Vous vous êtes toujours demandé ce que ressentent les arbitres quand ils se font insulter par les supporters et critiquer presque chaque week-end après une erreur d’arbitrage ? Dans cette superbe interview, Philippe Malige vous fait revivre son ancien quotidien d’arbitre de L1 (de 2004 à 2012) et explique pourquoi il faut donner davantage la parole aux arbitres.

 

Philippe Malige, que devenez-vous depuis la fin de votre carrière d’arbitre professionnel en 2012 ?
A la fin de ma carrière, j’ai pris une année sabbatique car le haut niveau est assez prenant. Ensuite, je suis devenu observateur d’arbitres en Ligue 1. Je faisais des rapports qui servaient à effectuer un classement en fin de saison. J’ai fait ça pendant quatre ans et j’ai arrêté car j’étais en désaccord avec la politique d’arbitrage de la fédération. Je suis aujourd’hui délégué régional d’Occitanie pour le SAFE (Syndicat des arbitres du football d’élite), c’est l’équivalent de l’UNECATEF ou de l’UNFP pour les arbitres.

 

Tony Chapron est désormais consultant sur Canal +. Que pensez-vous de cette nomination ?
J’ai toujours milité pour donner la parole aux arbitres. Je me réjouis que Canal + ait embauché Tony Chapron. On va avoir un expert qui pourra s’exprimer sur les questions d’arbitrage. Tony Chapron avait une réputation qui était un peu trop négative. Pourtant c’est quelqu’un de très intelligent. Chez les consultants, il y a aussi Joël Quiniou et Bruno Derrien. C’est très bien. Mais je regrette qu’il n’y en ait pas plus.

 

La VAR a été introduite cette saison en Ligue 1. Etes-vous pour ou contre ?
Sur le principe, je suis pour. Pour moi, c’est utile et positif. Si on m’avait demandé mon avis à l’époque et que j’avais pu m’exprimer librement, j’aurais dit que j’étais pour. Comme le A l’indique, c’est une assistance pour les arbitres. Ils ont beau être de mieux en mieux préparés physiquement, il y aura toujours des erreurs commises. La VAR est là pour en réduire le nombre. Derrière l’écran, il y a aussi des hommes. Donc qui dit activité humaine dit erreur possible. Du coup, ça ne va pas tout régler. Il y aura toujours des polémiques liées à l’interprétation.

 

« Michel Vautrot est l’arbitre qui m’a le plus influencé. J’aimais sa personnalité sur le terrain, sa façon de s’adresser aux joueurs avec beaucoup de connivence. Il était apprécié et respecté par tous les joueurs, notamment les plus grands de l’époque »

 

La VAR amène aussi parfois à des situations compliquées comme Saint-Etienne-Amiens (0-0) dimanche dernier ?
La justice sportive aura peut être comme conséquence la réduction de la spontanéité dans le jeu. Quand Thimothée Kolodziejczak a marqué, le stade s’est levé et quelques minutes après on a annulé le but pour une faute. C’est le revers de la médaille. C’est le prix à payer. Mais maintenant avec tous les enjeux qu’il y a, on ne peut plus se permettre de jouer un titre, un maintien ou une finale de Coupe du Monde sur une erreur d’arbitrage.

 

Revenons en arrière. Plus jeune, l’arbitrage était-il une vocation pour vous ?
Mon père était arbitre au niveau départemental. Tout petit, j’ai baigné dedans. J’ai joué au foot jusqu’en U17. Mais je n’étais pas Cristiano Ronaldo. Je me suis essayé à l’arbitrage à 14 ans et c’était vraiment une vocation. J’y ai vite pris goût. J’ai arrêté à 45 ans et je suis toujours dans le milieu de l’arbitrage. Au collège, quand il fallait un arbitre, j’étais souvent candidat. En étant arbitre, on est garant de la justice sportive. C’est une activité passionnante. J’ai eu la chance de ne jamais être agressé plus jeune donc je n’ai pas pu être dégoûté. Du coup, j’ai progressé dans la hiérarchie au fur et à mesure du temps.

Plus jeune, quel arbitre français vous inspirait le plus ?
Celui qui m’a influencé, c’est Michel Vautrot. J’ai encore des contacts avec lui. Il a été numéro un français et mondial pendant de nombreuses années. Il a arbitré en Coupe du Monde. J’aimais sa personnalité sur le terrain, sa façon de s’adresser aux joueurs avec beaucoup de connivence. Il était apprécié et respecté par tous les joueurs, notamment les plus grands de l’époque. A côté de ça, il est d’une telle gentillesse et d’une telle simplicité.

