Revenu à Montpellier pour restructurer la cellule de recrutement du centre de formation, à la demande de son ami Louis Nicollin, Robert Nouzaret s’est confié à Foot d’Avant pour faire le bilan de sa carrière d’entraîneur. Jean-Michel Aulas, Alex Dias, José Aloisio, Gérard Soler, Alain Bompard, ses belles années de coach à Caen, Saint-Étienne, Montpellier ou son expérience de sélectionneur en Afrique, Robert Nouzaret n’a éludé aucun sujet. Interview sans langue de bois.

 

Robert Nouzaret, que deviens-tu depuis ta dernière expérience de coach avec la République Démocratique du Congo en 2011 ?
Il y a trois ans, Louis Nicollin m’a demandé de restructurer la cellule de recrutement du centre de formation de Montpellier. C’est une mission captivante. Il n’y a pas de stress. Ça me permet de rester jeune sans prendre de médicaments (rires).

 

Aujourd’hui, quel entraîneur ressemble le plus au coach Robert Nouzaret ?
J’étais un entraîneur passionné, je ne comptais pas mes heures et je touchais à tout. Dans chaque club où j’ai travaillé, je défendais l’institution. J’étais un caractériel, un vrai casse-bonbon. Je me rapprochais peut-être de Vahid Halilhodzic sans dépasser des limites qu’il dépasse certaines fois. C’est un mec entier. Moi aussi, j’ai été éduqué comme ça. L’entraîneur avait beaucoup plus de personnalité que le joueur. Parce que j’étais un joueur moyen (ndlr : Robert Nouzaret a notamment joué à Lyon, Bordeaux ou Montpellier, à la fin des années 60-début des années 70). Quand tu es un joueur moyen, tu es plus discret. Une fois que je suis devenu entraîneur, j’ai été confronté à des joueurs en fin carrière et avec beaucoup de caractère. J’ai été obligé de me forger pour ne pas me faire marcher dessus.

 

Tu as commencé à entraîner à Montpellier à partir de 1976. Quelles étaient les méthodes d’entraînement à l’époque ?
A ce moment-là, j’étais entraîneur, préparateur physique, entraîneur des gardiens. Je prenais ma valoche et je faisais des publicités parce que c’était la philosophie du club. Quand tu multiplies les fonctions 24h/24, tu es moins efficace après avec les joueurs. Cette expérience m’a fait grandir. Puis j’ai eu l’opportunité ensuite d’avoir un, deux, trois et quatre adjoints. Du coup, les choses étaient plus faciles à gérer. J’avais plus de moments libres pour être focalisé sur l’aspect tactique, la gestion des hommes et des médias.

 

Dans les interviews que tu accordes, tu évoques souvent l’amitié qui liait le staff et la direction de Montpellier…
Les choses ont toujours été comme ça. C’était la philosophie de Louis Nicollin. On s’est connus à Lyon, on a joué l’un contre l’autre durant l’époque scolaire. Après, on s’est séparés par la force des choses puis on s’est retrouvés. Avec Louis Nicollin, c’était une ambiance de copains. Ce n’était pas l’usine. Avec Laurent, son fils, la philosophie est similaire.

 

« Jean-Michel Aulas, ce n’était pas ma tasse de thé. Je suis passé d’un extrême à l’autre : d’un mec paternel (Louis Nicollin) à un chef d’entreprise »

C’était comment de travailler sous la coupe de Louis Nicollin au quotidien ?
C’était un mec super attachant. Très intelligent. Dès qu’il te serrait la main, il savait à qui il avait affaire. Il était aussi très exigeant. On s’est séparés quatre ou cinq fois. Tu sais dans les bons moments, il y avait toujours des gens jaloux qui pouvaient raconter des conneries à Louis Nicollin. Je ne me laissais pas faire et ça pétait. Mais quand on se retrouvait, c’était comme si on ne s’était jamais quittés. J’avais confiance en lui. Il avait confiance en moi. On fonctionnait comme un couple.

 

En 1985, tu es parti entraîner Lyon et tu as d’ailleurs été le tout premier coach de Jean-Michel Aulas…
Je garde de bons souvenirs de cette période lyonnaise. Je suis d’abord tombé sur un président, Charles Mighirian, qui était super gentil. Il aimait le foot mais n’avait pas de moyens malheureusement. Puis j’ai été le premier entraîneur de Jean-Michel Aulas, et ça ne s’est pas passé de la même manière. Il s’est rendu compte que j’avais de la personnalité et qu’il ne pouvait pas me manipuler comme il le voulait. Cela ne pouvait pas marcher et on s’est séparés. J’aurais préféré qu’il me dise à son arrivée : “coach, je préfère travailler avec quelqu’un que j’ai choisi, pas avec vous”. Il a d’abord pris ses marques, regardé comment ça se passait. Il a voulu m’imposer un joueur, je n’étais pas d’accord et il m’a viré le lendemain après une défaite. Jean-Michel Aulas, ce n’était pas ma tasse de thé. Je suis passé d’un extrême à l’autre : d’un mec paternel à un chef d’entreprise. Même si je reconnais qu’il a réussi à changer l’Olympique Lyonnais. Le club est passé d’une société tranquillou à une société européenne. Il a donné à Lyon le club que la ville mérite.

