Son arrivée en France à l’âge de 11 ans, ses années au Red Star, sa rencontre avec Rolland Courbis, sa superbe saison aux Girondins de Bordeaux avec Jean-Pierre Papin, Stéphane Ziani ou Gilbert Bodart, son transfert à l’OM, sa complémentarité avec Laurent Blanc, la Coupe de l’UEFA 1999, son échec à l’Inter Milan, ses meilleurs souvenirs sous le maillot de la Côte d’Ivoire…Cyrille Domoraud ouvre l’album souvenirs de sa carrière dans une très belle interview accordée à Foot d’Avant.
Que deviens-tu Cyrille Domoraud depuis la fin de ta carrière de joueur de football professionnel ?
Je suis rentré en Côte d’Ivoire il y a cinq ans. Je suis président de l’association des footballeurs ivoiriens. Je m’occupe aussi de mon centre de formation. Actuellement le projet est en veilleuse mais je veux relancer ce bel outil de travail. Par ailleurs, j’ai également des activités dans l’immobilier.
Depuis la Côte d’Ivoire, que penses-tu des résultats de l’OM depuis le début de la saison ?
Aujourd’hui, ça me fait mal au cœur de voir le PSG survoler le championnat de France. Marseille doit avoir son mot à dire. Après la nouvelle direction de l’OM a un projet à long terme pour rivaliser. Marseille a besoin d’avoir un effectif encore plus complet. J’espère que l’OM aura bientôt un visage plus reluisant.
Revenons à tes débuts et notamment à l’âge de 11 ans quand tu as quitté la Côte d’Ivoire. Que représentait le foot à ce moment-là dans ta vie ?
J’ai grandi à Man, à l’ouest de la Côte d’Ivoire. Mon père, qui a créé deux collèges dans la région, a joué pour Man et a même participé à une finale de Coupe de Côte d’Ivoire. Le football est dans les gênes de la famille Domoraud. A 11 ans, je suis parti à Sucy-en-Brie pour les études. Mes parents sont restés en Côté d’Ivoire. J’ai rejoint mes deux grandes sœurs Nadine et Angelina. Un jour mon oncle, qui nous a quittés il y a deux ans, m’a dit : « Cyrille, que se passe-t-il ? Tous les week-ends je te vois en train de manger ton sandwich en regardant des films ou des dessins animés ». Il m’a emmené m’inscrire au club de foot de Sucy-en-Brie. Comme les inscriptions étaient bouclées je suis allé à Noiseau. Pour mon premier jour, je suis venu en baskets. Quand je jouais, je glissais. Ma grande sœur Angelina m’a offert ma première paire de chaussures de football. Je suis resté deux ans à Noiseau avant de rejoindre Sucy-en-Brie puis Créteil. A l’époque j’étais attaquant. Quand je suis passé chez les seniors, j’ai perdu confiance devant le but. Au cours d’un tournoi, il manquait des défenseurs. J’ai dit pourquoi pas. J’ai fait un bon tournoi et c’est parti comme ça.
Puis tu as rejoint le Red Star qui avait une superbe équipe à l’époque en Ligue 2 avec Samuel Boutal, Didier Thimothée, Steve Marlet et Ted Agasson. Quels souvenirs gardes-tu de ton passage au Red Star ?
J’en garde de très, très bons souvenirs car c’est le Red Star qui m’a propulsé au plus haut niveau. Je suis tombé dans un bon groupe avec notamment les joueurs que tu as cités. J’y ai passé deux merveilleuses années. J’ai été marqué par l’ambiance de Bauer, ce stade à l’anglaise, à l’ancienne. Quand les supporters t’encouragent, tu sens l’engouement. J’aimais bien le parfum de ce couloir entre le vestiaire et le terrain. Tout comme le président Jean-Claude Bras. Je pense aussi à Pierre Repellini qui m’a fait progresser. Il a su me mettre à l’aise et m’a aidé à me surpasser. A l’entraînement, je faisais des concours de vitesse avec Steve Marlet, je me mettais minable et on reproduisait tout ça en match. Au Red Star j’ai beaucoup progressé sur le plan physique et au niveau de la puissance. J’ai beaucoup gagné en confiance aussi.
