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Chez les observateurs de foot en France, le nom de Martin Djetou est souvent associé à ceux qui ont également été écartés par Aimé Jacquet à quelques jours de la Coupe du Monde 1998. Mais Martin Djetou, c’est avant-tout un joueur qui était craint par tous les attaquants de Ligue 1 et en Europe dans les années 90 et au début des années 2000. Mais aussi un défenseur qui a joué les demi-finales de la Ligue des Champions en 1998 et remporté deux fois le titre de Champion de France avec Monaco en 1997 et 2000. Ce week-end, Foot d’Avant vous propose un week-end spécial Martin Djetou. Première partie ce samedi avec ses années strasbourgeoises.

 

Martin Djetou, que deviens-tu depuis la fin de ta carrière de joueur de football en 2008 ?
J’ai d’abord pris le temps de réaliser que je ne pouvais plus jouer. Je me suis bien reposé et j’ai bien profité de ma famille. Puis j’ai eu la proposition de Marc Keller de revenir au Racing Club de Strasbourg. Il voulait faire un peu comme le Bayern Munich en rappelant des anciens du Racing. Son frère, François, que j’ai côtoyé au centre de formation, m’a demandé si je voulais devenir entraîneur des jeunes. Dès le début, ç’a bien pris et depuis quatre ans, je suis en charge des U16 à Strasbourg.

 

Revenons en arrière Martin. Quels sont tes souvenirs de foot quand tu étais enfant à Vitry-sur-Seine ?
Comme tous les jeunes, le Brésil me faisait rêver. Lors des années de Coupe du Monde, tous les jeunes du quartier se retrouvaient. On faisait des équipes. Il y avait l’Allemagne, l’Italie, l’Argentine ou le Cameroun. Nous, on ne jouait pas à la Playstation mais en bas de la cité. On faisait nous-mêmes les buts avec deux caddies qui n’avaient pas été ramenés au supermarché. Ils servaient aussi de filets au mois de juin pendant Roland-Garros (rires). Pendant ma jeunesse, le sport a été très, très présent.

 

Avant de t’engager au Racing Club de Strasbourg à 16 ans, tu as failli rejoindre les Girondins de Bordeaux quelques jours plus tôt…
Je jouais à Créteil à l’époque et nous étions dans la même poule que le Racing Club de Strasbourg. Quand on a joué à Strasbourg, notre bus s’est trompé de direction et nous a emmenés au Stade de la Meinau. Quand j’ai vu ce stade, j’ai dit à notre entraîneur, Marc Westerloppe: « moi coach l’année prochaine, je jouerai ici ». Il m’a répondu : « espèce de fanfaron, pense à ton match ». Même si Créteil a perdu 1-0 j’ai fait un super match au poste d’attaquant. Au retour, on leur a mis une raclée 3-0. Ensuite, j’ai reçu une lettre de Bordeaux. J’y suis allé avec Grégory Malicki. J’ai été accepté et j’ai d’ailleurs fait quelques jours d’entraînement avec Christophe Dugarry. Finalement, je n’ai pas voulu signer à Bordeaux. Je n’ai même pas visité la ville, je suis resté toute la semaine au Haillan. J’ai donc déclaré que je voulais en parler à mon tuteur, le mari de ma grande sœur. Il m’a dit : « alors qu’est-ce que tu décides ? ». Je lui ai répondu : « moi, manger, dormir football sept jours sur sept, je ne peux pas ».

 

« L’été avec Olivier Dacourt, on attendait que le gardien aille se coucher, on enlevait nos baskets, on sautait le grillage et on se faisait un foot au Stade de la Meinau »

Comment Strasbourg est venu te chercher en 1990 ?
Quand je suis revenu de Bordeaux, j’avais un billet d’avion qui m’attendait pour rejoindre Strasbourg. J’étais tellement content que je l’ai loupé car je voulais annoncer à tous mes potes que je signais au Racing Club de Strasbourg. Le club m’a dit : « ok, on va te réserver un autre billet, ce n’est pas grave ». Quand je suis arrivé à Strasbourg, c’est Olivier Dacourt qui m’a accueilli. A la fin de mon premier entraînement, j’ai signé pour le Racing. C’était une belle époque, nous avons d’aillleurs été champions de France U17 nationaux en 1991/92.

Gilbert Gress t’a fait monter dans le groupe professionnel. Comment as-tu réussi ton intégration avec cet entraîneur à poigne ?
Gilbert Gress est tout simplement quelqu’un qui sait ce qu’il veut. Il part du principe que le don existe mais qu’il faut beaucoup de travail à côté. Avec lui, si tu veux obtenir quelque chose, tu dois l’obtenir grâce à ton travail. Grâce à Gilbert Gress, j’ai appris à toujours me surpasser. Même si parfois c’était trop. Quand j’arrivais à table, je n’avais plus faim. Le mot passionné n’est pas assez fort pour qualifier Gilbert Gress. C’est lui d’ailleurs qui m’a fait reculer sur le terrain et qui m’a lancé en pro. C’était contre Saint-Étienne en Coupe de France, Strasbourg avait gagné 4-3 à la Meinau. J’étais au marquage d’Etienne Mendy qui était très rapide. Puis les matchs se sont enchaînés et j’ai signé pro en 1994.

