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Quinze ans après l’arrêt de sa carrière, l’ancien milieu de terrain Christophe Le Grix s’est reconverti dans la vente de fruits et légumes. Basé à Biarritz, l’ex-Lorientais parcourt les villages des Pyrénées chaque semaine. Toujours passionné par le football, Christophe Le Grix retrace le fil de sa carrière. Ses débuts compliqués à Caen, sa renaissance à Troyes avec Alain Perrin, ses belles années lorientaises, ses galères à Metz, son entente exceptionnelle avec Jean-Louis Gasset, ses prises de bec avec Sylvain Kastendeuch, Daniel Jeandupeux, Hervé Gauthier ou l’ex-président d’Istres, Christophe Le Grix sait encore tacler, même avec les deux pieds décollés. Entretien sans langue de bois pour Foot d’Avant.

 

Christophe Le Grix, que deviens-tu depuis la fin de ta carrière de joueur de football professionnel en 2004 ?

J’ai ouvert mon entreprise de vente de fruits et légumes il y a une dizaine d’années. Ça me plaît d’être à mon compte. Du lundi au jeudi, je fais des tournées dans des villages des Pyrénées. Je vis actuellement à Biarritz.

 

Comment as-tu bifurqué vers ce métier après ta carrière de footballeur ?

Quand j’ai arrêté le football, j’ai côtoyé le monde des voyageurs et j’ai réalisé que ce métier pouvait me plaire.

 

Est-ce que tu continues de suivre l’actualité du football ?

Comme je suis passionné, je regarde tout le temps les matchs à la télévision. Aujourd’hui, je n’ai plus beaucoup de connexions dans le monde du football. J’ai juste gardé contact avec Anthony Deroin, Sylvain Ripoll ou David Garcion. Ce monde ne me manque pas du tout (rires). Sur mes neuf ans de carrière, je me suis éclaté humainement et sportivement pendant trois-quatre ans.

 

Revenons à tes débuts. Ton rêve était-il de jouer un jour avec l’équipe première du Stade Malherbe Caen ?

Ah oui car j’ai grandi à Caen. J’y ai fait mes années de sport-étude puis le centre de formation au Stade Malherbe. En décembre 1993, Daniel Jeandupeux m’a dit que j’allais signer professionnel en juin. J’ai joué quelques matchs avec l’équipe première. Une fois le mois de juin arrivé, il m’a refusé ce contrat pro. Je suis tombé de haut. J’ai ressenti une grande trahison et une haine envers cette personne. Quelques années plus tard, quand je jouais à Lorient, il a voulu me serrer la main à la fin d’un match. J’ai refusé. Ce n’était pas possible pour moi. Après mon départ de Caen à l’été 1994, j’ai connu trois mois de chômage. Grâce à Marc Denis, j’ai pu faire un essai concluant à Troyes, qui était en National à l’époque.

 

« Je sortais souvent après les matchs. Un jour, je suis parti à une quinzaine de kilomètres de Troyes. Une fois arrivé dans la discothèque, j’ai vu Alain Perrin. Le coéquipier qui était avec moi m’a dit : « Christophe, on s’en va ». « S’il est là, j’ai aussi le droit de venir », lui ai-je répondu. Finalement, j’ai discuté et vidé la bouteille de whisky avec Alain Perrin »

 

Quels sont tes meilleurs souvenirs à Caen ?
C’est l’époque du centre formation. J’étais avec Frédéric Née et Didier Thimothée. A cette période, il y avait Graham Rix et Brian Stein en équipe première. J’ai été éduqué à respecter les professionnels, à laver leurs affaires. Ça nous emmerdait sur le coup mais avec le recul, c’était très bien. De 15 à 17 ans, je cirais les chaussures de Graham Rix. En échange, il me donnait un billet de 500 francs (soit environ 75 euros) à la fin du mois (rires). Quand il marquait ou offrait une passe décisive, j’avais l’impression d’y avoir participé. Aujourd’hui, ça serait impensable qu’un jeune du centre de formation cire les chaussures d’un professionnel. C’est bien regrettable. J’ai croisé Nicolas Seube il y a quelques années lorsqu’il était encore capitaine du Stade Malherbe. Il m’a dit : « si tu étais avec moi dans le vestiaire, je pense que tu en aurais claqué quelques-uns ». 