« Après ma signature à Bordeaux, Alain Afflelou me passe le téléphone. Rolland Courbis au bout du fil : « Ah mon petit, tu me rejoins, il va falloir que tu te bouges sinon je vais te botter les fesses » »
Comment les Girondins de Bordeaux t’ont recruté en 1996 ?
Normalement, je devais signer à Metz à l’été 1996. Mes agents de l’époque étaient Marc Roger et Jean-François Larios. Finalement, Metz ne m’a pas fait signer pour un soi-disant problème à un genou. En fait, dans l’histoire il y avait un autre agent qui faisait tout pour que je travaille avec lui et qui m’empêchait d’aller à Metz. Je lui ai dit merci après car je me suis retrouvé aux Girondins de Bordeaux, le club que j’appréciais quand j’étais jeune. Rolland Courbis me voulait. Il m’avait repéré quand il entraînait Toulouse en L2. J’ai donc eu un rendez-vous avec Alain Afflelou sur les Champs-Elysées. Son bureau faisait 200m2. Je signe le contrat et il passe un coup de fil. Il me donne le téléphone. Rolland Courbis à l’appareil. « Ah mon petit, tu me rejoins, il va falloir que tu te bouges sinon je vais te botter les fesses », m’a-t-il dit. A l’époque, le groupe bordelais devait être recomposé suite aux départs de Zinédine Zidane, Bixente Lizarazu et Christophe Dugarry. Finalement on a fini européens et moi j’ai suivi Rolland à l’OM l’année d’après.
Jean-Pierre Papin a rejoint Bordeaux la même année que toi. Qu’est-ce qu’il t’a appris ?
Je ne faisais aucun complexe par rapports aux joueurs de l’effectif même si je les respectais. C’était à moi de faire ma place. JPP disait que je le surprenais car je débarquais de Ligue 2. Jean-Pierre me prenait pour son petit pourtant je ne lui faisais pas de cadeaux à l’entraînement (rires). Il m’a donné beaucoup de conseils sans jamais placer un mot plus haut que l’autre. Il disait : « les jeunes, faites attention à ne pas faire trop les fous quand vous gagnerez beaucoup d’argent ». Souvent le midi, on déjeunait ensemble. Pour moi, Jean-Pierre était un grand frère. A l’époque à Bordeaux, d’autres joueurs m’ont impressionné comme Ibou Ba qui prenait son envol mais surtout Stéphane Ziani. On l’appelait « l’ordinateur ». Avec ce joueur, il rendait facile les actions difficiles. C’était un joueur très intelligent, il faisait toujours la passe juste pour te mettre sur orbite. Il y avait aussi Johan Micoud. C’était la classe. Je me rappelle aussi de Michel Pavon. C’était l’aboyeur au milieu du terrain, il haranguait tout le monde. Sans oublier Pat’ Colleter qui était le capitaine et le gardien de but Gilbert Bodart. On le chambrait beaucoup à l’entraînement en l’appelant « le vieux » mais en match c’était plus qu’un jeune. Gilbert est quelqu’un de bien. Il y avait une bonne ambiance.
Quels ont été les moments marquants de ta saison à Bordeaux hormis le tir-au-but loupé en finale de Coupe de la Ligue contre Strasbourg ?
Aujourd’hui encore, je me dis que j’aurais dû mieux tirer mon tir au but. Ça me trotte encore dans la tête. Pendant cette saison, j’ai aussi été marqué par mon premier match en L1, c’était au Parc Lescure contre Le Havre : 1-0, but de Jean-Pierre Papin. Un autre beau souvenir : mon premier but en L1 à Nancy. C’est moi qui égalise ce soir-là. Mais mon meilleur souvenir de cette saison-là, c’est ma signature à Bordeaux. Quand j’étais à Sucy-en-Brie ou à Créteil, jamais je n’aurais imaginé faire des séances d’entraînement au Haillan quelques années plus tard avec Jean-Pierre Papin. Un joueur que j’admirais à la télé. Je remercie Dieu de m’avoir permis de vivre tout ça.
Pourquoi as-tu signé à l’OM la saison suivante, en 1997/98 ?