 

Qu’as-tu ressenti quand tu as foulé la pelouse de la Meinau ?
Lors de mes tout premiers jours à Strasbourg, Max Hild m’a présenté à Stephen Keshi. Il a dit : « Stéphane, je te présente ton fils ». Nous étions aussi costauds au niveau des cuisses et on en a rigolé. Le lendemain, j’avais été marqué par la Meinau en tant que spectateur. J’avais vu un superbe Strasbourg-Rennes avec un doublé de Jacky Paillard et un but d’anthologie de Stephen Keshi.  Le stade était plein à craquer. C’était magnifique. Par ailleurs, l’été avec Olivier Dacourt, on attendait que le gardien aille se coucher, on enlevait nos baskets, on sautait le grillage et on se faisait un foot au Stade de la Meinau. Le lendemain matin, le gardien voyait des pas sur la pelouse mais il ne pouvait pas nous accuser car il ne nous avait pas vus. A ce moment-là, on rêvait de jouer sur cette pelouse avec les pros et Dieu merci, c’est arrivé un jour.

 

« A l’époque où je suis arrivé au Racing, il y avait encore des skinheads qui pourrissaient l’ambiance à la Meinau. On m’a lancé des bananes et j’ai entendu des cris de singe lors de mon premier match à domicile »

 

Quand on est joueur strasbourgeois, quel effet ça fait de jouer dans une telle ambiance ?
C’est magnifique franchement. Le Stade de la Meinau vit pour le football. On a un peu un stade à l’anglaise. D’ailleurs, le club veut faire comme les anglais en faisant venir des supporters de plusieurs générations au stade dans un climat festif et agréable. Moi à l’époque où je suis arrivé au Racing, il y avait encore des skinheads qui pourrissaient l’ambiance à la Meinau. On m’a lancé des bananes et j’ai entendu des cris de singe lors de mon premier match à domicile. Quand les joueurs rentraient sur la pelouse de la Meinau, ils étaient juste en face et en bas. Même certains après-midi, ils squattaient le stade car la Meinau était ouverte. Nous, on ne pouvait pas toujours rentrer au centre de formation après l’école car ils pouvaient nous courser. Heureusement, ils ne viennent plus au stade et maintenant on ne peut plus entrer dans la Meinau aussi facilement qu’avant.

 

A l’époque à Strasbourg, il y avait plein de grands défenseurs comme Franck Leboeuf ou Franck Sauzée. Qui t’a le plus apporté ?
Quand j’ai commencé à Strasbourg, Franck Sauzée me disait : « mon petit, dès que tu récupères le ballon, tu me le donnes et je ferai le reste ». Franck Leboeuf était top avec Olivier Dacourt et moi. Il venait nous chercher au centre de formation pour nous emmener chez lui. On parlait de la vie en général. C’est un bon vivant Franck et un guerrier sur le terrain. Il communiquait et nous encourageait tout le temps. Dans le vestiaire à Strasbourg, mon père c’était Pascal Baills. J’étais en chambre avec lui lors des déplacements. Un jour, quand il s’est acheté une Porsche, il a dit à sa femme de venir à l’hôtel où nous dormions. Il était un peu plus de 22h et elle est venue exprès à l’hôtel pour que je vois la voiture. J’ai trouvé ça mignon.

 

Lors de tes dernières années à Strasbourg, tu as été coaché par Daniel Jeandupeux et Jacky Duguéperoux. Quels souvenirs gardes-tu de ces coachs ?
Jacky Duguépéroux est un peu dans la lignée de Gilbert Gress en plus tendre quand même. Il était aussi très travailleur. Quant à Daniel Jeandupeux, je retiens son âme intellectuelle. J’ai apprécié l’homme mais pas l’entraîneur. Quand il a repris l’équipe à l’été 1994, il ne prenait pas des décisions justes. A cette époque-là, je méritais de jouer mais il me mettait sur le banc car j’étais encore à l’armée.

 

« En mai 1996, le président Weller est venu me voir dans la douche après un match à Louis II (ndlr : défaite de Strasbourg 5-1) et on a pleuré tous les deux. Il m’a expliqué que le club était dans la panade car les caisses étaient vides. Pour sauver Strasbourg, je devais être transféré »

Lors de ton passage à Strasbourg, il y a eu cette fameuse double-confrontation en Coupe d’Europe contre le Milan AC en 1995…
On perd 1-0 à la Meinau et 2-1 là-bas. Franck Sauzée avait marqué un superbe coup-franc. A San Siro, j’ai fini le match avec une fracture au pied suite à un choc avec Zvonimir Boban. Devant au Milan AC, c’était solide avec George Weah et Marco Simone. Ce soir-là, l’intensité était très importante. Ça allait beaucoup plus vite, c’était plus intelligent dans le jeu. C’était impressionnant. D’ailleurs après ce match-là, le Milan AC voulait me recruter.

 

Pourquoi es-tu parti à Monaco et non pas à l’AC Milan en 1996 ?
Monaco me suivait depuis deux ans à cette époque. Lors de la fin de saison 1995/96, Strasbourg perd 5-1 à Louis II (ndlr : 37eme journée). A la fin de la rencontre, le Prince de Monaco, le président Campora et Jean Tigana demandent à me voir. J’étais sous la douche en train de pleurer parce que j’avais perdu et des membres du staff strasbourgeois m’ont dit : « il faut que tu y ailles car Monaco veut que tu signes ». Moi je venais de perdre un match, je n’avais pas la tête à ça. Le président Roland Weller est venu me voir et on a pleuré tous les deux. Il m’a expliqué que le club était dans la panade car les caisses étaient vides. Pour sauver Strasbourg, je devais être transféré. J’ai demandé à rester dormir le soir à Monaco et j’ai discuté du contrat le lendemain matin après le petit-déjeuner.

 

Propos recueillis par Thierry Lesage

 

Tu as aimé cette interview ? Retrouve la suite de l’entretien de Martin Djetou, époque Monaco, équipe de France, Parme, Fulham et Nice, demain sur Foot d’Avant

 

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