Star absolue en Italie, Sébastien Frey n’a pas eu la même reconnaissance en France. L’ancien gardien de l’Inter Milan, de Parme, de la Fiorentina et du Genoa, qui a connu deux sélections en équipe de France A, raconte l’immense fierté qu’il a eue de porter le maillot bleu. Sa première cap en Ukraine devait être un rêve. Un rêve qui a tourné au cauchemar. Dans un entretien authentique accordé à Foot d’Avant, Sébastien Frey se confie sur son passé en équipe de France.


Sébastien, quand tu étais petit, quel gardien de but des Bleus te faisait rêver ?
J’adorais Bruno Martini pour sa sobriété dans les buts. Toujours très froid. Il y avait aussi Bernard Lama qui était un gardien de but monstrueux. Un chat. Magnifique. Puis tu as aussi Fabien Barthez. En équipe de France, il y a toujours eu des grands gardiens de but. La tradition a pratiquement toujours été respectée.

Tu as joué avec l’équipe de France Espoirs. Quels souvenirs en gardes-tu ?
J’ai fait toutes les sélections, des moins de 15 ans jusqu’aux A. Ma première convocation en équipe de France jeunes, c’était tout simplement magique. Ce premier maillot-là, je l’ai toujours à la maison. A 15 ans, c’est beau de te dire que tu représentes ton pays. Quelle sensation extraordinaire ! Les Espoirs, c’était une continuité. Cette période-là ne s’est pas bien passée, car à un moment donné, j’aurais dû jouer. Quand j’étais titulaire à l’Inter Milan, j’étais en concurrence avec Mickaël Landreau. Raymond Domenech a fait un choix plus affectif que footballistique.

Quelles étaient tes relations avec Raymond Domenech en équipe de France Espoirs ?
C’était compliqué et conflictuel. Lui ne supportait pas l’Italie. Moi ou Stéphane Dalmat (ndlr : ex-joueur de l’Inter Milan), il ne nous appréciait pas plus que ça. On n’était pas aidés. C’était bizarre de nous juger pour cette raison. Même si je jouais en Italie, j’étais fier de représenter mon pays. 


« Quand tu regardais l’Équipe du Dimanche, ça ne mentait pas. Mais on ne parlait jamais de mes prestations comme il se devait. C’était juste : “ah oui, Sébastien Frey a fait un bon match” et ça s’arrêtait là. Pour moins que ça, d’autres joueurs ont eu droit à des documentaires »

Lorsque tu brillais de mille feux à l’Inter Milan puis à Parme au début des années 2000, est-ce que Roger Lemerre, ex-sélectionneur de l’équipe de France de 1998 à 2002, t’a appelé au moins une fois ?
Je n’ai pas eu l’occasion de discuter énormément avec Roger Lemerre. Je me souviens plus d’Aimé Jacquet. Je le respecte énormément. Après avoir été Champion du Monde, il commentait la Ligue des Champions pour Canal +. Il venait régulièrement commenter les matchs de la Fiorentina. Souvent, en fin de rencontre, il descendait pour me saluer, me parler et faire un débrief du match. Venant d’un tel monstre sacré, c’était énorme. Quand j’étais en Espoirs et en conflit avec Raymond Domenech, il était aussi venu me voir à la fin d’un entraînement pour comprendre ce qu’il se passait.

Tu étais une star absolue en Italie. Comment as-tu vécu ce manque de reconnaissance en France ?
Il fallait que je sois mis à l’écart pour ne pas faire de l’ombre à d’autres personnes. On m’a mis beaucoup de bâtons dans les roues en France.

A qui penses-tu quand tu dis “on” ?
La presse française ne m’a vraiment pas aidé. Pendant longtemps, mes prestations étaient tellement réussies que c’était compliqué de mal parler de moi. Il y a d’abord eu une période où on parlait moins de moi, puis un peu mieux. Pourtant quand tu regardais l’Équipe du Dimanche, ça ne mentait pas. Mais on ne parlait jamais de mes prestations comme il se devait. C’était juste : “ah oui, Sébastien Frey a fait un bon match” et ça s’arrêtait là. Pour moins que ça, d’autres joueurs ont eu droit à des documentaires. Par exemple, je ne suis jamais apparu dans Téléfoot malgré presque vingt ans au haut niveau. Alors qu’en Italie, la Gazzetta Dello Sport a sorti un classement des meilleurs gardiens étrangers de Série A lors des 20 dernières années en juin dernier et je suis dans le Top 3. J’ai arrêté il y a quatre ans, mais là-bas je suis respecté par rapport à ce que j’ai fait.

