Le redoutable ex-attaquant de Lorient et Nancy a refait le film de sa carrière pour Foot d’Avant. Outre sa pléiade de buts, sa carrière a été marquée par de fabuleuses rencontres : Patrick Rampillon, Guy David, Landry Chauvin, Bruno Metsu, Christian Gourcuff ou Jacques Rousselot. Une interview aussi efficace qu’un duo d’attaque Eli Kroupi-Jean-Claude Darcheville.
Que deviens-tu depuis la fin de ta carrière de joueur de football professionnel ?
Aujourd’hui je suis l’entraîneur de Saint-Jean-Brévelay dans le Morbihan (ndlr : à une soixantaine de kilomètres de Lorient). Tout se passe bien pour moi. Le club joue en deuxième division de District. L’an passé, nous avons fini troisièmes de notre championnat. Cette saison, nous jouerons la montée. Dans mon effectif, les joueurs me parlent de ma carrière car beaucoup d’entre eux venaient me voir jouer quand j’évoluais à Lorient.
Quels conseils donnes-tu à tes joueurs pour qu’ils atteignent leur meilleur niveau ?
Pour moi, le travail est primordial. Tout comme la rigueur sur le terrain.
Tu as été un joueur important à Lorient et Nancy au cours de ta carrière. Que penses-tu de l’évolution de ces deux clubs ?
Lorient et Nancy ont connu une saison 2017/18 compliquée. Je trouve que Nancy a un peu perdu son identité. C’est un peu pareil pour Lorient. Les deux clubs l’ont payé la saison passée. Le départ de Christian Gourcuff, un entraîneur emblématique, a fait très mal au FC Lorient. Quant à Nancy, je pense que Pablo Correa est resté trop longtemps sur le banc de l’ASNL. Le club dépendait trop de lui. J’espère que Lorient et Nancy vont se relever cette saison.
Revenons à tes débuts : comment le foot est arrivé dans ta vie ?
Mon fils a commencé le foot à 2 ans alors imagine le père (rires). Plus jeune, je jouais dans les quartiers en Côte d’Ivoire. En Afrique, nous étions livrés à nous-mêmes. Le football était notre seul distraction. J’ai pris conscience que le football pouvait être un métier. Je me suis donc donné les moyens d’y arriver. Heureusement, mes parents m’ont laissé la possibilité de jouer au foot.
« Je me rappellerai toujours de mon arrivée à Rennes. Je venais de guérir du paludisme et j’avais vraiment maigri. Patrick Rampillon m’a dit : « tu ne ressembles pas au joueur de la photo envoyée »»
Quelle était la journée-type du jeune Eli Kroupi en Côte d’Ivoire ?
Quand il y avait école, je jouais toujours au foot à la récré. Avant de rentrer à la maison, je jouais encore au foot. Quand j’étais en vacances ou en week-end, c’était foot toute la journée. Je garde de bons souvenirs de ces moments. J’ai eu la chance d’avoir beaucoup de copains qui aimaient le foot donc on se retrouvait tout le temps sur le terrain. Ensemble on jouait et on se faisait plaisir.
Comment le Stade Rennais est venu te recruter au milieu des années 90 ?
Normalement, j’étais censé partir à Nantes au départ. Mais à la dernière minute, je me suis retrouvé à Rennes. J’ai signé grâce à Gérard Sognoko, un recruteur qui travaillait dans les quartiers en Côte d’Ivoire pour le Stade Rennais. C’est un ami qui me l’a présenté. Comme j’avais assez de qualités pour évoluer en Europe, je suis parti à Rennes à l’âge de 16 ans.
Quels souvenirs gardes-tu de ton arrivée en France ?
