Ses débuts en région parisienne, le FC Nantes sous Jean-Claude Suaudeau, son but contre la Juventus Turin en demi-finale de Ligue des Champions, ses moments galères à Rennes et au Mans, les années sedanaises au plus haut niveau : Eddy Capron refait le film de sa carrière professionnelle. Une carrière et une mentalité inspirées à jamais par une philosophie de vie enseignée à la Jonelière.
Eddy Capron, que deviens-tu depuis l’arrêt de ta carrière pro ?
Après ma carrière, j’ai complètement coupé avec le foot, je me suis orienté vers le domaine médical. Puis je suis retombé dedans. J’ai passé mes diplômes d’entraîneur. Je suis actuellement entraîneur de l’équipe seniors de l’AS Sautron près de Nantes. Sinon en parallèle, je suis aussi coach sportif.
Qu’est-ce qui te manque et qu’est-ce qui ne te manque pas dans le foot pro ?
Les odeurs de vestiaire et le stress d’avant-match me manquent. Ce qui ne me manque pas, ce sont les à-côtés.
Tu as été défenseur de métier, comment juges-tu l’évolution du poste ?
Il a évolué, oui, car on ne regarde plus les défenseurs comme avant. Avant, le défenseur ne devait que défendre et maintenant il doit apporter sa touche dans la partie offensive et dans la finition pour certains. Les défenseurs sont peut-être plus doués avec le ballon aujourd’hui. En ce moment, je suis agréablement surpris par Samuel Umtiti. C’est propre ce qu’il fait. Il défend de manière efficace, il est très fort en un contre un et rend des ballons propres à ses partenaires. En tant que défenseur, j’adore.
« N’étant pas le plus talentueux sur le terrain au départ, j’ai dû cravacher »
Revenons à tes débuts : comment as-tu commencé le football et comment es-tu arrivé à Nantes ?
J’ai commencé à Rosny-sous-Bois en Seine-Saint-Denis. J’y ai joué pendant trois ans. D’ailleurs j’étais avec Pascal Nouma dans cette équipe. Ensuite je suis parti à l’AS Red Star 93, j’ai évolué dans ce club pendant trois-quatre ans. Puis je suis arrivé à Nantes. J’ai été recruté à l’âge de 16 ans. Je jouais défenseur central pour l’équipe première du Red Star qui évoluait à l’époque en troisième division. Un jour, un recruteur est venu voir un match du Red Star. Apparemment, il n’était pas venu pour moi mais ce jour-là, j’étais bien (rires). Ce recruteur m’a appelé pour faire un essai lors d’un tournoi. Ça s’est bien passé et Nantes m’a engagé.
Quels souvenirs gardes-tu de tes débuts avec le FC Nantes ?
Les débuts ont été difficiles au niveau du rythme. J’enchaînais les cours et l’entraînement et c’était dur à gérer. N’étant pas le plus talentueux sur le terrain au départ, j’ai dû cravacher. Cette première année n’était pas catastrophique mais presque. Mais le club a cru en moi car il trouvait que j’avais une marge de progression importante. Nantes m’a gardé pour une deuxième année et c’est à ce moment-là que je me suis imposé.
Qu’est-ce qui a fait la différence ?
Je me suis habitué au rythme et j’ai compris le langage que je ne comprenais pas forcément auparavant. Ce n’était pas évident car je ne l’avais jamais entendu. Pour moi au départ, c’était du charabia. A Nantes, on parlait de foot comme on parle de peinture. J’ai dû comprendre ce langage et ensuite le mettre en pratique. Avant Nantes, j’avais l’habitude de jouer un jeu d’instinct. Dans le jeu nantais, il fallait prévoir, anticiper l’échec ou la réussite de ton partenaire ou de ton adversaire. C’étaient beaucoup d’informations tout en ayant cette relation avec le ballon et l’espace. Il y avait tellement de choses à intégrer.
« Marcel Desailly c’était la force tranquille. Il dégageait de la sûreté. Il montrait très rarement, voire pratiquement jamais des signes de crainte »
On parle beaucoup du foot à la Nantaise sur le plan offensif mais comment cela se caractérisait pour les défenseurs ?