Comment ce manque de reconnaissance était-il perçu en Italie ?
Les gens ne comprenaient pas et ne trouvaient pas ça normal. Quand les journalistes italiens m’interviewaient, leur première question était : “pourquoi tu n’es pas sélectionné en équipe de France ?”. Le grand regret de ma carrière est de ne pas avoir pu me confronter à mes concurrents directs, que j’affrontais en Italie ou en Coupe d’Europe, sur le plan international.

Valérien Ismaël a été ignoré par l’équipe de France malgré ses belles prestations au Werder Brême et au Bayern Munich. Il a pensé à jouer pour l’Allemagne lors de la Coupe du Monde 2006. Aurais-tu aimé jouer pour l’Italie ?
Non, jamais. Je connais mes racines et mes valeurs. Jamais je n’aurais renié mon pays. Moi mon pays, c’est la France, quitte à ne pas être appelé et à rester à la maison. Je suis français et fier de l’être. Si j’étais né à l’étranger, j’aurais sûrement jouer sept ou huit ans en équipe nationale. 

« Raymond Domenech m’a annoncé ma titularisation pour Ukraine-France la veille du match. A la fin de l’entraînement, il me dit : “Seb au fait, demain c’est toi qui joue”. Psychologiquement, je n’ai pas pu me préparer dans les meilleures conditions »


En novembre 2004, tu as été convoqué pour la première fois en équipe de France A. Comment as-tu vécu cette annonce ?
Magnifique. C’était un rêve de porter le maillot des Bleus. C’est Bruno Martini qui m’a appris la nouvelle suite à une blessure à un doigt de Fabien Barthez. Je ne m’y attendais vraiment pas en plus. Je me souviendrai longtemps de ce match au Stade de France. Même si j’étais sur le banc. Pendant toute la préparation, je me suis régalé. Dans le groupe, je me sentais respecté par rapport à mes performances en Italie. Je suis arrivé à un moment où une génération qui avait tout gagné était sur la fin. 

As-tu eu une discussion avec Raymond Domenech avant ce France-Pologne (0-0) en 2004 ?
Non rien. Il n’avait rien à me dire. Cependant je devais faire partie des trois ou quatre gardiens de but présélectionnés pour la Coupe du Monde 2006 mais malheureusement je me suis gravement blessé à un genou avec la Fiorentina quelques semaines avant. 

Tu évoques tes rapports froids avec Mickaël Landreau. En 2007, il a effectué une boulette face à l’Écosse (0-1). Grégory Coupet avait déclaré : “moi je l’aurais arrêté”. Comment as-tu réagi ?
J’étais sur le banc de touche ce jour-là. Par rapport aux prestations de mes confrères, je n’ai jamais souhaité enfoncer le couteau dans la plaie lorsqu’ils effectuaient des boulettes. 

Revenons à ce match Ukraine-France en novembre 2007. Comment Raymond Domenech t’a annoncé ta titularisation ?
C’était très bizarre. Il me l’a annoncé la veille du match. A la fin de l’entraînement, il me dit : “Seb au fait, demain c’est toi qui joue”. Psychologiquement, je n’ai pas pu me préparer dans les meilleures conditions. C’est bizarre, mais je sentais que toute la presse française attendait que je me troue vu comment elle m’est tombée dessus ensuite. C’est la première fois que j’ai fait la Une de l’Équipe. J’ai très rarement fait des erreurs comme ça dans ma carrière. Heureusement, l’équipe de France était déjà qualifiée. 