Je me rappellerai toujours de mon arrivée à Rennes. Je venais de guérir du paludisme et j’avais vraiment maigri. Patrick Rampillon m’a dit : « tu ne ressembles pas au joueur de la photo envoyée ». C’est vrai que sur la photo, j’étais plus costaud. Quand je suis arrivé à Rennes, je n’avais pas de crampons. Le club m’a prêté des chaussures mais elles me faisaient mal au pied. Comme je savais que je jouais ma chance, j’ai oublié les douleurs. J’ai effectué une opposition avec l’équipe réserve. Il y avait Mickaël Sylvestre, Ousmane Dabo, Jean-Claude Darcheville. On a fait 2-2 et j’ai marqué les deux buts. Du coup, Rennes a prolongé mon essai pour que je puisse jouer le tournoi des centres de formation à l’issue duquel j’ai fini meilleur buteur. Cela m’a permis de signer stagiaire-pro au Stade Rennais.
Comment s’est déroulée ton intégration à Rennes ?
Bien. Tu sais quand tu es bon sur le terrain, tout le monde t’apprécie. Ç’a facilité mon intégration. J’avais la chance d’avoir des copains comme Cyril Yapi ou Fabrice Fernandes qui m’ont bien accueilli. Jean-Claude Darcheville m’a pris sous son aile. A mon arrivée à Rennes, le recruteur m’a confié à Jean-Claude Darcheville. C’était mon grand frère. Déjà à Rennes, il a été très important pour moi. A 17 ans en réserve, nous jouions ensemble devant. Rapidement, j’ai joué deux matchs avec les pros à la fin de la saison 1997/98. Mon baptême en Ligue 1 a eu lieu à Metz. Ensuite, j’ai joué le match Rennes-Toulouse qui a permis au Stade Rennais de sauver sa place dans l’élite lors de la dernière journée (1-0). J’ai eu la chance que l’entraîneur Guy David me fasse confiance. Paix à son âme. Il m’a aidé à évoluer dans ma carrière. Tout comme Landry Chauvin qui a été mon entraîneur en U17. Il a été primordial pour moi. Aujourd’hui, nous sommes toujours en contacts.
« J’ai beaucoup d’estime et de respect pour Christian Gourcuff. Il sait de quoi il parle. Automatiquement, le courant est bien passé entre nous. J’ai aimé le style de jeu qu’il nous demandait de produire sur le terrain. Je me suis vraiment éclaté au FC Lorient »
Tu as également joué un an à l’ASOA Valence, un club emblématique de Ligue 2 dans les années 90, lors de la saison 1998/99…
A l’issue de la saison 1997/98, je devais m’entraîner avec les pros de Rennes. Mais je n’ai pas pu car il y avait déjà trois joueurs avec le statut d’extra-communautaire. C’est pour ça que Rennes m’a prêté à Valence. J’y ai passé une superbe saison. J’ai connu Bruno Metsu. Il était comme un père pour moi. Il m’a vraiment pris sous son aile. C’était un coach très humain. Il m’a aidé à m’adapter au football européen. Valence a été une très bonne école pour moi. Ça m’a permis de me faire un nom en Ligue 2.
Après Valence, tu es arrivé à Lorient. Comment s’est déroulé ce transfert ?
A l’issue de mon prêt à Valence, je suis revenu à Rennes. J’ai participé à un tournoi près de Lorient et c’est là que Christian Gourcuff m’a repéré. Vu que je ne pouvais toujours pas jouer à Rennes, Lorient m’a donné l’opportunité de signer mon premier contrat pro (ndlr : 3 ans). J’ai beaucoup d’estime et de respect pour Christian Gourcuff. Il sait de quoi il parle. Automatiquement, le courant est bien passé entre nous. J’ai aimé le style de jeu qu’il nous demandait de produire sur le terrain. Je me suis vraiment éclaté au FC Lorient.
A Lorient, tu as retrouvé Jean-Claude Darcheville en attaque. Pourquoi étiez-vous si complémentaires ?
