A 48 ans, Wilfried Gohel a parfaitement réussi à tourner la page foot dans la restauration. Aujourd’hui l’ancien attaquant de Valenciennes (85-93), Strasbourg (93-96), Bastia (96-98), Cannes (98-01) et Changchun (2001) revient avec passion sur sa nouvelle vie mais aussi sur les moments forts de sa première carrière. Entretien savoureux !

Wilfried Gohel, que deviens-tu depuis l’arrêt de ta carrière au début des années 2000 ?
Depuis 2002, j’ai réussi mes diplômes d’entraîneur, puis je me suis lancé dans la restauration à Cannes avec l’achat d’un restaurant-brasserie puis d’un deuxième, récemment, à Mandelieu. C’est un endroit idyllique, exactement ce que je recherchais : un restaurant de plage, semi gastronomique, c’est un endroit très reposant, sur le sable. A côté, il y a un château, le port et la mer. Tout est réuni pour avoir la zen attitude. La cuisine est très soignée, avec un chef qui vient de chez Chibois. J’ai réussi à obtenir, avec un associé et ami d’enfance, le restaurant de mes rêves. Quand j’arrive chaque jour, je ne vois pas ce que je pourrais avoir de mieux.

Que peut-on manger dans ton restaurant ?
Nous avons de nombreuses spécialités de poissons, de viandes de très grande qualité. On fait un peu de terre et mer. Mon restaurant s’appelle Le Boucanier, où nous faisons parfois des soirées à thème. Il est très réputé sur Mandelieu. C’est une enseigne qui existe depuis plus de trente ans. Nous avons tout refait, l’intérieur et l’extérieur, et nous essayons actuellement d’obtenir un morceau de plage privé. La mairie a accepté et c’est maintenant une question de temps.

Qu’est-ce qui te manque dans le foot pro et qu’est-ce qui ne te manque pas ?
L’adrénaline me manque. Ces moments quand on rentre sur le terrain avec 30 000 ou 40 000 spectateurs qui vous acclament ou qui vous détestent. Ça apporte quelque chose qu’on ne peut pas avoir ailleurs. En revanche, ce qui ne me manque pas, ce sont ces espèces de salopards qui gravitent autour du football et qui ne pensent qu’à s’enrichir. Il y en a toujours eu dans le football et il y en aura encore. Quand il y a de l’argent, il y a toujours des vautours prêts à becter.

En quoi ta carrière dans le foot pro t’aide dans ta vie actuelle ?
La notoriété m’apporte un peu. Cela peut intéresser certaines personnes quand elles savent qu’il y a un ancien footballeur car elles peuvent un peu parler de ballon rond. Dans les clubs où je suis passé, j’essayais de tirer tout le monde vers le haut en faisant adhérer le groupe dans une bonne humeur. Dans mon métier actuel, il faut aussi avoir de la rigueur mais rien n’est incompatible. Je rigole quand le travail est très bien fait.

Revenons à tes débuts. Pourquoi as-tu choisi Valenciennes pour te lancer dans le monde pro ?
Je suis originaire de la Manche et je suis parti à Valenciennes sur un conseil de mon ancien entraîneur à St-Lô, Henri Atamaniuk, qui a aussi été sélectionneur pour les équipes de France de jeunes. Il m’avait dit que Valenciennes était une bonne école de football et que c’était mieux de débuter dans un club moins bien classé pour évoluer plus vite au plus haut niveau.

« Apprenti stagiaire à Valenciennes, on devait vendre des porte-clés et des autocollants pour aider le club à survivre »

Comment c’était le football à l’époque à Valenciennes ?
Lorsque on était apprenti stagiaire, on faisait tout dans le club. Je me rappelle avoir déneigé les terrains, « cassé » le cuir des chaussures des pros, nettoyé leur vestiaire pour qu’il soit super nickel, on devait vendre des porte-clés et des autocollants pour aider le club à survivre. Cela forge le caractère et on s’imprègne de l’identité du club. Aujourd’hui, ça serait impossible de demander à des jeunes du PSG ou de l’OM d’aller vendre des autocollants en ville. Ils vous rigoleraient au nez. Nous à l’époque, c’était ça ou cassez-vous !