Raconte-nous comment tu as vécu ton début de match ?
J’étais bien dans ma rencontre. J’avais fait un super échauffement même s’il faisait très froid. Rapidement, je prends un but d’Andriy Voronine. Mais je ne peux rien faire, il met une demi-volée dans le petit filet. Ensuite j’effectue un bel arrêt. Jusqu’à cette erreur, ça se passe très bien. Mais inconsciemment, je sentais que les points rouges des snipers me visaient. Puis il s’est passé ce qu’il s’est passé. J’en ai énormément voulu aux médias français. Ma famille a été plus touchée que moi. On en est arrivé à dire que j’étais l’un des plus mauvais gardiens de l’équipe de France. Tout ce que j’avais fait avant avait été remis en question. C’était dégueulasse. Pourtant, lors de la saison 2007/08, la Fiorentina a fini meilleure défense de Série A et j’ai été élu meilleur gardien. Ma carrière ne dépendait pas d’amitiés et de favoritisme. Moi, je ne dois remercier personne. Cela n’a aucun prix.


« Après Ukraine-France, Claude Makélélé m’a un peu chambré pour faire retomber la pression. Malgré tout, je me suis senti seul. D’ailleurs, on m’a envoyé en salle de presse après le match. Alors que dans ce cas, ça aurait été mieux qu’on me protège en envoyant d’autres joueurs »


A la 46eme minute, Andrei Schevchenko effectue une tête. Tu te saisis mal du ballon qui rentre dans le but…Raconte-nous cette action de l’intérieur ?
Le ballon monte et va sur mon côté droit. C’est un ballon anodin. Dans ma tête, j’avais déjà anticipé une relance à droite sur Willy Sagnol. Je saute pour prendre le ballon d’une main et il arrive en plein milieu du projecteur. Je le perds de vue pendant une seconde. Alors que le ballon continue à avancer. Moi, je suis convaincu qu’il est dans ma main alors qu’en fait, il est déjà rentré. 

Que t’ont dit les autres joueurs de l’équipe de France à la fin du match ?
Claude Makélélé m’a un peu chambré pour faire retomber la pression. Malgré tout, je me suis senti seul. D’ailleurs, on m’a envoyé en salle de presse après le match. Alors que dans ce cas, ça aurait été mieux qu’on me protège en envoyant d’autres joueurs. 

Comment as-tu vécu les jours qui ont suivi ?
Psychologiquement, la semaine qui a suivi a été compliquée. En Italie, j’ai été très chouchouté. C’était très réconfortant. 

En mai 2008, tu as joué France-Equateur (2-0) en amical avant l’Euro 2008. Pensais-tu faire partie de la liste ?
Sincèrement, non. Grégory Coupet et Mickaël Landreau jouaient en France. En plus, Steve Mandanda était jeune et avait fait une superbe saison avec l’OM. Raymond Domenech avait plus d’intérêt à miser sur la jeunesse. Mais j’ai réalisé une bonne préparation. Le courant est bien passé avec Greg et Steve. Finalement, ç’a été une très belle surprise d’avoir été pris. Pourtant, mon sac était prêt. On avait des balcons communicants, Samir Nasri et Karim Benzema m’ont dit qu’ils avaient vu Mickaël Landreau partir. C’était une revanche d’être à l’Euro 2008. Dommage que la France ait été sortie dès la phase de poules.

Tu as pris ta retraite internationale jeune. Tu avais 28 ans et c’était juste après l’Euro 2008…
Après le championnat d’Europe, Grégory Coupet a décidé d’arrêter l’équipe de France. J’aurais dû être “la transition” avant que Steve Mandanda et Hugo Lloris s’installent au poste de gardien de but. Mais après l’Euro, le sélectionneur est resté en place. Pourtant les choses ne tournaient pas rond : on s’est fait sortir en poule et la compétition s’est mal passée. Je me suis dit : “ça ne sert à rien de continuer”. Si j’avais été en Afrique du Sud en 2010, je suis sûr que les journalistes m’auraient fait porter le chapeau. D’un autre côté, je me dis que c’était un mal pour un bien, même si ça m’a fait mal au cœur sur le coup.


Propos recueillis par Thierry Lesage


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