 

Comment es-tu arrivé sur le banc du Stade Malherbe Caen en 1988, l’année où le club normand a décroché sa toute première montée en L1 de son histoire ?
Cela s’est fait par l’intermédiaire de l’ancien gardien de but, René Charrier, qui connaissait l’ex-président de Caen, Jean-Jacques Fiolet. Il cherchait un entraîneur et René Charrier lui a parlé de moi. Le président de Caen m’a téléphoné et m’a dit : “quand pouvez-vous venir ?”. “Moi, je prends le train dans cinq minutes, je suis là demain matin”, lui ai-je répondu. Ma réponse a été un déclic pour lui. A Caen, j’ai vécu deux superbes années.

 

Même si Caen venait de monter en L1, il y avait encore un esprit amateur avec une force de club très importante. Quels souvenirs gardes-tu de la vie quotidienne au Stade Malherbe Caen ?
J’ai souvent été dans des clubs où la relation humaine était importante. A Caen, je suis tombé dans un contexte favorable, avec des bons joueurs. Les gars n’avaient pas un ego démesuré. Au niveau du recrutement, on ne s’est pas trop trompés non plus. Puis il y avait surtout le contexte environnemental avec le public du Stade Venoix. Ce stade était toujours plein et l’ambiance incroyable nous a permis de remporter un bon nombre de points. Grâce au public caennais, on s’est sauvés sur le fil du rasoir en 1989. Mais la deuxième saison s’est passée différemment à cause d’un joueur que je ne faisais plus jouer. Il l’a eu en travers de la gorge et comme il avait des relations privilégiées avec le président Jean-Jacques Fiolet, tout a basculé pour moi dès qu’il y a eu un moment difficile. C’est dommage.

 

« Pour mon premier jour à Saint-Étienne, Georges Bereta m’a dit : “Robert, je n’ai pas compris comment Gérard Soler a pu te faire venir à Saint-Étienne avec tout ce que tu nous a mis quand tu jouais à Lyon. J’espère que ça va bien se passer avec le public”. Finalement, ça s’est super bien passé. Extraordinaire »

 

Tu parles des joueurs sans ego démesuré. Cela fait penser à Graham Rix qui buvait des bières à la fin des entraînements. Dans le livre “20 Légendes du Stade Malherbe Caen”, l’ex-international anglais a confié : “Robert Nouzaret était d’accord mais il ne voulait pas que je boive des bières devant les autres joueurs”…
Ouais, c’est vrai, j’ai dit ça. Quand tu recrutes un mec de 20 ans, tu peux le façonner pour ne pas qu’il fasse de conneries. Mais quand tu engages un gars en fin de carrière et qui a ses habitudes, c’est de la bêtise de vouloir tout changer. En faisant ça, tu le rends beaucoup plus mauvais. Moi, je ne voulais pas qu’il le fasse devant des joueurs qui n’étaient pas habitués. Bon, après il ne se saoulait pas la gueule non plus. A l’époque, les Anglais n’avaient pas toujours une vie extra-sportive qui leur permettait d’être encore meilleurs. Mais ça ne les gênait pas. Ils étaient tellement motivés sur le terrain que ça compensait. Graham est un mec super, d’ailleurs je suis toujours en contact avec lui.

 

Après avoir rebondi en tant que manager général de Montpellier de 1991 à 1996 puis sélectionneur de la Côte d’Ivoire de 1996 à 1998, tu es devenu l’entraîneur de Saint-Étienne à un moment où les Verts flirtait avec le championnat de National 1. L’intégration a-t-elle été difficile en tant qu’ancien Lyonnais ?
Lorsque j’étais manager de Montpellier, j’ai noué des relations avec Gérard Soler. On se disait : “ça serait bien si on pouvait travailler ensemble un jour”. En 1998, Gérard, qui venait d’être nommé président délégué à Saint-Étienne, m’a appelé : “écoute Robert, on est dans une situation difficile. Est-ce que ça t’intéresse de venir?”. J’ai accepté. Pour mon premier jour à Saint-Étienne, Georges Bereta m’a dit : “Robert, je n’ai pas compris comment Gérard Soler a pu te faire venir à Saint-Étienne avec tout ce que tu nous a mis quand tu jouais à Lyon. J’espère que ça va bien se passer avec le public”. Finalement, ça s’est super bien passé. Extraordinaire. Tous les matins, je remerciais le p’tit Jésus.