Rolland a vu tout le travail que j’ai effectué à Bordeaux, il a donc fait en sorte que je l’accompagne à Marseille. Je suis arrivé en retard à l’OM car j’attendais que le club dégraisse son effectif. Quand je suis reparti à Bordeaux pour récupérer mes affaires, Jean-Pierre Papin m’a dit : « Allez Cyrille, reste avec nous ». Je lui ai répondu : « ce n’est pas moi, c’est Bordeaux qui me vend ». Avant d’aller à Marseille, je suis allé en cure à Merano. L’OM envoyait tous ses joueurs là-bas pour détoxer. A Merano, j’ai rencontré Ludovic Asuar et Laurent Blanc. C’est là que notre affinité s’est créée avec Lolo. Une semaine après j’ai rejoint le groupe.
« Je n’en veux pas aux joueurs du PSG (ndlr : d’avoir soi-disant laissé Bordeaux gagner en 1999 pour empêcher l’OM d’être champion de France). J’en veux à moi-même car on a raté le titre contre Lyon et Paris à quelques journées de la fin »
Qu’est-ce qui t’a le plus marqué à ton arrivée à Marseille ?
Quand tu arrives à Marseille, tu sens que c’est différent. A Marseille, tu n’es plus dans le cocon bordelais. A Marseille, le niveau était encore plus élevé qu’à Bordeaux car Rolland a su construire un groupe conquérant et combatif. A Marseille, il faut gagner ta place. Donc tu travailles encore plus. Les phases de récupération sont encore plus importantes car les entraînements se faisaient à 200 à l’heure. Je me suis donné les moyens pour devenir titulaire.
Comment c’était de jouer à l’OM aux côtés de Laurent Blanc et Andreas Köpke ?
Avec Lolo, on avait juste à se regarder pour se comprendre et savoir ce qu’allait faire l’adversaire. Moi, j’allais plus au duel et lui était présent en couverture. Pendant mes deux saisons à l’OM, Marseille a été à chaque fois la meilleure défense du championnat de France. Avec Laurent, on s’entendait très bien mais on ne sortait pas souvent ensemble à l’extérieur. Mais on s’est encore plus rapproché à l’Inter. On partageait la même chambre en déplacement. A l’OM, j’ai aussi de très bons souvenirs de Fabrizio Ravanelli. On habitait tous les deux à Cassis. On rentrait chez nous sur son scooter et on se baignait dans sa piscine. J’ai lu dans l’Equipe qu’il me recherchait. Moi aussi j’aimerais reprendre contact avec lui car on a passé de bons moments ensemble.
Qu’as-tu ressenti quand Bordeaux s’est imposé à Paris lors de la dernière minute de la dernière journée en 1999 ? Est-ce que tu en as voulu aux joueurs du PSG ?
Je n’en veux pas aux joueurs du PSG. J’en veux à moi-même car on a raté le titre contre Lyon (0-0) et le PSG (1-2) à quelques journées de la fin. J’ai été triste de ne pas conclure mon passage à Marseille sur un titre de champion de France car c’est à l’OM que j’ai pris mon envol. Ç’a m’a aussi fait mal au cœur pour le public marseillais.
Quel est ton meilleur souvenir en Coupe de l’UEFA 1999 ?
Bologne en demi-finale. On avait concédé le nul 0-0 au Vélodrome en réalisant un gros match. Chez eux, c’était la croix et la bannière pour arracher le 1-1 notamment avec ce penalty frappé deux fois par Laurent Blanc. Quand l’arbitre lui demande de retirer, il me dit : « Cyrille, tu veux tirer ? ». Je lui ai répondu : « non merci Lolo » (rires). Il m’a beaucoup chambré après. Une fois la qualification en poche, j’ai appelé ma mère pour lui annoncer que j’allais jouer la finale de la Coupe d’Europe. Trois ans auparavant, jamais je me serais imaginé à Bologne pour jouer une place en finale de Coupe de l’UEFA. Malheureusement, on a perdu quasiment la moitié de l’équipe ce soir-là (ndlr : suite à une grosse bagarre à la fin du match).
« Si tous les joueurs suspendus avaient été présents face à Parme, ça aurait été une autre finale de Coupe de l’UEFA »
Avec les suspendus sur le terrain (ndlr : Fabrizio Ravanelli, Peter Luccin, William Gallas et Christophe Dugarry), penses-tu que Marseille aurait pu rivaliser en finale contre Parme (ndlr : défaite 0-3) ?
