Foot d’Avant vous propose une édition spéciale Lilian Laslandes. Première partie avec les années auxerroises de l’ex-buteur international. A travers son magnifique témoignage, Lilian Laslandes vous fait revivre les plus belles heures de l’AJ Auxerre comme si vous y étiez. Une interview immanquable avant la seconde partie qui retrace sa fin de carrière à Bordeaux, Sunderland, Cologne, Bastia, Nice ainsi qu’avec l’équipe de France.


Lilian Laslandes, que deviens-tu depuis la fin de ta carrière de joueur de foot professionnel ?
Je m’occupe de mes affaires (ndlr : notamment le Black Diamond à Bordeaux), que j’avais ouvertes quand je jouais encore au football. Je m’occupe aussi des U15 au Stade Bordelais. Depuis cette année, j’ai pris en main le FC Médoc Côte d’Argent. J’avais envie de faire quelque chose pour ma région.


Revenons à ta carrière. Tu as commencé en D2 à Saint-Seurin. Parle nous de cette saison 1991/92 où tu marques 10 buts…
J’arrive à Saint-Seurin avec des garçons d’expérience comme Jean-Marc Furlan ou Michel Le Blayo. Ça se passe bien d’entrée car je marque dès mon premier match à domicile. Au fur et à mesure, je prends de plus en plus confiance en moi. Une confiance également grandissante dans les yeux de mes partenaires et du coach. Quand vous passez d’un club de DH à la Deuxième Division, le pas est assez grand. Il y avait une ambiance familiale à Saint-Seurin qui me convenait tout à fait. Pendant la saison, Jean-Marc Furlan et Michel Le Blayo me disaient : « essaie de faire une bonne saison pour que ça te serve de tremplin car la DNCG va peut-être nous rétrograder la saison prochaine ». J’avais cette phrase en tête quand je jouais mes matchs. Puis quand Dominique Cuperly venait me superviser pour l’AJ Auxerre, je faisais des bons matchs et je marquais. Du coup, Guy Roux m’a fait une proposition en même temps que les Girondins de Bordeaux. Celle d’Auxerre était plus intéressante sur le plan sportif. Que je joue ou non avec l’équipe première, il était prévu que je m’entraîne tout le temps avec les pros d’Auxerre.


Quels ont été les autres arguments de Guy Roux pour te convaincre de signer à Auxerre ?
Justement, la proposition que me faisait Auxerre était un gros argument. Les Girondins de Bordeaux m’ont dit que j’allais jouer avec le groupe de la D3 pour peut-être monter de temps en temps avec les A. Guy Roux m’a promis que j’allais signer stagiaire pro à Auxerre et que si je faisais mes preuves je pourrais intégrer l’équipe première au fur et à mesure. Ça s’est réalisé dès la première saison car j’étais remplaçant et titulaire de temps en temps. J’ai marqué le même nombre de buts (ndlr : 9) que Gerald Baticle qui était titulaire à part entière. J’ai fait le bon choix de choisir Auxerre car Guy Roux a tenu sa promesse.


« Trois jours après mon arrivée à Auxerre, j’ai dit à mes parents : “je repars, je déchire le contrat, ce n’est pas pour moi. L’écart est trop important” »


Il y avait une superbe équipe à Auxerre avec les Pascal Vahirua, Raphaël Guerreiro…Quelles ont été tes premières impressions quand tu as intégré le groupe auxerrois ?
Trois jours après mon arrivée, j’ai dit à mes parents : « je repars, je déchire le contrat, ce n’est pas pour moi. L’écart est trop important ». Je me sentais perdu dans tout ce qu’ils faisaient. Puis on est parti en stage et j’ai découvert l’ambiance familiale qui régnait dans cette équipe d’Auxerre. Ça m’a regonflé et j’ai compris pourquoi j’étais perdu car pendant cinq saisons, on a fait les mêmes exercices, les mêmes jours. C’était de l’apprentissage par cœur. J’ai tiré mon épingle du jeu sur les phases offensives en répétant les exercices devant le but. Quand des nouveaux joueurs arrivaient les saisons suivantes à l’AJA et semblaient un peu perdus, je leur disais : « ne vous inquiétez pas, ce n’est pas que vous êtes moins bons que nous, c’est juste que nous faisons ces exercices depuis des années et des années donc on les fait les yeux fermés ». Que ce soit sur le plan personnel ou sportif, l’AJA était une école de la vie. J’ai tout trouvé dans ce club-là. En plus, j’ai eu la confiance de Guy Roux qui m’a cerné tout de suite. Il m’a dit : « la seule chose qui peut me gêner Lilian, c’est que tu viens du Sud Ouest et là-bas, on aime s’amuser ». Mais rapidement je me suis mis dans la peau d’un professionnel et j’ai fait ce qu’il fallait pour réussir.