 

Quels souvenirs gardes-tu de tes débuts sur le banc de Saint-Étienne ?
Je suis rentré dans le vif du sujet avec plus de vingt matchs sans perdre puis une montée en L1 en 1999. Le club ne s’était pas trompé dans le recrutement, il y avait du monde au stade, les médias nous aimaient bien, il y avait de l’argent dans les caisses. Tout se passait bien. C’était le paradis. Par ailleurs, la pancarte “Ici c’est le chaudron”, c’est moi qui ai demandé à l’installer à ce moment-là. Quand j’étais à Caen, j’allais souvent voir des matchs en Angleterre et je voyais souvent ce genre de pancartes. Cela m’avait frappé.

 

Tu disais au début de l’interview que tu étais un entraîneur passionné. Tu as dû aimer l’atmosphère de Saint-Étienne…
Ah ouais. En plus, j’étais pote avec Gérard Soler. Chacun restait à sa place. Alain Bompard vivait à Paris. Il venait à Saint-Étienne le jeudi. On faisait des bonnes bouffes et on gagnait pratiquement chaque week-end. Malheureusement, le mauvais côté de la nature humaine a pris le dessus. On s’est dispersés puis séparés pour des problèmes d’ego. Des conneries. Pourtant, on avait tout pour être pénards. Je l’ai toujours regretté. Jamais je n’aurais pensé que ça se finirait comme ça. Nous l’avons tous payé ensuite.

 

« Alex Dias, j’ai failli le taper en rentrant au vestiaire. Je lui ai dit : “ça fait deux mois que tu es avec nous, tu es feignant, tricheur et toujours en train de te plaindre et là tu nous montres un talent extraordinaire. C’est une honte” »

Les résultats sportifs n’ont pas été la seule cause de ton licenciement de Saint-Étienne à l’automne 2000 ?
Non, ce n’était pas à cause des résultats même si on vivait une période difficile. C’est un problèmes de responsabilités, d’ego. Alain Bompard avait du mal à exister parce que tout le monde faisait bien son boulot. Comme il était désormais tous les jours au club, il s’est presque rendu compte qu’il ne servait à rien. Cela le gênait. Gérard en avait marre d’avoir Alain Bompard tous les jours sur le dos et il a voulu prendre ma place. ça m’a tué.

 

A Saint-Étienne, tu as aussi connu les Brésiliens Alex Dias et José Aloisio. Quels souvenirs gardes-tu de ces deux joueurs arrivés à Saint-Étienne en 1999 ?
C’est un sentiment opposé : Alex était un p’tit con alors que José Aloisio était un super mec. Cependant, Alex avait un grand talent. Quand il est arrivé à Saint-Étienne, il ne faisait aucun effort. L’histoire est simple : au début, il ne jouait pas. Un jour, avant un match à domicile contre Nancy, une équipe réputée pour jouer très défensif, Rudi Garcia m’a dit : “Robert, on devrait prendre Alex dans le groupe. Si on a du mal, il peut nous sauver avec ses dribbles courts”. A la mi-temps, Saint-Étienne était mené 0-1. Je le fais entrer après la pause et il nous fait gagner le match. J’ai failli le taper en rentrant au vestiaire. Je lui ai dit : “ça fait deux mois que tu es avec nous, tu es feignant, tricheur et toujours en train de te plaindre et là tu nous montres un talent extraordinaire. C’est une honte”. Ce mec avait besoin qu’on lui fasse des bisous du matin au soir et d’entendre que c’était le meilleur et le plus beau. ça me rappelle l’Argentin Hugo Curioni que j’ai côtoyé à la Paillade. La semaine, il ne foutait que dalle. Mais le jour du match, il était à 300% et nous faisait gagner deux rencontres sur trois. C’est le charme du boulot d’entraîneur : tu dois manager plein de joueurs avec des caractères différents. Il faut s’adapter pour l’intérêt de l’équipe.