 

Sous la houlette d’Alain Perrin, tu t’es relancé à Troyes de 1994 à 1996…

Je garde de très bons souvenirs de mes années à Troyes. Il y avait un super groupe. Sur le plan tactique, Alain Perrin était déjà très, très fort. Humainement c’était plus compliqué car il est très impulsif et caractériel. Après, il s’entendait bien avec moi. Je sortais souvent après les matchs. Un jour, je suis parti à une quinzaine de kilomètres de Troyes. Une fois arrivé dans la discothèque, j’ai vu Alain Perrin. Le coéquipier qui était avec moi m’a dit : « Christophe, on s’en va ». « S’il est là, j’ai aussi le droit de venir », lui ai-je répondu. Finalement, j’ai discuté et vidé la bouteille de whisky avec Alain Perrin (rires).

 

Que retiens-tu d’Alain Perrin sur le terrain ?

Il avait une belle vision du jeu. Il voulait qu’il y ait des décalages en partant de derrière. Il avait un temps d’avance sur les entraîneurs de l’époque. Avec lui, je me suis éclaté sur le terrain. Il était intransigeant mais juste. J’ai beaucoup aimé sa façon de fonctionner. Il m’a vraiment fait progresser. Tout comme plein d’autres joueurs qui ont fait une belle carrière ensuite : Jean-Louis Montero ou Richard Jezierski.

 

Pourquoi es-tu parti à Saint-Brieuc en 1996 ?

Troyes venait d’accrocher son ticket pour la Ligue 2. J’avais une super cote. Pourtant, j’étais payé 12 000 francs par mois (soit environ 1830 euros). Avec l’accession, Troyes m’a proposé un salaire mensuel de 15 000 francs (2280 euros). Je l’ai eu mauvaise, du coup mon agent m’a fait signer à Saint-Brieuc (ex-L2) où je touchais 18 000 francs par mois (2740 euros). J’ai signé un contrat de trois ans. Mais j’y ai seulement joué six mois car le club a fait faillite en mars 1997 alors que nous étions dans la première partie de tableau. C’est dommage car nous avions une superbe équipe.

 

« La communication, ce n’est pas le point fort de Christian Gourcuff. Ça explique pourquoi il n’a pas réussi à Rennes. Les causeries d’avant-match, il ne sait pas faire. Il n’est pas à l’aise. Avec Sylvain Ripoll, on mettait le chrono en route et on disait : « allez hop, c’est parti pour 35 minutes ». Mot-à-mot, c’était pratiquement les mêmes causeries tous les week-ends »

 

Comment as-tu rebondi après le dépôt de bilan de Saint-Brieuc ?

A ce moment-là, j’avais une très bonne cote. Normalement, je devais signer à Guingamp. Mais le président Noël Le Graet ne voulait pas « profiter » de la faillite de Saint-Brieuc. Quelques semaines plus tard, j’ai reçu et accepté une proposition de Lorient.

 

Tu as joué pour l’ex-entraîneur emblématique de Lorient, Christian Gourcuff. Comment était-il à l’époque lorsque le club était moins médiatisé ?

Tactiquement, il était déjà très, très fort. C’était du même niveau qu’Alain Perrin. Humainement, je n’ai rien à reprocher à Christian car j’étais son fiston, je faisais ce que je voulais. Mais il avait du mal à gérer un groupe. La communication, ce n’est pas le point fort de Christian Gourcuff. Ça explique pourquoi il n’a pas réussi à Rennes. Les causeries d’avant-match, il ne sait pas faire. Il n’est pas à l’aise. Avec Sylvain Ripoll, on mettait le chrono en route et on disait : « allez hop, c’est parti pour 35 minutes ». Mot-à-mot, c’était pratiquement les mêmes causeries tous les week-ends. Il avait du mal à te piquer pour te motiver.

 

Quelle était l’ambiance dans le club à l’époque ?

C’était super. Nous avions une bonne équipe avec les Pierrick Le Bert, Stéphane Pedron, Jean-Louis Montero, Robert Malm ou Jean-Claude Darcheville. Nous avons obtenu des excellents résultats et offert la première montée en Ligue 1 de l’histoire du FC Lorient (ndlr : en 1998). C’était une belle revanche par rapport à ce que j’avais vécu à Caen quelques années plus tôt. Je me souviens cette saison-là, j’étais tellement bien avec Christian Gourcuff que je ne faisais aucun décrassage le dimanche (rires). Je sortais après les matchs. Ce n’était pas bon pour ma santé mais j’avais besoin de ça pour être bien sur le terrain.

 

Pourquoi es-tu parti à Metz en 1998 ?

