur.


Quel bilan fais-tu de ton passage à Strasbourg entre 1997 et 2001 ?
C’était vraiment bien lors des dix-huit premiers mois. Mais la dernière année, c’était presque l’enfer. J’étais jeune et il fallait que je joue. Tu joues au foot pendant environ dix ans et c’est dommage de perdre un an et demi comme ça. Après Strasbourg, je suis retourné au Danemark pour relancer ma carrière.


Tu as aussi joué aux Pays-Bas, au Sparta Rotterdam. Que retiens-tu de cette expérience ?
Je suis arrivé en cours de saison. L’équipe était déjà mal classée et je n’ai pas pu empêcher la relégation. Mais j’ai quand même marqué des buts. Frank Rijkaard était le coach de l’équipe. C’est lui qui m’a fait venir. C’est un entraîneur cool. Il y avait aussi Aaron Winter dans l’équipe. C’est vraiment quelqu’un de rigolo. Ensuite je suis revenu au Danemark. Mais j’ai moins joué car j’ai beaucoup été blessé pendant la fin de ma carrière. Je retiens aussi que j’ai joué deux matchs avec l’équipe nationale danoise en 2004.


Tu as également joué en Norvège à la fin de ta carrière…
En Norvège, je n’ai pas touché le ballon (rires). Il n’y avait que des longues balles (il mime avec le regard de gauche à droite, et de droite à gauche). Ce n’était pas le foot que j’aime.


«Si tu veux quelque chose dans la vie, c’est possible si tu te bats pour l’avoir »


Que penses-tu du foot danois qui a beaucoup progressé ces derniers mois grâce notamment à une nouvelle génération : Christian Eriksen, Thomas Delaney, Nicolaï Jørgensen, Andreas Cornelius, Pione Sisto, Yussuf Poulsen ?
Après la retraite des frères Laudrup, l’équipe danoise manquait un peu de personnalité. Aujourd’hui, le foot danois s’est amélioré. Lors de ses derniers matchs, le Danemark a vraiment bien joué. Christian Eriksen est devenu un joueur mature. Il peut être l’une des grandes stars de la Coupe du monde.


Penses-tu que le Danemark peut battre la France en phase de groupe de la Coupe du monde 2018 ?

Pourquoi pas, le Danemark peut croire en ses chances. Le Danemark peut créer la surprise. Mais la France reste favorite.


Enfin, souhaites-tu ajouter quelque chose ?

Ma carrière de footballeur professionnel m’a beaucoup apporté. Ça m’a donné une base. Si tu veux quelque chose dans la vie, c’est possible si tu te bats pour l’avoir. A 18 ans, j’ai été blessé gravement au pied deux fois en jouant au football. Ma famille me disait : « arrête ». Mais j’ai quand même continué et j’ai eu raison.


Propos recueillis par Thierry Lesage