Nous derrière, on permettait aux joueurs plus offensifs de s’exprimer. On défendait tous bien. Eux aussi nous aidaient à défendre correctement. Je n’étais pas un défenseur qui taclait beaucoup grâce à mes partenaires. L’idée était de relancer le plus proprement possible et de travailler tous ensemble sur le terrain.
Lors de tes débuts à Nantes, il y avait Marcel Desailly en défense. Qu’est-ce qu’il t’a appris ?
Marcel c’était la force tranquille. Il dégageait de la sûreté. Il montrait très rarement, voire pratiquement jamais des signes de crainte. J’ai beaucoup appris auprès de Marcel Desailly. Mais après, chacun m’a apporté quelque chose.
Tu as débuté en Ligue 1 lors de la saison 1990/91. Comment était le coach Miroslav Blazevic avec toi ?
Avec moi, il était dur. Il était dur avec tout le monde mais surtout avec les jeunes. Très, très dur. C’était à l’ancienne. Les jeunes devaient porter les sacs des pros, des anciens, on rangeait le matos, on portait les buts. Puis il n’avait pas peur de nous ridiculiser devant tout le monde. Par contre au niveau du jeu, je ne retiens pas grand chose de Miroslav Blazevic, je ne vais pas mentir. Il cherchait le résultat sans penser à la manière. Le spectacle et le jeu à la nantaise n’étaient pas trop au rendez-vous. Mais ils sont revenus grâce à la baguette magique de Jean-Claude Suaudeau et Raynald Denoueix.
« Jean-Claude Suaudeau me disait : « Eddy, t’es nul quand tu n’es pas en mouvement » »
Justement Jean-Claude Suaudeau est revenu en février 1991 sur le banc nantais. Quelle était ta relation avec Jean-Claude Suaudeau ?
Elle était parfois bonne, parfois tendue. Il nous prenait un peu pour ses petits. Il n’avait pas peur de nous ridiculiser devant tout le monde mais sans nous insulter non plus. Puis on sentait qu’il y avait beaucoup plus de connaissances sur le jeu et de compétences. Pour moi, Jean-Claude Suaudeau reste un super formateur. Même aux entraînements, on prenait du plaisir. Énormément de plaisir. On passait beaucoup de temps avec le ballon même si on courait beaucoup sans. Je me souviens qu’il me faisait souvent des réflexions sur des jeux avec appuis. J’étais souvent arrêté et Jean-Claude Suaudeau me disait : « Eddy, t’es nul quand tu n’es pas en mouvement ». Je l’ai croisé dernièrement alors que je mangeais avec d’anciens joueurs nantais, et il m’a dit : « Eddy, le mouvement c’est la vie. Moi, je commence à vieillir et je bouge de moins en moins ». Pour lui, tout part du mouvement.
Par rapport à la médiatisation, c’était comment d’être joueur de foot à Nantes dans les années 90 ?
C’était beaucoup plus soft et cool. Bon en même temps, je jouais à Nantes lors des grandes années nantaises donc je manque d’objectivité. Aujourd’hui, il y a tous les réseaux sociaux qui peuvent être perturbants pour les joueurs. De nos jours, ils doivent prendre beaucoup plus de précautions par rapport à leur vie privée notamment. Les salaires ont augmenté et le public attend que les joueurs justifient ces sommes. Je pense que c’est plus dur aujourd’hui de gérer une carrière de footballeur que ce soit à Nantes ou ailleurs. Aujourd’hui aussi, le public nantais est beaucoup plus en attente et frustré par rapport à ce qu’il y a eu et ce qu’il n’y a plus. En ce moment, les résultats sont très positifs à Nantes mais ça ne veut pas dire que le jeu est revenu.
Vient ensuite cette magnifique saison 1994/95 : quelle a été la clé de cette saison presque parfaite ?
