En 2018, Anto Drobnjak s’est longuement confié à Foot d’Avant. Son arrivée en France en 1994, son amour pour Bastia, ses rapports formidables avec le public de Furiani, le titre de champion de France obtenu en 1998 avec Lens, ses meilleurs souvenirs sous le maillot Sang et Or, son choix de partir au Japon alors que Lens jouait la Ligue des Champions, sa mise à l’écart de la sélection yougoslave à quelques jours de la Coupe du Monde 1998, ses désaccords avec Jean Fernandez à Sochaux, sa fin de carrière à Martigues : l’ex-goleador monténégrin n’a éludé aucun sujet. Et notamment son envie de devenir coach en France. A Bastia ? Comme sur le terrain, Anto Drobnjak va droit au but. Entretien.


Anto Drobnjak, que deviens-tu depuis la fin de ta carrière de joueur de football professionnel ?
Quand ma carrière s’est terminée en 2002, je me suis reposé dans un premier temps. De 2005 à 2007, j’ai été directeur sportif à Buducnost Podgorica, le meilleur club au Monténégro. Après avoir fait une pause, j’ai commencé à passer mes diplômes d’entraîneur professionnel. Je suis d’ailleurs diplômé depuis 2016. Pendant quatre ans, j’ai été l’entraîneur-adjoint de la sélection nationale du Monténégro. Notre collaboration s’est arrêtée en 2016. Ensuite, quelques clubs monténégrins m’ont sollicité mais je préfère entraîner à l’étranger et surtout en France. Pourquoi pas entraîner Bastia un jour. Ma priorité est de rejoindre un club où j’ai joué car quand tu connais son fonctionnement et ses installations, l’intégration est plus rapide.

Quel est le style du coach Anto Drobnjak ?
Je suis un mélange de Frédéric Antonetti et Daniel Leclercq : un entraîneur qui motive ses troupes et qui sait être plus calme quand il le faut. J’aime le jeu offensif. Je préfère gagner 3-2 plutôt que 1-0.

Suis-tu l’actualité de Bastia et Lens, tes anciens clubs en France ?
Bien sûr. Voir un club comme Bastia, avec sa grande histoire, qui évolue en cinquième division, ça me fait mal au cœur. Malheureusement Bastia a fini deuxième de son groupe de Nationale 3 la saison passée. Bastia a bien commencé la nouvelle saison. Je suis chaque match du SCB. J’espère que le club va remonter à sa place dans quelques années : en première division. Ça peut prendre cinq ou six ans. Quant à Lens, je suis venu la saison passée à Bollaert car le club avait invité la génération 98. Lens mérite aussi de jouer en Ligue 1. Quand tu vois les supporters et les installations du RC Lens, tu te dis que peu de clubs en France peuvent rivaliser.

« A Bastia, j’ai connu un club où les gens parlent avec leur cœur. Un club qui me ressemble »

Revenons à l’année 1994. Comment Bastia t’a contacté alors que tu évoluais à l’Étoile Rouge Belgrade à l’époque ?
A cette période-là, l’Étoile Rouge Belgrade ne pouvait plus jouer la Coupe d’Europe à cause des sanctions de l’UEFA suite au conflit politique en ex-Yougoslavie. Je voulais partir et j’en ai parlé au directeur sportif, Dragan Dzajic qui avait joué à Bastia à la fin des années 70. Il m’a dit : « d’accord, s’il y a quelque chose d’intéressant, je t’appelle ». Puis il est rapidement revenu vers moi : « il y a Bastia. C’est un club familial, je le sais car j’y ai joué. Le club vient de monter en Première Division et recherche un profil comme le tien, c’est-à-dire un avant-centre classique ». J’ai accepté et signé un contrat de trois ans pour Bastia. J’étais content de mon choix car il y avait de gros problèmes politiques chez moi et puis sur le plan sportif, j’avais besoin d’un nouveau challenge. A Bastia, j’ai connu un club où les gens parlent avec leur cœur. Un club qui me ressemble. Puis la Corse ressemble un peu au Monténégro, il y a la mer, les montagnes et le même climat. J’ai aimé mes trois ans à Bastia. Je n’oublierai jamais cette période de ma vie. En plus, mon fils aîné est né là-bas et j’ai été promu capitaine de l’équipe au bout d’un an et demi.