Sur le contrat que j’avais signé à Lorient, il n’y avait pas d’année en bonus en cas de montée. Du coup, Pape Diouf m’a fait signer à Metz qui venait de se qualifier pour le tour préliminaire de la Ligue des Champions (ndlr : le FC Metz a perdu face à Helsinki [0-1, 1-1]). Mon premier entretien avec Joël Muller s’est très, très bien passé. Il voulait connaître le nom du joueur sur lequel je prenais exemple. Je lui ai répondu Benoît Cauet. J’avais la même abnégation que lui. Avant de signer, on m’a dit : « la préparation à Metz est super dure. Si tu passes ces trois semaines sans blessure, tu seras dans le bon wagon et titulaire en début de saison ». J’ai serré les dents et fait partie des huit joueurs valides à la fin du stage. Pourtant lorsque la saison a commencé, j’étais remplaçant. Je l’ai vraiment mal pris. J’étais en concurrence avec Grégory Proment, qui était le petit jeune de la maison.

 

« A Metz, je me suis frité bien comme il faut avec Sylvain Kastendeuch. Ça volait. Frédéric Meyrieu et Bruno Rodriguez ne pouvaient pas le voir non plus. Ils m’envoyaient au feu face à lui »

 

Comment tu t’es senti au FC Metz ?

Humainement, c’était l’enfer. C’est pourquoi je suis parti au bout de six mois.

 

Beaucoup de joueurs disent qu’ils ont été marqués par le trio Philippe Gaillot-Pascal Pierre-Sylvain Kastendeuch…

Alors Philippe Gaillot, c’était vraiment un super mec. Pascal Pierre aussi. Quant à Sylvain Kastendeuch, c’était un politique à l’état pur. Avec lui, je me suis frité bien comme il faut. Ça volait. Frédéric Meyrieu et Bruno Rodriguez ne pouvaient pas le voir non plus. Ils m’envoyaient au feu face à lui. En janvier, Lorient m’a demandé de revenir. Carlo Molinari ne voulait pas me laisser partir. Je lui ai dit : « si vous ne voulez pas que je retourne à Lorient, je vais mettre le bordel dans le groupe ». J’ai été mêlé dans deux-trois bagarres à l’entraînement et le président de Metz a lâché.

 

Comment s’est passé ton retour à Lorient ?

Je m’y suis de nouveau éclaté. J’ai adoré. Malheureusement, Lorient est redescendu en L2 à cause d’une moins bonne différence de buts que Le Havre (ndlr : saison 1998/99). Au Stade du Moustoir, tout le monde m’adorait parce que je donnais tout.

 

En 2000, comment Pascal Théault t’a convaincu de revenir au Stade Malherbe Caen ?

Il m’appelle pour me dire : « Christophe, je veux que tu reviennes à la maison. Tu seras mon capitaine et mon exemple dans le groupe ». Il m’a donné les clés de l’équipe. J’ai accepté pour Pascal. Sinon, je ne serais jamais revenu à Caen. Le problème est que j’ai retrouvé mes connaissances et comme j’étais fêtard…Je me suis rapidement claqué en début de saison et Pascal Théault s’est fait virer en septembre 2000. Je n’ai pas pu l’aider, malheureusement.

 

« Quand j’écoutais les causeries de Jean-Louis Gasset, j’avais envie de faire le tour du stade à poil pour lui. Il m’a fait kiffer…Je pense que si Laurent Blanc a autant réussi à Bordeaux, au PSG et en équipe de France, c’est surtout grâce à Jean-Louis Gasset. Je suis bien content qu’il reçoive les lauriers qu’il a semés auparavant »

 

Caen avait fait un gros recrutement à l’été 2000. Pourquoi le début de saison a-t-il été si catastrophique ?

Il y avait des clans dans le vestiaire. Les nouveaux joueurs avaient des salaires plus élevés et ç’a créé beaucoup de jalousies. Les séances d’entraînement étaient musclées. Je me souviens avoir souvent pris la défense d’Anthony Deroin. Je me revoyais en lui à mes débuts à Caen. Moi aussi, j’aurais aimé avoir un joueur d’expérience qui me protège un peu. Il prenait beaucoup de tacles et moi j’avais le rôle du vengeur masqué (rires). Je me souviens aussi de Johan Gallon. C’était un super joueur. Il était un peu caractériel, comme moi, mais entre nous ça se passait très bien.

 

Quelles étaient tes relations avec Jean-Louis Gasset, le successeur de Pascal Théault ?

Je revenais de blessure lorsqu’il est arrivé sur le banc de Caen. Au départ, c’était conflictuel entre nous, puis il m’a apprécié. Notre relation est devenue extraordinaire. Au bout de deux-trois semaines, il m’a fait jouer. Dès fois, j’allais dans son bureau pour fumer une cigarette. Il m’a vraiment marqué. Quand j’écoutais ses causeries, j’avais envie de faire le tour du stade à poil pour lui. Il m’a fait kiffer. Il a ses mots propres à lui qui te motivent. Il sait te faire réagir. La gestion humaine, c’est son domaine. A l’époque, tout le monde disait que Cyrille Watier avait les pieds carrés alors qu’il avait une vitesse de course et une intelligence de jeu au-dessus de la moyenne. Jean-Louis Gasset a su trouver les mots pour lui faire prendre conscience de ses qualités.