 

Puis en un an et demi, tu as connu deux clubs : Toulouse (fin 2000-2001) et Bastia (2001-2002)…
Quand je suis arrivé à Toulouse, le club avait du retard au classement et ça nous a été fatal. Au cours de cette saison, on a découvert que le club avait énormément de problèmes financiers (ndlr : le TFC a été rétrogradé en National à l’été 2001). Là-bas, je me suis régalé. Pareil à Bastia. On a joué la finale de la Coupe de France contre Lorient (défaite 0-1) en 2002. Je m’en voudrais toujours par rapport à la composition d’équipe. J’ai voulu faire dans le sentimental avec deux joueurs car je pensais que ça serait leur dernière finale et je me suis gouré. Je le regretterai toujours. Ensuite, je ne pensais pas que j’allais partir en fin de saison. Les dirigeants ont voulu m’imposer un joueur. J’ai refusé. Je ne voulais pas assumer la responsabilité d’un échec. Suite à cet épisode, on s’est séparés.

 

Tu as également eu un passé de sélectionneur en Côte d’Ivoire, en Guinée Conakry et en République Démocratique du Congo. Que retiens-tu de tes années de sélectionneur  ?
J’ai aimé ce football complètement différent du foot européen. J’ai surtout aimé la première période que j’ai faite avec la Côte d’Ivoire, de 1996 à 1998. Il y avait très peu de joueurs qui évoluaient en Europe. Donc, j’étais obligé de suivre des joueurs en Afrique. L’expérience a été différente de 2002 à 2004. Là, presque 100% de l’équipe jouait dans des grands clubs européens. Aujourd’hui, je pense qu’il y a encore énormément de retard à rattraper pour qu’une sélection africaine puisse devenir championne du monde. Pourtant regarde le nombre de joueurs africains qui évoluent en Europe. ça montre que le niveau des joueurs africains est élevé. Malheureusement beaucoup de choses les empêchent d’avoir le même rendement qu’en Europe.

 

“Un mec (ndlr : un international africain) qui joue à Arsenal, à Barcelone, au Bayern Munich ou à Manchester United, il évolue dans des conditions parfaites. En sélection, il y a des problèmes pour payer une prime de match, trouver un hôtel, se déplacer dans un avion confortable. Il joue sur des terrains d’entraînement bosselés… Sur le plan sportif, le football africain a les moyens de remporter la Coupe du Monde mais il y a trop de phénomènes qui les empêchent d’aller plus haut »

 

Que manque-t-il précisément à ces sélections africaines ?
Un mec qui joue à Arsenal, à Barcelone, au Bayern Munich ou à Manchester United, il évolue dans des conditions parfaites. En sélection, il y a des problèmes pour payer une prime de match, trouver un hôtel, se déplacer dans un avion confortable. Il joue sur des terrains d’entraînement bosselés. Sur le plan sportif, le football africain a les moyens de remporter la Coupe du Monde mais il y a trop de phénomènes qui les empêchent d’aller plus haut. Du coup, ça démotive les joueurs. Je pense que les choses vont évoluer petit à petit. Il faut aussi changer les mentalités des présidents de fédérations. Aujourd’hui, le moment est-il venu de voir plus de sélectionneurs africains à la tête de sélections africaines ? Je pense qu’un jour, il faudra qu’ils s’assument eux-mêmes. Après quelle sera l’attitude des joueurs africains avec un entraîneur africain ? C’est une autre question. S’il se retrouve face à des joueurs qui évoluent dans les plus grands clubs européens, son autorité sera plus difficile à imposer qu’un entraîneur européen avec une carte de visite. C’est dommage.

 

Par ailleurs, c’est toi qui a fait venir Didier Drogba avec la Côte d’Ivoire en 2002…
A l’époque, il jouait à Guingamp. Je suis allé le voir. Il n’y a eu aucun problème avec lui, c’est un mec bien.

 

Durant tes expériences de sélectionneur en Afrique, as-tu été confronté à l’ingérence politique ?
Oui, le président de la République Démocratique du Congo a essayé de m’influencer. D’ailleurs, c’est pour ça que je suis parti. Il voulait que je convoque des joueurs dont je n’avais pas du tout envie de sélectionner. Et je ne te parle pas des problèmes d’argent. C’était honteux ce qu’il faisait. En Guinée Conakry, quand les militaires sont arrivés au pouvoir, ils ont voulu supprimer mon staff. Il y avait beaucoup de blancs. Ils ont aussi voulu m’influencer dans le choix des joueurs. Du coup, j’ai dit stop, j’arrête. Pourtant, avant ça, j’étais tombé sur des gens très bien et qui me faisaient confiance.

 

Enfin, souhaites-tu ajouter quelque chose ?
Je remercie le p’tit Jésus tous les jours. J’ai réalisé une carrière de joueur puis une carrière d’entraîneur au delà de mes espérances. Pourtant j’étais un joueur moyen. J’ai donné du plaisir aux gens. Moi aussi je me suis régalé.

 

Propos recueillis par Thierry Lesage

 

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