J’étais heureux de le retrouver à Lorient. Il sortait d’une saison en Angleterre (Nottingham Forest) . Ma complémentarité avec Jean-Claude Darcheville était le fruit de notre belle amitié. Nous étions très potes en dehors du terrain. Du coup, nous arrivions à nous trouver plus facilement en match. Je pense qu’on a fait peur à beaucoup de défenseurs (rires). Pour nous, le foot était un jeu. On prenait un plaisir fou.
En 2001, Lorient décroche son ticket pour la Ligue 1. Que retiens-tu de cette montée obtenue après une belle saison en Ligue 2 ?
C’était l’aboutissement de tout le travail mis en place par Christian Gourcuff. Il avait encore fait les bons choix en termes de recrutement. Pour ma part, j’ai fini meilleur buteur de Lorient à l’issue de cette saison (15 buts et troisième meilleur buteur de L2 derrière le Sochalien Santos et le Havrais Alain Caveglia) et j’ai été nommé aux oscars des meilleurs joueurs de Ligue 2. Réussir une saison pareille pour un gamin d’Afrique, c’était magnifique. La saison suivante en Ligue 1 a été une bonne expérience. Mais l’entraîneur Angel Marcos a fait des choix que je respecte. Cette saison-là, j’ai été impressionné par Ronaldinho lorsque nous avons joué contre le PSG. Quel génie. Jouer contre lui était quelque chose de formidable.
« Le FC Lorient, c’est ma famille, mon club, ma ville. J’y ai vécu de beaux moments avec les dirigeants, les bénévoles. Il y avait vraiment un esprit familial. Pour moi, c’est la clé de la réussite dans le foot »
En 2002, Lorient a joué la finale de la Coupe de la Ligue (perdue face à Bordeaux 0-3) et gagné la finale de la Coupe de France (1-0 contre Bastia). Que retiens-tu de ces deux matchs ?
C’était magnifique et extraordinaire d’évoluer au Stade de France. C’est rare qu’un club joue les deux finales lors d’une même saison. Je n’ai pas joué la première finale car j’étais blessé. Quant à la deuxième, j’étais sur le terrain. Malheureusement, au bout, Lorient est descendu en Ligue 2.
Tu as joué cinq saisons à Lorient. Que représente ce club pour toi ?
Le FC Lorient, c’est ma famille, mon club, ma ville. J’y ai vécu de beaux moments avec les dirigeants, les bénévoles. Il y avait vraiment un esprit familial. Pour moi, c’est la clé de la réussite dans le foot. Quant aux supporters du Moustoir, je les ai adorés. Ils nous ont beaucoup apporté et je pense que nous leur avons bien rendu.
Que retiens-tu de ton passage rapide au SCO Angers en 2003/04 ?
J’y suis resté seulement deux ou trois mois. Je pense que j’avais fait le tour à Lorient. Ça faisait plusieurs saisons que j’avais des sollicitations mais à chaque fois, ça ne s’est pas fait. J’ai donc dit au club que je voulais partir au printemps 2003. Malheureusement je me suis rapidement blessé à un genou à mon arrivée à Angers et ça ne s’est pas bien enchaîné derrière.
Comment Nancy te recrute en 2004 ?
Même si j’ai été blessé pendant une bonne partie de la saison, le président Jacques Rousselot me voulait absolument depuis quatre ans. Je me suis dit : « pourquoi pas ».
« Jacques Rousselot, c’est comme un père. Comme on dit chez nous : « la main qui te donne à manger, il faut la respecter » »
A Nancy, tu as rencontré deux personnages importants de l’ASNL : le président Jacques Rousselot et l’entraîneur Pablo Correa. Quels souvenirs en gardes-tu ?
Jacques Rousselot, c’est comme un père. Comme on dit chez nous : « la main qui te donne à manger, il faut la respecter ». Il a toujours été correct avec moi. J’ai perdu Christian Gourcuff quand je suis parti de Lorient et j’ai retrouvé Jacques Rousselot à Nancy. J’aurai toujours beaucoup de respect pour lui. Quand Nancy a eu des moments difficiles la saison passée, ça m’a fait de la peine pour lui car il donne vraiment beaucoup pour le club. Quant à Pablo Correa, sans plus.