Je pense que ça aurait été un autre match sans faire injure à ceux qui ont joué cette finale. Ce soir-là, ç’a été un cauchemar. J’ai été désolé pour Lolo car sa passe en retrait pour Stéphane Porato a entraîné l’ouverture du score. Pourtant, l’OM avait fait une belle entame de match. Après ce but-là, Parme a déroulé. Aujourd’hui, je n’ai plus de regrets par rapport à cette finale.
Pourquoi quittes-tu l’OM pour l’Inter Milan à l’été 1999 ?
Au départ, je voulais rester à Marseille qui s’était qualifié pour la Ligue des Champions. Mais l’OM m’a laissé partir car mon transfert lui permettait de prendre de l’argent et d’acheter d’autres joueurs. De mon côté, ça m’a permis de mieux gagner ma vie et de connaître un nouveau challenge. Malheureusement, ç’a été compliqué pour moi à l’Inter car j’ai longtemps été blessé. J’ai traîné une pubalgie dès l’entame de la saison. J’ai commencé à rejouer à partir de février-mars. C’était une saison ratée. Du coup, j’ai demandé à être prêté à Bastia en 2000/01 pour faire une saison complète. Ensuite, j’ai été transféré à l’AC Milan.
Qu’est-ce qui t’a marqué au Milan AC ?
Milanello, c’était le must par rapport à tout ce que j’avais connu avant. Quand tu t’entraînes avec Paolo Maldini, Andrei Shevchenko, Fernando Redondo, c’était fabuleux. Quand je suis arrivé, le club m’a proposé d’être prêté dans la foulée à Monaco. C’est Didier Deschamps qui me voulait. C’était sa première saison en tant qu’entraîneur. Il savait nous mettre en confiance, il échangeait beaucoup et avec lui il y avait une bonne ambiance.
Tu as joué plus d’une décennie avec la sélection de Côte d’Ivoire. Quels sont tes meilleurs souvenirs avec les Éléphants ?
C’est d’abord ma première sélection en 1995 contre le Maroc, un match qualificatif pour la CAN 1996. On a gagné 2-0. Je me souviens que Joël Tiehi avait marqué ce jour-là. Le stade d’Abidjan était plein à craquer dès 10h du matin. Il y a aussi la qualification à la Coupe du Monde 2006 au Soudan. La Côte d’Ivoire n’avait jamais participé à un Mondial avant 2006. On avait perdu contre le Cameroun à Abidjan quelques semaines avant et beaucoup de gens nous donnaient éliminés mais le destin en a décidé autrement.
« Le message télévisé de Didier Drogba a eu un effet positif sur la société, il a rapproché les Ivoiriens »
Etiez-vous informé de l’évolution du score entre le Cameroun et l’Égypte (1-1) pendant le match au Soudan ?
Il y a eu une chose bizarre ce jour-là : le Cameroun a débuté son match avant nous et l’a terminé après (rires). A la fin de notre rencontre au Soudan (ndlr : 3-1 pour la Côte d’Ivoire), on nous dit : « il y a un penalty pour le Cameroun ». Nous étions tous à l’écoute et nous avons appris que le penalty avait été raté par Pierre Wome. On en a pleuré de joie. A notre arrivée le lendemain à l’aéroport d’Abidjan, c’était la folie. On a mis deux heures pour aller à la résidence présidentielle alors que normalement tu mets environ 20 minutes quand ça roule bien. C’était fabuleux. C’est le genre de souvenir que j’ai toujours dans un coin de ma tête.
Penses-tu que le message de Didier Drogba à l’issue de ce match au Soudan, pour apaiser les tensions politiques en Côte d’Ivoire, a eu un effet sur la société ivoirienne ?
Nous les footballeurs ivoiriens avions fait notre travail en rendant le peuple fier de le représenter au concert du football mondial. Je pense que son message a eu un effet positif sur la société, il a rapproché les Ivoiriens. Les politiciens n’ont pas été indifférents à ce message.
Enfin souhaites-tu ajouter quelque chose ?
Pour moi c’était un plaisir et une grâce d’avoir effectué cette carrière. Je veux dire : « gloire à Dieu » de m’avoir permis de vivre tout ça.
Propos recueillis par Thierry Lesage
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