 

Tu n’es donc pas surpris de le voir réaliser de belles choses en tant qu’entraîneur numéro un de Saint-Étienne ?

Ça me fait super plaisir pour lui. Je pense que si Laurent Blanc a autant réussi à Bordeaux, au PSG et en équipe de France, c’est surtout grâce à Jean-Louis Gasset. Je suis bien content qu’il reçoive les lauriers qu’il a semés auparavant. J’attends impatiemment de voir Laurent Blanc avec un autre staff pour voir s’il va autant réussir.

 

Pourquoi les relations ont été très tendues avec Hervé Gauthier, l’entraîneur de Caen entre 2001 et 2002 ?

Avec lui, c’était pathétique. Il m’a d’abord mis à l’écart avec plusieurs joueurs. Quand il m’a réintégré, il m’a dit un jour : « c’est bon, tu vas jouer samedi ». En regardant la feuille de match, je vois que je ne joue pas. Pareil le week-end d’après. Là, j’ai pété les plombs. Xavier Gravelaine lui a dit : « tu as voulu jouer avec lui, tu as perdu ». Avant le début d’un match à d’Ornano, j’ai pris Hervé Gauthier à la gorge dans le vestiaire. Ç’a sellé mon sort. Guy Chambily m’a convoqué. « Je ne peux pas te garder et justifier ton acte par rapport à l’entraîneur », m’a-t-il dit. « De toute façon, vous allez le virer en fin de saison », lui ai-je répondu. « Peut-être, mais c’est impossible de cautionner ton comportement, donc je te licencie », a-t-il répliqué.

 

« L’équipe d’Istres ? C’était un panier de crabes. Je crois même que si j’avais pu jouer une saison supplémentaire en L1, j’aurais dit stop. Ça m’emmerdait de dire bonjour à des serpents dans le vestiaire »

 

Avant de rebondir à Istres en 2003/04, tu as joué en amateur à Dives-sur-mer…
J’aimais beaucoup Philippe Clément et je suis parti à Dives-sur-mer pour m’entretenir. Ça me faisait plaisir de lui donner un petit coup de main parce que c’était un super coach. Il aurait pu entraîner de plus gros clubs.

 

Comment es-tu arrivé à Istres ensuite ?

Xavier Gravelaine m’a appelé pour savoir comment j’étais sur le plan physique. Je lui ai dit que j’étais en forme. Pourtant, ça faisait presque un an que je n’avais pas fait de sport (rires). J’ai effectué une semaine d’entraînement avec Mecha Bazdarevic. Ça s’est très bien passé. J’ai d’ailleurs réalisé un bon match le samedi en L2 mais le président n’était pas là. La semaine suivante, j’ai joué contre Saint-Étienne. J’ai effectué une grande prestation et le président m’a engagé pour un an plus une autre année en option. Pour cela, je devais jouer plus de vingt matchs. J’en ai joué vingt-deux toutes compétitions confondues. A la fin du championnat, à Sedan, je dis au président : « tu me confirmes que j’ai bien ma deuxième saison à Istres ». « Il n’y a pas d’écrit » m’a-t-il répondu. J’ai vu rouge et je l’ai aussi pris à la gorge dans un couloir du stade Louis-Dugauguez.

 

Cette saison-là, Istres avait une belle équipe avec Xavier Gravelaine, Brahim Thiam ou Laurent Courtois…

Xavier Gravelaine tenait l’équipe à bout de bras. C’était costaud derrière avec Brahim. Laurent était performant aussi au milieu. Nous sommes montés grâce à ces joueurs-là. Sur le plan humain, cette équipe était un panier de crabes. Je crois même que si j’avais pu jouer une saison supplémentaire en L1, j’aurais dit stop. Ça m’emmerdait de dire bonjour à des serpents dans le vestiaire.

 

En rembobinant le fil de ta carrière, as-tu des regrets ?

Comme dirait mon père, j’aurais pu faire beaucoup mieux si je n’étais pas aussi impulsif et si je n’avais pas fait autant la fête. Aujourd’hui, je continue de suivre les résultats du Stade Malherbe Caen. Jean-François Fortin était un président en or. Déjà à l’époque, je ne pouvais pas voir Gilles Sergent. Je ne suis pas du tout étonné par rapport à ce qui se passe maintenant. Je ne crois pas trop au maintien de Caen en L1. Même si je le souhaite.

 

Propos recueillis par Clément Lemaître