Photo ville Le Havre

Thierry Uvenard a porté un seul et unique maillot au cours de sa carrière : celui du Havre. Le club de sa ville. Le club de son cœur. Le club qu’il supportait dès l’âge de 4 ans tous les dimanches avec son père et son frère aîné alors que le HAC se traînait en bas de classement de Troisième Division. Au cours de cette magnifique interview, Thierry Uvenard se confie avec passion sur ses plus grands moments de carrière au HAC. Une carrière professionnelle qui n’aurait peut-être jamais vue le jour sans le soutien de Jean-Pierre Hureau, l’ex-président emblématique du club doyen. Entretien avec un Havrais pur souche qui continue encore aujourd’hui de défendre les valeurs de son club de toujours.

 

Thierry Uvenard, que devenez-vous depuis la fin de votre carrière de joueur de football professionnel en 1998 ?
Aujourd’hui, je suis responsable de la section féminine du Havre Athlétic Club et entraîneur de l’équipe première féminine (ndlr : en D2). Ça fait un an et demi que je travaille pour le football féminin et je trouve que c’est une expérience enrichissante. C’est important pour moi de travailler de nouveau au HAC après y avoir fait toute ma carrière de joueur et entraîné les jeunes puis les pros de 2005 à 2007. Après une petite dizaine d’années passées en dehors du Havre (ndlr : à Toulouse et Lens) je suis heureux d’être de retour.

 

Que représente le HAC pour vous ?
Quand j’étais tout jeune, j’habitais dans le quartier de Soquence, à deux pas du Stade Jules-Deschaseaux. Tous les dimanches, dès l’âge de 4-5 ans, j’allais voir l’équipe seniors du Havre qui se traînait à l’époque en fin de classement de troisième division. On partait à 15h de la maison avec mon père et mon frère aîné pour revenir un peu après 17h. Ce sont des beaux souvenirs. Puis j’ai eu la chance de signer une licence au HAC à l’âge de 14 ans. Pour moi, c’était du bonheur. Une grande fierté. Ça s’est enchaîné ensuite quand j’ai réalisé toute ma carrière de joueur de football professionnel au sein de mon club. Le club de ma ville.

Quelle était l’ambiance au Stade Jules-Dechaseaux dans les années 70 ?
A l’époque, c’était loin d’être un stade à l’anglaise tel qu’on l’a connu dans les années 90. Le Stade Jules-Deschaseaux était un stade d’athlétisme : il y avait une piste, les tapis de saut à la perche et de saut en hauteur et des gradins loin du terrain. Je me souviens de gradins avec de gros pylônes qui faisaient un mètre de diamètre pour supporter la toiture. Il y avait des pylônes tous les vingt mètres et nous étions obligés de nous déplacer latéralement pour bien suivre les actions. Il n’y avait pas une grosse ambiance, mais il y avait quand même un potentiel public avec environ 3500 spectateurs. Je me souviens même y avoir fait du sport avec l’école. Je l’ai donc vu évoluer au fur et à mesure des années. Le Stade Jules-Deschaseaux est devenu un vrai stade de football quand les travaux se sont terminés au milieu des années 80.

Avant d’intégrer le HAC à 14 ans, vous avez joué pour l’équipe des cheminots du Havre…
Oui, j’ai joué avec cette équipe sur le terrain de Soquence dès l’âge de 8 ans. Ce terrain va d’ailleurs être utilisé pour le nouveau centre des professionnels. Ensuite j’ai fait une détection et je suis entré au HAC à 14 ans. Je me souviens de la bonne ambiance de quartier qui régnait à l’association sportive des cheminots havrais. Mais à l’époque, l’ambiance au sein du club m’importait peu. Ce qui comptait, c’était seulement de courir et taper dans le ballon.

« De 18 ans, l’année de l’obtention de mon CAP, jusqu’à 23 ans, j’ai beaucoup travaillé en dehors du foot. J’ai été livreur, j’ai fait du fraisage, de la menuiserie, de l’électricité pour la ville du Havre et de la maçonnerie »

 

A votre arrivée au HAC à 14 ans, est-ce que vous vous êtes imaginé devenir professionnel quelques années plus tard avec le maillot ciel et marine ?
Non je ne me suis pas imaginé professionnel, c’était juste une grande fierté de porter ce maillot. Je voulais juste bien faire. J’ai été amateur jusqu’à 23 ans. C’est à cet âge-là que j’ai décidé de partir à Fécamp, qui jouait dans la même division que l’équipe réserve du HAC à l’époque. Mais Jean-Pierre Hureau m’a dit : « non, non, non. Tu ne vas pas là-bas, tu restes là ». De 18 ans, l’année de l’obtention de mon CAP, jusqu’à 23 ans, j’ai beaucoup travaillé en dehors du foot. J’ai été livreur, j’ai fait du fraisage, de la menuiserie, de l’électricité pour la ville du Havre et de la maçonnerie. D’ailleurs, j’étais en train de peindre quand vous m’avez appelé (rires).