Que retiens-tu de ton passage à Valenciennes ?
Une bande de potes, avec qui je suis encore lié aujourd’hui, dans la baraque du centre de formation. Qu’est-ce qu’on a pu rigoler et réussir des trucs phénoménaux. On a été aux portes de la finale de Gambardella. C’est aussi cette fameuse épopée en Coupe de France quand Georges Peyroche était l’entraîneur de l’équipe 1 de Valenciennes et avait atteint les quarts de finale. Il avait intégré quelques jeunes et le club avait battu le PSG et Toulon. Je retiens aussi la montée en L1 en 1992 puis de ma première saison dans l’élite où j’avais inscrit une dizaine de buts.

Comment avais-tu vécu l’affaire VA-OM à l’époque ?
Très, très mal. On a touché mon club formateur et tous mes potes. Je me rappelle, un jour dans le vestiaire, le président de Valenciennes, avait accepté les excuses de Jorge Burruchaga et Christophe Robert avant les derniers matchs qui nous restaient à jouer. J’étais le seul à m’être levé, du haut de mes 24 ans et j’avais dit : « écoutez Monsieur, si ces deux messieurs jouent les deux derniers matchs, moi de ma petite personne, je ne jouerais pas. Je n’ai pas besoin de traîtres dans mon équipe ». Ensuite tous les anciens du vestiaire se sont levés et montrés qu’ils avaient des couilles. Avec l’affaire VA-OM, on a touché quelque chose qui m’est cher et j’ai sorti les crocs.

Cet épisode malheureux te pousse ensuite à partir à Strasbourg en 1993…
Quelque soit l’issue de la saison, je souhaitais partir car je venais de passer huit ans à Valenciennes. En équipe de France Olympique et A’, j’avais côtoyé des joueurs qui évoluaient à Strasbourg comme Franck Leboeuf ou José Cobos. Ils m’avaient dit beaucoup de bien de Strasbourg et je les ai rejoints. Après avec le recul, ce n’était peut-être pas le meilleur choix car j’étais aussi sollicité par Bordeaux qui proposait un jeu plus adapté au mien et qui avait un certain Zinédine Zidane au milieu. Après, il ne faut rien regretter, j’ai vécu de formidables moments notamment en Coupe d’Europe et la finale de Coupe de France en 1995.

Qu’as-tu ressenti quand tu as porté le maillot de l’équipe de France même si ce n’était pas les A ?
Tu ne peux pas savoir la fierté que j’avais d’arborer ce maillot bleu. Je portais le numéro 9, celui de Jean-Pierre Papin. Moi, Papin c’était mon idole. Il a travaillé très, très durement ses gestes de finition. Pour moi, c’était un exemple.

« A Strasbourg, Aleksandr Mostovoï est celui qui m’a le plus époustouflé »

Qu’est-ce qui t’a le plus marqué à Strasbourg ?
C’est le public et le Stade de la Meinau. On jouait devant 25 000 personnes à chaque fois ce qui est rare aujourd’hui. Il y avait une ferveur exceptionnelle qui est toujours présente aujourd’hui. Sur le terrain sinon, on avait une grosse équipe avec quasiment que des internationaux français et étrangers. Celui qui m’a le plus époustouflé est le Russe Aleksandr Mostovoï. Il savait tout faire et il était d’une gentillesse extrême en plus.

Entre Gilbet Gress, Daniel Jeandupeux et Jacky Duguéperoux, quel entraîneur tu as le plus aimé ?
La première année, j’avais un peu de mal avec Gilbert Gress parce qu’il avait une façon de coacher un peu obsolète. Mais je n’avais pas à juger un entraîneur qui avait fait ses preuves au plus haut niveau. Mais j’ai appris à l’apprécier. A Strasbourg, c’est avec Daniel Jeandupeux que je me suis le plus entendu. Avec lui, j’ai repris du poil de la bête.