C’était comment d’être joueur de l’AJA dans les années 90 ?
A l’époque, Auxerre n’avait pas un gros budget mais était manié d’une main de maître par Guy Roux ainsi que Messieurs Bourgoin et Hamel qui faisaient les choses comme il le fallait. Pour eux, l’AJA était leur bébé et nous, nous étions leurs grands enfants. Les joueurs étaient à l’écoute. Pour que des garçons comme Laurent Blanc, Alain Roche ou Enzo Scifo passent dans ce club-là, c’est qu’il y avait quelque chose d’attirant et qui permettait à certains de se relancer. On peut dire qu’Auxerre est une petite ville, mais c’est une ville de football. A chaque fois que nous jouions, il y avait du monde et les résultats étaient là.


Ton passage à l’AJ Auxerre est marqué par deux rencontres européennes face au Borussia Dortmund. Que retiens-tu de l’intensité du match de 93 en demi-finale retour de Coupe de l’UEFA où tu rentres pendant les prolongations (ndlr : victoire 2-0 d’Auxerre mais défaite aux tirs-au-but)?
Avant le match, Guy Roux m’a dit : « Lilian, c’est toi qui rentrera et qui fera la décision ». Quand le match et la prolongation se déroulaient comme l’avaient prédit Guy Roux, je me disais : « si je rentre, je vais peut être avoir la joie de marquer et de qualifier Auxerre ». Je suis rentré un quart d’heure pendant les prolongations et malheureusement le score n’a pas évolué. Avant la séance de tirs-au-but, Guy Roux est arrivé devant le groupe et a dit : « qui veut tirer à part une personne, toi Lilian tu tires obligatoirement ». Quand vous approchez devant le but en demi-finale de Coupe d’Europe, que vous avez 22 ans et que le stade est plein, vous n’y allez pas avec la même confiance que chaque week-end en Première Division ou avec l’équipe réserve. Ça s’est bien passé car j’ai marqué mon tir au but mais après la déception a été forte car c’est Stéphane Mahé, un très bon copain, qui a loupé son penalty après avoir fait un super match. Quand on a marqué son tir-au-but, on est un peu égoïste, on se dit : « ça y est, j’ai fait mon travail » mais après on redescend vite sur terre car si j’ai été là à ce moment-là, c’était grâce au groupe. Dans le vestiaire, nous étions déçus car du début à la fin, le match était parfait mais ce sont les penalties qui nous ont éliminés. C’est cruel, mais c’est comme ça.


« A Auxerre, si un joueur allait au restaurant, Guy Roux lui disait le lendemain : “alors les pâtes, elles étaient bonnes ?” »


Tu obtiens ton premier titre en 1994 avec cette victoire en finale de Coupe de France où tu rentres en fin de match face à Montpellier. Qu’as-tu ressenti ce soir-là ?
J’étais content de gagner mon premier titre. Après, je n’ai pas beaucoup participé donc je n’ai pas vu les choses de la même façon que deux ans plus tard où j’étais plus acteur. Mais collectivement, la sensation de joie avec l’équipe était exactement la même.


Dans une précédente interview sur Foot d’Avant, Franck Rabarivony a dit qu’il avait dansé avec Guy Roux au cabaret à Paris après la victoire en Coupe de France 1994. Tu t’en souviens ?
Je ne m’en rappelle pas. Je me souviens plus de la deuxième Coupe de France en 1996. Nous étions fliqués car nous avions encore le titre de Champion de France à jouer. Nous étions revenus sur le lieu de notre mise au vert après la finale. Une soirée a été organisée avec un karaoké et à un moment donné, Guy Roux est allé voir le DJ pour lui dire : « soit tu arrêtes ou je prends ton matériel et je me casse ». Donc le DJ a arrêté et Guy Roux a dit : « maintenant tout le monde va au lit ». Bon après, il y avait des garçons qui étaient plus contents que d’autres. Certains ont été sérieux, d’autres moins. Cela ne nous a pas desservis car nous avons quand même été champions de France.