On était insouciants. On rentrait sur le terrain sans pression, le public nous aidant bien d’ailleurs. On ne se prenait pas la tête entre nous. On vivait bien. Puis Coco gérait très bien son groupe. C’était une année exceptionnelle, on était tous en réussite au même moment. Coco Suaudeau nous demandait d’avoir la même pensée au même moment, et je pense que lors de cette saison, on avait la même pensée au même moment, les mêmes intentions, les mêmes objectifs, la même réussite. Quand c’est comme ça, c’est dur d’arrêter une équipe. Avec du recul, je pense que je n’ai pas assez savouré cette saison, elle est passée trop vite (rires). Mon passage au FC Nantes m’a inculqué une façon de penser. Comme je suis dans le monde du foot aujourd’hui, je pense souvent à tout ce que j’ai appris. J’ai le FC Nantes et Coco Suaudeau en moi. Pour moi la force dans le football, c’est de travailler avec les mêmes personnes. Les bonnes équipes ne se font pas en un match ou deux. Mais en plusieurs années. A l’époque, on laissait plus de temps aux entraîneurs de placer leurs billes, placer leurs pions, leurs philosophies. Aujourd’hui on est dans un autre monde, il faut des résultats tout de suite peu importe la manière.
« Face à la Juventus et ses joueurs roublards et expérimentés, Nantes a manqué de métier et de ruse »
Pourquoi la saison suivante (1995/96) est moins aboutie en championnat ?
Lors de l’intersaison, Patrice Loko ou Christian Karembeu sont partis. L’effectif n’était peut-être pas suffisant pour enchaîner le même type de performances pendant deux ans. Pour les joueurs qui arrivaient et remplaçaient les joueurs cadres, ce n’était pas facile d’intégrer le style nantais. Notamment pour Roman Kosecki qui devait remplacer Patrice Loko. En plus, il y avait la barrière de la langue pour lui au départ. Parfois il fallait du temps pour totalement intégrer ce que nous disait Coco Suaudeau en Français, alors pour un étranger c’était encore plus dur. Mais malgré tout, Nantes a quand même atteint les demi-finales de la Ligue des Champions.
Quels souvenirs gardes-tu du très beau parcours de Nantes en Ligue des Champions 1995/96 ?
Il y a eu trois étapes pour moi. La première étape avec la phase de poules. A ce moment-là, j’étais en rééducation car je me suis fait opérer du dos. J’étais d’ailleurs avec Jocelyn Gourvennec qui soignait lui son genou. Ensuite, nous avons réintégré le groupe ensemble pour le quart de finale face au Spartak Moscou. Le match là-bas sur un terrain très gras avait été très difficile, j’avais encore mal au dos. Je manquais de puissance dans les jambes, j’ai galéré. Puis il y a eu cette demi-finale contre la Juventus Turin où je marque de la tête au match retour à Nantes. Sur un corner tiré par Jocelyn Gourvennec. C’était un beau clin d’œil car on avait galéré ensemble en début de saison. Sur ces deux matchs, Nantes a manqué de métier et de ruse. Nous étions encore jeunes et la Juve a fait la différence avec ses joueurs roublards, expérimentés. Mais on a quand même battu le champion d’Europe à la maison (3-2).
Lors de la saison 1996/97, comment expliques-tu que Nantes a très mal débuté le championnat et a enchaîné une trentaine de matchs sans défaite pour finir 3eme ?
Il y a eu le contre-coup de l’épopée européenne. Il y avait encore eu des changements dans l’équipe. Il fallait tout remettre en place. Du coup, les nouveaux ont mis un peu de temps à intégrer les exigences de Coco Suaudeau qui était pointilleux sur le moindre détail. Après, je n’ai pas beaucoup de souvenirs de cette saison. J’étais un peu en disgrâce avec Coco (rires) et voir tous mes potes partir chaque saison, ce n’était pas évident.
Pourquoi pars-tu à Rennes en 1997 ?
Pour la simple et bonne raison que Rennes n’est pas loin de Nantes. Je venais d’acheter une maison et j’allais être papa, il fallait donc que je reste. Je faisais pratiquement les aller-retour tous les jours entre Nantes et Rennes pour aller aux entraînements.
Comment as-tu vécu tes deux saisons rennaises ?