Tu as également pu jouer des grands matchs de Coupe d’Europe avec Strasbourg…
Celui qui m’a le plus marqué est celui contre le Milan AC en 1995. C’était l’équipe la plus forte du monde avec George Weah, Roberto Baggio, Franco Baresi, Paolo Maldini ou Marco Simone. Baresi et Maldini, avec le système du hors-jeu, j’avais été prévenu, j’avais analysé leur jeu, j’avais beau faire ce qu’il fallait, ils avaient toujours la clé pour me mettre hors-jeu c’était impressionnant. Ils montaient à une rapidité déconcertante. Quelle intelligence de jeu et sens tactique! Pourtant j’avais une vitesse de pointe plus intéressante que Franco Baresi, il arrivait par son placement à contrer toutes mes attaques. Il a fallu que Franck Sauzée marque de 35 mètres (défaite 2-1) ce jour là.

Comment vis-tu la montée de Strasbourg en L1 ?
Je suis content, je connais les infrastructures du club, le nombre de spectateurs possible, tout est réuni pour faire un grand club.

« A Bastia, certains supporters sont prêts à t’attendre pour te mettre des gifles »

Ensuite, tu as joué à Bastia de 1996 à 1998. Est-ce qu’on ressent beaucoup de pression quand on porte les couleurs du club bastiais ?
Bastia, c’est mon club de cœur et mon île de cœur, là où je me suis senti le mieux. D’ailleurs je me demande pourquoi je ne suis pas né en Corse même si je ne renie pas le fait d’être Normand. Je me suis complètement retrouvé dans l’histoire de la Corse, leur état d’esprit et dans le SC Bastia où avec de petits moyens, on arrivait à faire des grandes choses. 15 000 Corses à Furiani, ça vaut tout l’or du monde. On sent que c’est une équipe et des supporters de cœur. L’identité est très forte. Quand tu vas à Bastia, tu n’as pas intérêt de te louper. Là tu as des supporters qui sont prêts à t’attendre pour te mettre des gifles.

Au sens propre ou figuré ?
Au sens propre. J’ai déjà vu un joueur qui au cours d’un repas dans un restaurant s’était fait gifler parce que ça faisait plusieurs semaines qu’il n’était pas bon sur le terrain et ne donnait pas tout ce qu’il devait donner. Quelques supporters l’ont reconnu et lui ont mis deux gifles. Quand on entre sur le terrain de Furiani, on a envie de défendre l’écusson et le maillot bleu. Souvent, cette motivation supplémentaire fait la différence.

Est-ce que le vestiaire bastiais était soudé ?
Tout à fait, même après les matchs, on se retrouvait tous chez un joueur, et on était 20 à regarder les matchs sur Canal+. Les femmes, qui s’entendaient toutes bien, étaient présentes. Nous étions tout le temps ensemble. Même quand on jouait à l’extérieur, on revenait vers 1h du matin, les femmes se réunissaient toutes ensemble chez un joueur, regardaient le match, et on finissait la soirée jusqu’à 4 ou 5 heures du matin pour aller faire le décrassage à 8 ou 9h du matin en vrac (rires). C’est les seules années où j’ai vu une telle osmose.

« A Cannes, les coéquipiers m’appelaient papy »

En 1998, tu arrives à Cannes en D2…
Oui, je ne voulais pas quitter le Sud et je m’y sentais très bien. Le discours du président de Cannes avait été super intéressant. A Cannes, j’étais un peu le papy dans l’équipe, d’ailleurs ils m’appelaient comme ça dans le vestiaire. Les autres joueurs avaient entre 19 et 24 ans, moi j’en avais 29. Malheureusement, certains d’entre eux allaient trop en soirée et ont oublié le football. J’ai vu des gamins pétris de qualités mais qui n’ont pas réussi en pro car ils allaient trop souvent en boîte. Ça m’arrivait d’aller les chercher en boîte. Je faisais le papy mais c’était fatiguant à la fin.

Comment vis-tu aujourd’hui la période difficile de l’AS Cannes ?
Je le vis mieux car ils ont enfin compris qu’il fallait écarter certaines personnes du club qui étaient là depuis des lustres et qui ne pensaient pas trop au bien être du club. Enfin avec l’arrivée de Johan Micoud et Bernard Lambourde, cela a permis de faire du tri et de virer les mauvaises fréquentations. Aujourd’hui, le club repart du bon pied. J’espère que dans les quatre ou cinq ans, on reverra l’AS Cannes en Nationale 1 ou Ligue 2.