Quels ont été tes premiers échanges avec Frédéric Antonetti ?
Ça s’est toujours très bien passé avec lui. Il est arrivé sur le banc après cinq ou six journées en remplacement de Leonce Lavagne car le début de saison n’a pas été bon pour Bastia. De mon côté, je n’ai pas joué ces premiers matchs, car j’étais le quatrième étranger (ndlr : le quota était fixé à trois). Ensuite cela a été réglé et j’ai commencé à jouer. Frederic Antonetti venait de l’équipe B et au départ il était prévu qu’il nous entraîne quelques matchs. Mais après son arrivée, l’équipe a vraiment bien joué. On est resté en contacts aujourd’hui. Lorsque j’ai passé mes diplômes d’entraîneur, je devais aller deux semaines dans un club européen. J’ai été à Lille à l’époque où Frédéric Antonetti était l’entraîneur. Il a accepté tout de suite. Fred est un entraîneur de caractère et qui sait motiver son équipe.

Quels souvenirs gardes-tu de tes premiers pas au Stade de Furiani ?
Les supporters sont vraiment chauds. Avec eux, il faut se battre pour le maillot et respecter le club. J’ai eu la chance d’avoir été beaucoup aimé par les supporters bastiais. J’étais comme à la maison. Furiani est un petit stade mais quand il est plein, tu peux penser qu’il y a beaucoup plus de monde. Pour les adversaires, il était très difficile de gagner à Furiani. A l’époque, on n’a pas perdu beaucoup de matchs à domicile. Avec la force du public bastiais, on avait l’impression de jouer à douze.

« Bastia ne méritait pas d’avoir cet arbitrage (ndlr : en finale de Coupe de la Ligue 1995). A la mi-temps, on a revu le but à la télé dans les couloirs du Parc des Princes et mon but était valable »


Bastia a perdu la finale de la Coupe de la Ligue 1995 contre le PSG (2-0). Tu as notamment marqué un but refusé par l’arbitre ce soir-là…
Bastia ne méritait pas d’avoir cet arbitrage. A la mi-temps, on a revu le but à la télé dans les couloirs du Parc des Princes et mon but était valable. Je me souviens que plein de supporters bastiais avaient pris l’avion pour nous supporter à Paris. Lors de mes trois saisons à Bastia, je n’ai pas souvent perdu contre le PSG. Je me souviens avoir marqué contre Paris à Furiani lors de la saison 1995/96. Au total, j’ai inscrit 50 buts à Bastia sur 100 matchs joués. Je compte seulement le championnat car il y en a eu d’autres en Coupes.

Parmi ces 50 buts, il y a notamment ce slalom superbe réussi à Furiani contre Saint-Étienne…
C’était un très, très beau but. Le petit-pont que je réalise au début de l’action m’ouvre la voie du but. J’ai aussi marqué un beau but contre Monaco : un but de la tête de 16 mètres. Avec Bastia, j’ai marqué beaucoup de buts de la tête d’ailleurs.

Avec quels joueurs de Bastia as-tu pris le plus de plaisir sur le terrain : Bruno Rodriguez, Stéphane Ziani, Lubomir Moravcik ou Wilfried Gohel ?
Moi, j’aimais bien jouer avec Stéphane Ziani qui m’a donné beaucoup de passes décisives. Bruno Rodriguez aussi. Sur les côtés, il y avait Pierre Laurent et Franck Vandecasteele. Tout comme Mamadou Faye au milieu du terrain. A l’époque, notre système de jeu était basé sur moi et les deux ailiers devaient me délivrer beaucoup de centres. J’étais toujours dans les 18 mètres et ils m’ont aidé à marquer mes 50 buts pour Bastia. Par ailleurs, j’ai un petit regret lors de la saison 1996/97 : on m’a volé un but que j’avais marqué contre Lens. La Ligue l’a compté comme un csc et du coup j’ai fini à un but de Sonny Andersson (ndlr : 21 buts pour Anto Drobnjak et 22 buts pour Sonny Andersson) au classement des buteurs.