 

«  Au fur et à mesure que je grimpais dans l’arbitrage, je suis passé à 80% dans la banque où je travaillais en parallèle, puis à mi-temps puis j’ai arrêté deux ans avant la fin de ma carrière d’arbitre. Entre les déplacements, les entraînements, les stages à Paris, les matchs à l’étranger en semaine, c’était trop prenant »

 

Pendant votre carrière d’arbitre, exerciez-vous un autre métier en parallèle ?
Oui, j’étais employé de banque. Au fur et à mesure que je grimpais dans l’arbitrage, je suis passé à 80%, puis à mi-temps puis j’ai arrêté deux ans avant la fin de ma carrière d’arbitre. Entre les déplacements, les entraînements, les stages à Paris, les matchs à l’étranger en semaine, c’était trop prenant. Sinon ça arrivait souvent que des clients me reconnaissent. Ce qui était rigolo, c’était quand j’arbitrais le samedi ou le dimanche soir et que le lundi matin on me demandait : « excusez-moi, je peux vous poser une question ? ». Moi je la connaissais d’avance la question (rires).

 

Vous avez arbitré votre premier match de Ligue 1 en août 2004. C’était un certain Caen-Istres (1-1). Quels souvenirs gardez-vous de vos débuts ?
J’étais promu en Ligue 1 en tant qu’arbitre. D’ailleurs, nous étions tous promus sur le terrain ce soir-là. Quand on commence à arbitrer et à y prendre goût, c’est comme un joueur de foot, on a envie de monter au haut niveau. Le match s’est bien passé et ça m’a donné un capital confiance qui m’a permis de durer huit ans. Pendant ces huit années, j’ai toujours eu conscience de la chance que j’avais. J’ai peur que cette flamme et cette passion soient moins présentes que nous à l’époque. Moi je me souviens du plaisir que j’avais quand je voyais la désignation du match sur Internet et le fait de m’imaginer arbitrer dans tel ou tel stade. J’ai eu la chance d’avoir la même équipe d’arbitres de touche : Philippe Larose, Stéphane Mercier et Didier Grenier. On était une équipe de camarades qui partait arbitrer.

 

Sur vos huit ans en Ligue 1, quel souvenir vous a le plus marqué ?
J’en ai tellement que je ne sais pas lequel ressortir. J’ai participé aux finales de la Coupe de la Ligue 2006 (Nancy-Nice) et de la Coupe de France 2009 (Rennes-Guingamp) en tant que quatrième arbitre. Pareil à Barcelone, Munich et Milan en Ligue des Champions. J’ai eu la chance d’aller dans ces stades mythiques. Sinon le moment qui me revient à chaque fois est ce match Marseille-Auxerre au Vélodrome en 2009. J’ai annulé un carton rouge sur Baky Koné car l’Auxerrois Walter Birsa, également impliqué sur la faute, m’a confié qu’il n’avait pas été agressé mais qu’il était tombé tout seul. J’ai admiré son fair-play.

 

« Les insultes des supporters, on les entend car on n’est pas sourd. Ces insultes ne font jamais plaisir mais elles font partie du folklore. Ça ne peut pas influencer sur une décision »

 

Beaucoup de fans de foot se demandent toujours si l’arbitre entend les insultes des supporters. Est-ce qu’elles pouvaient vous perturber ?
On les entend, oui forcément, car on n’est pas sourd. Moi comme mes collègues, ces insultes ne nous faisaient pas gamberger. Quand on monte de division, on s’habitue à certaines ambiances qui peuvent être compliquées pour les arbitres. Cela forge le caractère. Ces insultes ne font jamais plaisir mais elles font partie du folklore. Ça ne peut pas influencer sur une décision.

 

Durant votre carrière, vous est-il déjà arrivé de siffler un penalty par compensation ?
Non. Par contre, siffler un penalty et ne pas être sûr, oui ça m’est déjà arrivé. Chez les arbitres, il y a un dicton qui dit : « les erreurs ne se compensent pas, elles s’accumulent ». Si vous sifflez un penalty de compensation, ça va faire deux erreurs d’arbitrage au lieu d’une.

 

Dans quel stade avez-vous pris le plus de plaisir à arbitrer ?
Je ne vais pas être original mais le Vélodrome, le Parc des Princes, Geoffroy-Guichard, les stades où il y a de l’ambiance. C’est ultra motivant d’arbitrer dans un stade qui ne fait que chanter. C’est comme pour les joueurs. Je regrette de ne pas avoir connu le Vélodrome nouvelle formule. Quant au Parc des Princes, il y avait une grosse caisse de résonance. Pourtant à l’époque le PSG jouait plus le maintien que la Ligue des Champions.