 

Quand vous enchaîniez les boulots en dehors du foot, vous avez sûrement pensé que vous ne deviendriez jamais joueur professionnel du HAC ?
J’ai décidé de partir à Fécamp car à aucun moment je pensais que le HAC allait me faire signer un contrat professionnel. Pourtant, je faisais chaque année un match amical avec les pros en fin de saison. Mais en 1987, Le Havre a gagné 5-2 contre Brest en région parisienne. A la pause, il y avait 2-2 et je suis entré pour les 45 dernières minutes. J’ai obtenu un penalty, marqué un but et fait une passe décisive. J’étais attaquant à l’époque. Quand on est retourné au Havre en car, je me suis dit : « j’ai quand même fait quelque chose d’intéressant avec les pros, peut-être qu’on va me proposer un contrat ». Mais en fait, non. J’ai donc décidé de partir. Mais par respect pour le club et pour Monsieur Hureau, je suis venu lui annoncer personnellement et il a refusé que je parte. Monsieur Hureau, c’est LA figure emblématique du Havre Athletic Club. C’est un grand Monsieur. Je lui dois beaucoup. Notamment pour m’avoir permis de faire une carrière de joueur professionnel et de m’avoir poussé à passer mes diplômes d’entraîneur. Ce Monsieur faisait d’ailleurs partie de l’équipe dirigeante championne du Monde 1998. Aujourd’hui, je le vois encore au Havre. Il a 86 ans, il est propriétaire d’un restaurant et travaille toujours.

Quelle était l’ambiance au sein du HAC à la fin des années 80 lorsque vous avez débuté votre carrière professionnelle ?
Il y avait une bonne ambiance. C’est la période où le HAC est remonté en Division 2 puis en Division 1 pour la première fois depuis presque 40 ans. Le club commençait à poser les fondations pour devenir ce qu’il est aujourd’hui. Grâce à cette belle période, le HAC a construit son centre de formation qui a vu passer énormément de joueurs dont certains jouent actuellement en équipe de France. Après attention, à l’époque les moyens n’étaient pas exorbitants non plus. Les joueurs se garaient sur le parking public du Stade Deschaseaux à quelques heures du match. On faisait même la collation au stade. Puis on rentrait au vestiaire pour se préparer pour la rencontre. Quand Pierre Mankowski a remplacé Didier Notheaux, il a un peu changé les choses et l’avant-match se déroulait à l’hôtel.

 

Quels souvenirs gardez-vous de la montée du HAC en Ligue 1 en 1991 ?
En tant qu’Havrais pur souche, c’était une grande fierté. Champion de Deuxième Division, c’est mon plus beau titre avec le HAC. Dans la foulée, Le Havre a réalisé une très belle saison 1991/92 en terminant septième de Ligue 1 à deux points de l’Europe. A la trêve, Le Havre était même troisième derrière Marseille et Monaco. On ne calculait pas, on jouait les coups à fond. C’était une très belle saison sur le plan collectif mais aussi sur le plan individuel. Je pense même que c’est la plus belle saison de ma carrière.

 

« Je suis garant de l’esprit du HAC aujourd’hui, c’est clair. Le drapeau du HAC est toujours dans mon bureau. L’an dernier, j’ai même endossé un maillot ciel et marine pour faire ma causerie. Guy David, qui a coaché Le Havre de 1993 à 1996, disait que sous mon maillot, ma peau était Ciel et Marine »

 

Est-ce que le sentiment d’appartenance très fort au Havre vous a permis d’obtenir de très bons résultats à l’époque ?
Certainement car il y avait quelques gars originaires de la région comme Jean-Pierre Delaunay, François Quilan ou Thierry Moreau. On jouait pour notre club. J’aurais pu jouer dans une autre équipe pendant ma carrière professionnelle mais je suis originaire du Havre, mon épouse aussi. J’avais toute ma famille ici et je n’avais aucune envie de partir ailleurs.