Oulala (rires). Il faut savoir qu’après mon opération du dos, j’ai travaillé très dur pour jouer la Ligue des Champions. Et après, j’ai vécu une descente aux enfers. Mon corps et ma tête se sont relâchés. Quand Rennes m’a recruté, j’étais dans le creux de la vague. Eux étaient restés sur le Eddy compétitif alors que je ne l’étais pas du tout. Au début, j’ai enchaîné les matchs, je pensais retrouver mon niveau assez vite mais en fait j’étais nul à chier. La première année, Guy David était le coach de Rennes. Il m’a fait confiance. Une confiance que je n’ai pas su lui rendre. Je me suis enfoncé. La deuxième année, Pierre Blayau est devenu président de Rennes et Paul Le Guen le nouvel entraîneur. Je ne jouais plus avec l’équipe première et le président m’avait dit que je ne jouerai jamais, devant tout le centre de formation. Heureusement le coach de la réserve rennaise, Bertrand Marchand, avait eu des superbes mots pour moi. Il m’a aidé à surmonter ça. J’ai aussi été déçu par Paul Le Guen qui m’avait dit « on ne choisit pas ses dirigeants ».
Ensuite tu arrives à Sedan dans un groupe qui vient de monter en L1, qui vient d’être finaliste de la Coupe de France : comment tu t’es intégré dans ce groupe qui avait le vent en poupe ?
Au début pour moi à Sedan, c’était hyper, hyper difficile. Je n’étais pas super bien en tant que joueur mais on m’a fait jouer. Comme à Rennes, j’étais ridicule lors la première saison. Après mon opération, j’ai mis quatre ans pour retrouver confiance en moi et des bonnes sensations. J’ai été sifflé par certains spectateurs ardennais qui m’avaient pris en grippe. Car lors d’un Nantes-Sedan en Coupe de France, Nantes avait gagné sur un penalty litigieux donc ils ont fait un rapprochement avec moi alors que j’avais quitté Nantes deux ans auparavant. Mais aussi car mes prestations n’étaient pas très bonnes. Puis les années sont passées et j’ai été bien supporté par le public de Sedan. Un public que je porte toujours dans mon cœur. J’ai encore plein d’amis là-bas. Malheureusement, j’ai connu une descente avec Sedan en 2003. A ce moment-là, j’étais le capitaine de l’équipe. Ça m’a fait vraiment chier que le club soit relégué car il y avait vraiment plein d’ingrédients pour faire de très belles choses. Le Stade Louis-Dugauguez est un bon stade. D’ailleurs, c’est moi qui ai marqué le premier but au Stade Louis-Dugauguez. J’ai aimé évoluer dans ce stade.
« Aux yeux de certains, j’avais la sensation de devenir de la merde car j’étais défenseur et âgé de 33 ans »
Ensuite pourquoi es-tu parti au Mans en 2003 ?
C’était très, très dur pour moi de quitter Sedan, mais le club ne pouvait pas me garder pour des raisons financières. Au début c’était dur pour moi à Sedan avec le public. Mais quand il m’a adopté, il m’a définitivement adopté. J’étais dégoûté de partir sur une descente. J’avais l’impression de ne pas avoir fait mon job. Cette ville, cette région, ces supporters méritaient que Sedan reste en Ligue 1.
Comment as-tu vécu ta saison au Mans, promu pour la première fois en Ligue 1 en 2003/04 ?
Ce n’était pas le club qui me fallait. Quand je suis arrivé, le club était dans l’apprentissage de la Ligue 1. Quand on débarquait au Parc des Princes, on regardait nos adversaires jouer. Au Mans, je n’ai rien appris et j’ai vraiment été déçu par des personnes. J’ai décidé d’arrêter à l’issue de cette saison 2003/04 même si physiquement j’aurais pu continuer mais je n’arrivais plus à suivre dans ma tête. Aux yeux de certains, j’avais la sensation de devenir de la merde car j’étais défenseur et âgé de 33 ans. J’ai été déçu par rapport au peu de reconnaissance que j’ai eu suite au travail sérieux que j’avais accompli pendant toute ma carrière. Au Mans, Daniel Jeandupeux m’a manqué de respect alors que je n’ai rien fait de mal. Si mon jeu ne lui plaisait pas, ce n’était pas la peine de me faire passer pour un con devant tout le monde. Donc j’ai vraiment été déçu par ça et je me suis dit que c’était l’année de trop pour moi.
Enfin, souhaites-tu ajouter quelque chose ?
Aujourd’hui, je suis passé de l’autre côté du terrain. Mais le foot m’apprend encore et me met toujours des claques. J’arrive à mettre en relation un collectif et la société. Ce que me disait Coco Suaudeau sur la vie et le mouvement, c’est tout à fait vrai et je trouve que c’est une belle conclusion.
Propos recueillis par Thierry Lesage
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