« Je n’ai pas regretté d’avoir signé à Lens en 1997. La vie au sein du club était fantastique. J’ai joué dans un stade magnifique et rénové pour la Coupe du Monde 1998 mais aussi avec des supporters merveilleux »

Lors de cette saison 1996/97, Bastia a réalisé un superbe parcours : septième en championnat et qualifié pour la Coupe de l’UEFA. Pourquoi es-tu parti à Lens en fin de saison ?
En 1996, j’avais signé un nouveau contrat de 3 ans avec Bastia mais je savais que j’allais partir un an plus tard. Comme ça, Bastia pouvait gagner de l’argent sur mon transfert. Est-ce que j’aurais aimé jouer la Coupe d’Europe avec Bastia ? Oui mais je voulais découvrir un nouveau challenge. J’avais beaucoup de propositions et notamment Marseille. J’avais un accord avec l’OM mais Bastia ne s’est pas entendu avec Marseille. J’aurais aussi pu partir en Italie. Mais au final, j’ai opté pour Lens. Le club a tout fait pour me faire venir. Je n’ai pas regretté car à Lens, la vie au sein du club était fantastique. J’ai joué dans un stade magnifique et rénové pour la Coupe du Monde 1998 mais aussi avec des supporters merveilleux. Des supporters qui font le spectacle pendant 90 minutes.

A Lens, tu as notamment inscrit un triplé à Marseille (3-2) et un doublé à Metz (2-0)…
J’avais aussi marqué un triplé contre Cannes. J’ai marqué 14 buts cette saison-là en championnat. J’ai ressenti une émotion particulière en inscrivant un triplé à Marseille. Surtout que j’étais blessé au dos avant le match, je m’étais seulement entraîné la veille de la rencontre. Daniel Leclerq m’a dit avant le match : « vas-y, va t’échauffer, si tu peux jouer tant mieux, si tu ne peux pas tant pis ». Je lui ai dit : « oui c’est bon, je me suis bien échauffé. Si j’ai mal, je sortirai ». Finalement, j’ai marqué mes premiers buts de la saison à Marseille.

Quant au doublé à Metz, il est vraiment capital dans l’histoire du RC Lens…
Ah oui ça, c’est clair qu’il a vraiment été capital. Nous, on était deuxièmes derrière Metz. Au Stade Saint-Symphorien, j’ai marqué l’un des plus beaux buts de ma carrière suite à un superbe relais avec Vladimir Smicer. Avec cette victoire, on a gardé la première place jusqu’à la fin de la saison. Je me souviens que le mardi, je jouais un match amical avec l’équipe nationale de Yougoslavie en Argentine. Je suis rentré jeudi en France et je ne devais pas jouer à Metz le samedi à cause du décalage horaire (rires). J’ai dit à Daniel Leclercq : « je suis vraiment fatigué ». Il m’a répondu : « non, tu vas commencer le match, si tu ne peux pas tu sors ».

« Je m’excuse auprès des supporters de Lens d’être parti en 1998, mais il faut comprendre qu’une carrière de joueur de foot ne dure pas jusqu’à 50 ans. Au Japon, on me proposait un très bon contrat et je devais gagner ma vie »

Quels souvenirs gardes-tu du titre de champion de France obtenu à Auxerre ?
C’était fabuleux. Extraordinaire. On a commencé le championnat avec quelques nouveaux joueurs comme moi et Stéphane Ziani. La saison précédente, Lens avait fini 14eme de D1. Malgré cela, le club avait une équipe vraiment forte : Marc-Vivien Foé, Vladimir Smicer, Tony Vairelles, Frédéric Dehu, Cyrille Mgnier, Jean-Guy Wallemme, Gullaume Warmuz, Eric Sikora. Outre le onze type, il y avait aussi un banc de touche vraiment costaud. Pour revenir au titre, c’était fabuleux d’arriver à 2h du matin dans ce stade Bollaert qui était plein. Un stade plein la nuit pour une ville de 45 000 habitants, c’était de la folie. Déjà à la sortie de l’aéroport, le bus avait du mal à avancer (rires). Malheureusement je n’ai pas pu participer aux célébrations à la mairie le lendemain car j’étais appelé par l’équipe nationale de Yougoslavie pour préparer la Coupe du Monde 1998.