Avec Nancy, tu as été champion de Ligue 2 en 2005…
C’était un aboutissement pour moi car j’ai fini meilleur buteur du club (ndlr : 14 buts et 4eme au classement des buteurs derrière Baky Koné, Robert Malm et Sébastien Grax) mais aussi pour Monsieur Rousselot qui voulait ce titre depuis des années. Je me rappelle de notre discussion à mon arrivée. Il me disait : « il faut absolument qu’on monte en Ligue 1 ». Je lui avais répondu : « moi, président, personnellement je ferai tout pour que l’ASNL joue en L1 l’an prochain ». Avec ce titre de champion de L2, j’ai rendu à Monsieur Rousselot tout ce qu’il m’a apporté. Malheureusement, j’ai souvent été blessé la saison suivante en Ligue 1. Je ne m’entendais pas non plus avec Pablo Correa. C’est pour ça que je suis parti la saison suivante.
En avril 2006, Nancy remporte la Coupe de la Ligue face à Nice (2-1). Qu’as-tu retenu de cette finale : la joie collective ou la déception d’être resté sur le banc ce soir-là ?
La joie collective. Le plus important était que l’ASNL remporte cette finale. Mon cas personnel est passé au second rang. Même si je trouvais bizarre que le meilleur buteur du club (ndlr : 9 buts dont deux triplés contre Rennes [6-0, 5eme journée] et Strasbourg (3-1, 36eme journée]) ne joue pas la finale. Je savais d’ailleurs que je n’allais pas la jouer. Des dirigeants m’avaient prévenu quelques jours auparavant. Mais ce soir-là, j’étais surtout content pour le club, les supporters et surtout pour Jacques Rousselot. Mais aussi pour Pape Diakhaté. C’est lui qui m’a accueilli quand je suis arrivé à Nancy.
Tu as ensuite joué quelques années à l’étranger à Dubaï (Al-Wahda), en Italie (Arezzo) et en Grèce (Levadiakos). Que retiens-tu de ces expériences à l’étranger ?
A Dubaï, j’ai vécu une belle expérience. Malheureusement quand j’ai signé mon contrat à Arezzo, le club était mêlé à une affaire de matchs truqués et a été relégué en Serie C. C’était dur à vivre mentalement. Ensuite, je suis parti en Grèce. Là-bas, c’était pire, les joueurs n’étaient pas payés.
« Quand je suis arrivé le premier jour à Nîmes, le taxi m’a dit : «Tu es footballeur ? Fais attention ici, les gens ne disent pas vraiment les choses malgré les embrassades » »
Après ton expérience difficile en Grèce, tu es arrivé à Nîmes en 2008…
Quand je suis arrivé à Nîmes, j’étais blessé aux ligaments croisés. Quand tu pars à l’étranger, dans des championnats mineurs, tu n’es plus au top physiquement. Je n’avais plus la joie de jouer au foot. C’était pourtant ça qui faisait ma force. Je n’ai pas apporté à Nîmes ce qu’ils attendaient de moi. Par ailleurs, je ne m’y suis pas très bien senti. Quand je suis arrivé le premier jour à Nîmes, le taxi m’a dit : «Tu es footballeur ? Fais attention ici, les gens ne disent pas vraiment les choses malgré les embrassades ».
Quel bilan fais-tu de ta carrière ?
Pour le gamin de la rue que j’étais, j’ai réalisé une belle carrière. Je pense que si j’avais été accompagné comme il le fallait, j’aurais fait mieux.
Enfin, souhaites-tu ajouter quelque chose ?
Aujourd’hui, je suis mon fils de 12 ans qui joue chez les jeunes du FC Lorient.
A quel poste joue-t-il ?
A ton avis (rires) ?
Propos recueillis par Thierry Lesage
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