 

Dans une précédente interview sur Foot d’Avant, Nicolas Huysman a déclaré : « dans le vestiaire au Havre à l’époque, il y avait des joueurs très attachés au club comme Thierry Uvenard, Jean-Pierre Delaunay ou Christophe Revault. Ces gaillards de la région avaient grandi avec le HAC, c’était leur club et les nouveaux joueurs devaient le respecter ». Confirmez-vous avoir été garant de l’esprit du HAC dans les années 90 ?
J’espère l’avoir été. Je le suis encore aujourd’hui, c’est clair. Le drapeau du HAC est toujours dans mon bureau. L’an dernier, j’ai même endossé un maillot du HAC pour faire ma causerie. Je parle souvent des couleurs ciel et marine. Je demande aux joueuses aujourd’hui de respecter ces couleurs. Guy David, qui a coaché Le Havre de 1993 à 1996, disait que sous mon maillot, ma peau était ciel et marine. J’ai du sang ciel et marine qui coule dans mes veines.

 

Avec quels joueurs avez-vous aimé jouer pendant votre carrière ?
Jouer avec des garçons comme Alain Caveglia, Vikash Dhorasoo ou Fabien Piveteau dans les buts, c’était forcément superbe. Mais personnellement, celui avec qui j’ai pris le plus de plaisir est André Kana-Biyik. J’ai joué à ses côtés lors de la saison de la montée (ndlr : 1990/91) et durant la première saison du HAC en L1. Je jouais arrière latéral gauche et lui était milieu relayeur-gauche dans un système à trois milieux de terrain. J’avais de très bonnes connexions avec lui et j’arrivais à le trouver facilement.

 

Avec le HAC, vous avez côtoyé plusieurs coachs : Didier Notheaux, Pierre Mankowski, Guy David, René Exbrayat et Denis Troch. Lequel vous a le plus apporté ?
Ils m’ont tous apporté des choses. J’ai eu Didier Notheaux lors de mes débuts au Havre. Je trouvais que c’était un très bon entraîneur. Ensuite, Le Havre a été coaché par Pierre Mankowski pendant cinq ans. Avec lui, ça s’est superbement bien passé. Il me faisait confiance. Avec lui, quand on arrivait sur le terrain d’entraînement, tout était préparé, les coupelles étaient posées. En tant que coach aujourd’hui, je m’inspire beaucoup de Pierre Mankowski pour la préparation des entraînements.

 

«  Quand j’ai repris l’équipe du Havre en 2005, Lassana Diarra m’a dit : « coach, sachez que l’an prochain, je ne serai pas là ». Moi, je lui ai juste demandé de sauver le club de la relégation en National. Il l’a fait et très bien fait. Moi et Le Havre lui devons une fière chandelle car sur les sept derniers matchs de L2, il a fait le boulot »

 

Vous avez joué jusqu’en 1998. Quels souvenirs gardez-vous de votre fin de carrière ?
Je n’en garde pas de très bons souvenirs car sur mes deux dernières saisons, j’ai eu trois fractures du péroné, une blessure aux ligaments croisés et une fracture du nez. Je me suis fait les croisés à l’automne 1997. J’ai repris fin mars-début avril 1998 en espérant jouer un match en fin de saison. Mais l’entraîneur de l’époque (ndlr : Denis Troch) n’a pas voulu me faire jouer pour ma dernière saison. Lors du dernier match à Deschaseaux, j’espérais qu’il me fasse au moins rentrer. Je n’étais même pas remplaçant.

 

Pourquoi êtes-vous devenu entraîneur ensuite ?
J’avais envie de transmettre mon expérience aux jeunes. Et surtout de continuer à travailler dans le sport que j’aime. Pour moi, c’était une suite logique.

 

Vous avez entraîné l’équipe première du Havre de 2005 à 2007. Comment avez-vous vécu cette expérience sur le banc de touche de votre club de cœur ?
J’ai pris l’équipe première le 1er avril 2005. A ce moment-là, le HAC était 19eme de Ligue 2, à un point du dernier. J’ai accepté la mission du Président Jean-Pierre Louvel alors que ce n’était vraiment pas évident à ce moment-là. En sept matchs, j’ai réussi à sauver le club d’une descente en National. J’en suis fier. C’était une fin de saison extraordinaire. Malheureusement des décisions ont été prises deux ans plus tard car j’ai fini deux fois sixième du championnat de L2.