Quelle a été la clé du titre de Champion de France obtenu en 1996 ?
C’est le groupe. Ah oui, oui, c’est le groupe. Quand je suis parti d’Auxerre, Guy Roux m’a dit : « maintenant c’est bon, tu peux me dire ce qu’il s’est passé ». Je lui ai répondu : « coach, il ne faut pas que je vous le dise, sinon vous allez vous tirer les cheveux ». Quelques années plus tard quand je jouais à Bordeaux, nous avons joué face à Auxerre et il m’a relancé : « c’est bon, maintenant tu peux me le dire ». Je lui ai rétorqué en déconnant : « coach, si je vous dis ça, vous allez faire un infarctus ». Bon le pauvre, il en a fait un juste derrière. Plus tard quand il est revenu jouer à Bordeaux, il m’a dit : « toi, quand tu dis des choses, elles arrivent ». Je lui ai alors dit : « coach, après chaque match, on se retrouvait tous ensemble, on sortait chez les uns ou chez les autres, parfois nous allions en discothèque. Tout ça, vous ne l’avez pas su parce que des gens ont eu l’intelligence de ne pas vous le dire ». A Auxerre, si un joueur allait au restaurant, Guy Roux lui disait le lendemain : « alors les pâtes, elles étaient bonnes ? ». Il savait tout. Du coup nous avons dit aux patrons des établissements : « si vous voulez qu’on vienne chez vous, il faut arrêter de répéter à Guy Roux ». Du coup, ils ont compris et ils nous laissaient faire ce qu’on avait envie de faire. Cette année-là, c’était tout le groupe qui se rassemblait après les matchs, que ce soit les Bruno Martini, Lionel Charbonnier ou Laurent Blanc. Sur le terrain, ça se ressentait.


« J’ai beau essayé de décrire la joie que j’ai ressentie après mon but face à Nîmes en Coupe de France, c’est impossible. J’ai fait vibrer tout le kop auxerrois bien sûr ainsi que mes copains, mais ce que vous ressentez en vous, c’est impossible de le décrire »


Tu as évoqué rapidement la Coupe de France 1996 remportée face à Nîmes (2-1). Qu’as-tu ressenti au moment de ton but en fin de match qui offre la victoire à l’AJA ?
Nous étions menés 0-1, Laurent Blanc égalise et juste après je réussis à devancer le gardien de but de Nîmes. J’ai ressenti une joie énorme. Là, j’ai offert la Coupe de France à mon équipe. En marquant, j’ai été acteur. Grâce à ce but, j’ai marqué l’histoire d’Auxerre et ça c’est énorme. J’ai beau essayé de décrire la joie que j’ai ressentie, c’est impossible. J’ai fait vibrer tout le kop auxerrois bien sûr ainsi que mes copains, mais ce que vous ressentez en vous, c’est impossible de le décrire.


La saison suivante, tu réalises un ciseau retourné sur le terrain du Borussia Dortmund en quarts de finale aller de Ligue des Champions. Un but refusé car l’arbitre a estimé qu’il y avait « jeu dangereux ». La vidéo a indiqué que ce but était valable. Avec ce but, Auxerre aurait pu aller plus loin en Ligue des Champions en 1997. Vingt ans après, ressens-tu toujours un sentiment d’injustice ?
On m’en parle beaucoup de cette action. Même encore aujourd’hui. Parfois plus que les buts que j’ai marqués. Lors de cette Ligue des Champions, Auxerre était supporté par toute la France, ce qui n’est pas le cas quand c’est Paris ou Marseille qui joue par exemple. Ce but refusé nous enlève peut-être une place en demi-finale de Ligue des Champions. Quand je réussis mon geste, je célèbre mon but. Puis je me retourne et je vois l’arbitre siffler jeu dangereux. Moi sur le moment, je ne sais pas s’il y a jeu dangereux. C’est quand je vois les images après le match que je réalise que mon ciseau retourné était valable. Guy Roux a fait un scandale, il a dit : « l’adversaire est à deux mètres et dès que Lilian Laslandes fait son geste, il met les mains au visage comme s’il avait reçu un coup de pied ». C’est vrai que c’était frustrant pour toute l’équipe et pour moi d’avoir marqué un beau but qui n’a pas compté. Aujourd’hui, mon geste me reste en mémoire mais je ne ressens plus d’injustice pour mon retourné refusé à Dortmund.

Propos recueillis par Thierry Lesage

 

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