Une Coupe du Monde 1998 que tu n’as pas jouée finalement…
A l’époque en équipe nationale, il y avait toujours des magouilles. J’ai joué pratiquement tous les matchs de qualification. A la fin, ils ont pris des joueurs qui n’avaient même pas joué cette phase éliminatoire. Pourquoi ? Pour des raisons politiques. Pas footballistiques. En plus dans sa poule de Coupe du Monde, la Yougoslavie a joué un match au Stade Bollaert. Je ne méritais pas d’être écarté. Même les journaux locaux se demandaient pourquoi je n’avais pas été convoqué. Si tu fais jouer des joueurs qui n’ont jamais porté le maillot de l’équipe nationale en Coupe du Monde, ce n’est pas sérieux.

Pourquoi as-tu décidé de quitter Lens en 1998 pour jouer au Japon ?
J’avais 30 ans et je devais gagner ma vie. Au départ, je n’étais pas très chaud pour y aller mais j’avais un très beau contrat qui m’attendait au Japon. Je m’excuse auprès des supporters de Lens, mais il faut aussi comprendre qu’une carrière de joueur de foot ne dure pas jusqu’à 50 ans. Je pense que si j’avais joué la Coupe du Monde je serais peut-être resté à Lens. Mais j’étais vraiment déçu de ne pas avoir été convoqué avec la Yougoslavie et je me suis dit : « bon Anto, tu as 30 ans, peut-être qu’il faut y aller ». A l’époque, plein de grands joueurs en fin de carrière jouaient au Japon pour faire la promotion du foot avant la Coupe du Monde 2002.

« Au début c’était bien à Sochaux. Puis Jean Fernandez est arrivé sur le banc et a privilégié les jeunes. J’ai voulu partir mais le président Plessis m’a retenu »

Puis tu es revenu en France, à Sochaux, en 2000…
J’ai signé deux ans au Japon mais je suis resté seulement un an car Fredéric Antonetti, qui a insisté pour que je le rejoigne à Osaka, est parti après un an. Je suis également parti car Sochaux m’a fait une belle proposition. Le club voulait remonter en Première Division. J’ai signé en même temps que Jean-Michel Ferri, l’ex-milieu de Nantes. Au début c’était bien. Puis Jean Fernandez est arrivé sur le banc de Sochaux et a privilégié les jeunes. J’ai voulu partir mais le président Plessis m’a retenu. Au final, j’ai remporté le titre de champion de L2 avec Sochaux en 2001. Là-bas, les jeunes qui m’impressionnaient le plus étaient Pierre-Alain Frau, Benoît Pedretti et Camel Meriem. Sochaux, c’était un bon club. Avec de formidables installations.


Tu as fini ta carrière à Martigues (ndlr : le club a été relégué en National à la fin de la saison 2001/02). Une saison que tu as conclue avec neuf buts au compteur….
Comme je n’étais pas bien avec Jean Fernandez à Sochaux, je ne voulais pas rester sur le banc de touche. Même si j’étais en fin de carrière. Martigues m’a appelé. J’ai passé une année dans une belle région, avec le soleil et la mer. J’ai marqué 9 buts en championnat. C’était pas mal. J’avais encore 1 an de contrat mais je voulais arrêter à la fin de la saison.

Enfin, souhaites-tu ajouter quelque chose ?
Je veux que ma carrière d’entraîneur soit aussi belle que ma carrière de joueur. Sinon, je suis très fier de ce que j’ai réalisé quand j’étais joueur. Je souhaite beaucoup de réussite à tous les clubs où je suis passé. J’espère aussi avoir donné beaucoup de joie aux fans de foot en France.

Propos recueillis par Thierry Lesage

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