 

Vous avez entraîné Steve Mandanda, Lassana Diarra et Guillaume Hoarau. Que pouvez-vous nous dire sur ces joueurs qui sont devenus internationaux ?
Steve, c’est moi qui l’ai lancé en Ligue 2 alors qu’il était très jeune (ndlr : 20 ans). Il était déjà un gardien remarquable. Mais c’est surtout un homme remarquable. Steve est une personne très, très sympa. J’ai la chance de l’avoir au téléphone de temps en temps. Je lui ai envoyé un message de félicitations après la victoire en Coupe du Monde en juillet dernier, il m’a appelé quinze jours après pour me remercier. Il n’oublie pas d’où il vient et les gens qui l’ont aidé à devenir ce qu’il est aujourd’hui. A l’époque, il était déjà très professionnel malgré son jeune âge. Il savait ce qu’il voulait et où il voulait aller. Je n’ai pas été surpris de le voir réussir au Havre puis à Marseille. Quant à Lassana Diarra, je l’ai eu avec moi lors des sept derniers matchs de la saison 2004/05 lorsque j’ai repris l’équipe. Quand je suis arrivé, il m’a dit : « coach, sachez que l’an prochain, je ne serai pas là (ndlr : il avait en effet rejoint Chelsea) ». Moi, je lui ai juste demandé de sauver le club de la relégation en National. Il l’a fait et très bien fait. Moi et Le Havre lui devons une fière chandelle car sur les sept derniers matchs de L2, il a fait le boulot. Enfin Guillaume Hoarau, il avait été mis au placard par l’entraîneur qui m’a précédé (ndlr : Philippe Hinschberger). Quand j’ai repris l’équipe, je l’ai réintégré au groupe. Lui aussi a donné un coup de main pour sauver le club. Lors des deux saisons suivantes avec moi, il n’a pas été titulaire car j’avais deux phénomènes devant : Jean-Michel Lesage et Kandia Traoré. Comme il manquait de temps de jeu, il a été prêté à Gueugnon en janvier 2007. Il est revenu l’été suivant et a fait une super saison en aidant Le Havre à être champion de France de L2 en 2008. Je l’apprécie beaucoup, s’il a 20 mètres à faire pour me dire bonjour, il les fait sans problème.

 

«  En 2019, la Coupe du Monde féminine se jouera en France et Le Havre accueillera sept matchs. Je ne suis pas sûr que les gens du Havre se rendent compte de la chance qu’ils ont d’accueillir une Coupe du Monde dans quelques mois. Plus jeune, jamais je n’aurais pensé qu’il y aurait le Mondial de foot au Havre »

 

Puis de 2008 à 2015, vous avez été l’adjoint d’Alain Casanova à Toulouse…
J’ai passé sept années extraordinaires à Toulouse. C’est Alain Casanova qui m’a fait venir au TFC. J’ai beaucoup appris à ses côtés. Je lui dois beaucoup. Je pense que je lui ai bien rendu par le travail que j’ai accompli, le temps que j’ai passé au club et avec lui pour faire de la vidéo et préparer les séances d’entraînement. A Toulouse, j’ai pu participer à la Coupe de l’UEFA et côtoyer de très, très bons joueurs comme Dédé Gignac, Moussa Sissoko, Étienne Capoue, Jérémy Mathieu, Mauro Cetto ou Cédric Carrasso.

 

Quels souvenirs gardez-vous de vos quelques mois passés à Lens en 2016 ?
Lens est un club extraordinaire. Les gens qui travaillent dans ce club sont tout aussi extraordinaires. Lens, c’est également un stade extraordinaire avec un public remarquable. Mais j’ai quitté le club pour des raisons personnelles.

 

Enfin, souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
Aujourd’hui, je suis dans le football féminin et je passe de bons moments professionnels. C’est une expérience différente et très enrichissante. En 2019, la Coupe du Monde féminine se jouera en France et Le Havre accueillera sept matchs. On doit remplir le Stade Océane. Je ne suis pas sûr que les gens du Havre se rendent compte de la chance qu’ils ont d’accueillir une Coupe du Monde dans quelques mois. Plus jeune, jamais je n’aurais pensé qu’il y aurait le Mondial de foot au Havre. Là, nous sommes la ville qui accueillera le plus de matchs avec Rennes et Paris. C’est quand même extraordinaire.

Propos recueillis par Clément Lemaître

 

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