 

«  Cyril Rool, ce n’était pas un problème. Il mettait des tacles d’accord, mais il n’embattait pas l’arbitre. Quand je sifflais un coup-franc, certains joueurs venaient comme des guêpes autour de moi. Et c’est vrai que d’avoir un relais par l’intermédiaire d’Olivier Echouafni, c’était utile »

 

Avec quel(s) coach(s) aimiez-vous bien échanger ?
Le coach avec lequel j’aimais avoir à faire c’était Frédéric Antonetti. Quand il avait quelque chose à dire, il vous le disait. J’allais le voir sur son banc, on communiquait rapidement et ça se passait toujours bien. Je pense aussi à Antoine Kombouaré. Il y avait un respect mutuel entre nous. C’est paradoxal car les coachs qui ne bougent pas, qui ne se lèvent pas et ne disent rien, les arbitres les apprécient mais on n’a pas de contact avec eux car on n’a pas besoin de venir leur parler. Les Ricardo, Paul Le Guen étaient très appréciés des arbitres mais je ne sais pas si eux le savaient.

 

Quel(s) joueur(s) avez-vous aimé arbitrer ?
J’aimais bien Olivier Echouafni, l’ex-capitaine de Nice. J’ai arbitré quatre ans en CFA et en tant que Nîmois, j’allais souvent en Ligue Méditerranée. J’ai arbitré plein de fois la réserve de Marseille au milieu des années 90. J’ai arbitré toute une génération de joueurs pendant plusieurs années qui a fait une carrière pro ensuite. C’était donc un plaisir de revoir Olivier Echouafni en Ligue 1. Il me servait de relais quand j’arbitrais au Stade du Ray car Nice était une équipe assez compliquée à arbitrer. Pourquoi ? Parce qu’il y avait le contexte du Stade du Ray qui était chaud bouillant et il y avait beaucoup de joueurs de tempérament.

 

Cyril Rool notamment ?
Oui mais Cyril Rool à la limite, ce n’était pas un problème. Il mettait des tacles d’accord, mais il n’embattait pas l’arbitre. Quand je sifflais un coup-franc, certains joueurs venaient comme des guêpes autour de moi. Et c’est vrai que d’avoir un relais par l’intermédiaire d’Olivier Echouafni, c’était utile. J’ai bien aimé arbitrer Jacques Abardonado que j’ai aussi rencontré quand il était avec la réserve de l’OM. Je pense aussi à Jérémie Janot, Patrick Guillou et Eric Carrière. C’était agréable de communiquer avec ce genre de joueurs. Nassim Akrour aussi, c’est un super gars.

 

«  Permettre aux arbitres de communiquer après les matchs, ça désamorcerait des situations qui s’enveniment car l’arbitre n’a pas pu s’exprimer. Peut-être qu’eux aimeraient s’exprimer. Mais on leur interdit strictement »

 

Quand on est arbitre et qu’on fait une erreur d’arbitrage le samedi soir, comment vit-on le jour d’après quand tous les médias et spécialistes vous fracassent en boucle ?
Quand un arbitre fait une erreur, il est vite mis au courant. Après le match, il reçoit des SMS et surtout il reçoit une clé USB où il peut revisionner son match pour travailler dessus. Quand un arbitre faillit à sa mission, il n’est pas content. Après le pire, c’est quand ça touche les proches, l’épouse de l’arbitre quand elle va bosser, ou les enfants quand ils vont à l’école. Certains de mes collègues ont reçu des menaces de mort. La force des arbitres de haut niveau est de pouvoir digérer tout ça et d’arbitrer le week-end suivant.

 

Après les matchs, les arbitres devraient-ils s’exprimer davantage pour expliquer certaines décisions ?
Évidemment, oui. Ça fait partie des désaccords que j’avais avec la direction de l’arbitrage. Permettre aux arbitres de communiquer après les matchs, ça désamorcerait des situations qui s’enveniment car l’arbitre n’a pas pu s’exprimer. Peut-être qu’eux aimeraient s’exprimer. Mais on leur interdit strictement. A la fin d’un match, les deux capitaines vont s’exprimer sur une situation de match, après ça va être les présidents, les médias. Le seul qui ne va pas pouvoir s’exprimer, c’est l’arbitre. Tout le monde lui tombe dessus et il ne peut pas se défendre. Personne ne vient à sa rescousse. En permettant aux arbitres de s’exprimer, on découvrirait des hommes et on développerait leur aspect humain.

 

Enfin souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
J’ai vécu 30 ans de bonheur et de passion en tant qu’arbitre. Mon vœu pieux serait qu’il y ait plus de compréhension envers les arbitres. Ils sont humains comme les joueurs. Cette compréhension serait possible si on leur permettait de communiquer un peu plus. Les films de la fédé où on voit les arbitres s’entraîner ne suffisent pas. Vous parliez de Tony Chapron tout à l’heure. Il a fait un geste qui est répréhensible en début d’année. Il a fait une connerie. Il l’a lui même reconnue. Il faut savoir qu’il voulait s’exprimer directement après le match mais sa direction lui a interdit. Même Waldemar Kita a dit : « il a fait une connerie, il a craqué, c’est un homme, ça arrive ». Il a reçu des soutiens d’un peu tout le monde sauf de sa direction.

 

Propos recueillis par Thierry Lesage