Pourquoi et comment tu pars en Chine en 2001 ?
Le club chinois me contacte par l’intermédiaire du journaliste Christophe Josse. Il me dit : « Wil, il y a un club qui recherche un joueur de ton profil, est-ce que je peux me permettre de donner ton nom, si ça t’intéresse pour jouer en Chine. » De là, le contact s’est fait et j’ai signé à Changchun. J’ai vécu une année fabuleuse, pleine de surprises, plein de changements. Unique. Financièrement, c’était très, très intéressant. En Chine, j’ai multiplié mon salaire par deux.

« J’ai été très déçu de la fin de mon aventure en Chine »

Quel était le niveau sur le plan footballistique ?
Sur le plan du football, le vainqueur du championnat qui était souvent Shanghai, ou nous qui étions seconds, équivalaient à une équipe moyenne de Ligue 1. Après le sens tactique était à peaufiner. D’ailleurs j’avais voulu donner un jour des conseils à l’entraîneur chinois car j’avais mes diplômes d’entraîneur en France. La seule réponse qu’il m’a donné a été de me rire au nez. Il m’a dit : « un joueur reste un joueur, un entraîneur reste un entraîneur ». Sinon j’avais fini meilleur buteur avec 24 ou 25 buts. Là-bas, j’étais connu : le seul grand blond, mal rasé et avec la grosse boucle d’oreille, c’était moi. Il n’y en avait pas cinquante dans la ville. Sinon les supporters restaient corrects et respectueux même si l’affluence en match était parfois de 40 000 personnes. Je me suis vu chanter l’hymne national chinois avant chaque match. Je l’ai arboré avec fierté : le club m’apportait tout ce dont j’avais besoin, j’avais une suite extraordinaire dans un superbe hôtel qui appartenait au président, il me payait grassement alors j’essayais de lui rendre au maximum. La moindre des choses était d’adhérer à ce qu’ils faisaient.

Pourquoi arrêtes-tu ta carrière à la fin de l’année 2001 ?
Comme quoi ça me suit : mon club était second, et il y avait trois équipes qui se suivaient. Ces équipes ont trafiqué les matchs d’avant, il y avait des 13-0 ou des 14-1. C’était tout et n’importe quoi, les clubs avaient acheté les matchs. Mon club s’était cru bon de faire la même chose lors du dernier match, face à l’équipe de Philippe Chanlot, pour qu’on puisse gagner avec cinq buts d’écart. C’était tellement flagrant que les instances chinoises s’en sont aperçues et les quatre clubs ont été relégués en division inférieure sans avoir l’opportunité de recruter des étrangers. Avant ça, j’avais resigné un contrat pour l’année d’après, je devais gagner le double de ce que je gagnais déjà mais mon contrat a été déchiré. Au final, je suis resté jusqu’en octobre 2001. J’ai été très déçu de la fin de mon aventure en Chine.

Ensuite, tu n’avais plus envie de continuer à 32 ans ?
Portsmouth m’a proposé de venir en février 2002. Quand j’ai vu l’état du club, le président et l’entraîneur qui voulaient se barrer, des joueurs qui s’insultaient et le tout sous la pluie et les pieds dans la boue, au bout de trois semaines, j’ai dit : « j’arrête ». Et je suis retourné vivre à Cannes.

Enfin, quel est le onze type de Wilfried Gohel (joueurs et entraîneurs qui ont joué avec toi) ?
Durand – Jurietti, Soumah, Leboeuf, Perez – Garde, Sauzée – Mostovoï, Moravcik – Gohel, Drobjnak. Entraîneur : Frédéric Antonetti

Ici l’ossature est bastiaise avec quelques joueurs de Strasbourg. Je mets Frédéric Antonetti, entraîneur, sans aucun souci. C’est quelqu’un d’exceptionnel : si tu donnes tout, il te donne tout. Si tu ne donnes pas tout avec lui, tu dégages. Il sait parler aux joueurs, prend toujours leur défense, c’est un excellent tacticien.

Souhaites-tu ajouter quelque chose ?
Aujourd’hui, je suis admiratif de Kylian Mbappe. Il est pétri de talent et en plus il reste simple, il est intelligent, parle correctement aux journalistes, il est disponible avec les supporters, humble, il se donne toujours à fond. Si je devais donner un exemple pour les jeunes joueurs de football, je dirais Kylian Mbappé.

Propos recueillis par Thierry Lesage