Après de belles années à Nantes et Nice, Marama Vahirua s’est confié sur la deuxième partie de sa carrière. Le Tahitien raconte le FC Lorient de Christian Gourcuff de l’intérieur et explique pourquoi un malentendu l’a poussé à s’engager à Nancy en 2010. S’il n’a pas accroché avec le jeu proposé par Pablo Correa, Marama Vahirua se souvient d’avoir vécu dans une famille au sein du vestiaire nancéien. Avant de rentrer à Tahiti, l’ancien Nantais a vécu une saison à Monaco, lorsque Dmitry Rybolovlev a repris l’ASM. Au cours de cette interview, il raconte l’atmosphère du club monégasque après la relégation en L2 en 2011. Des superbes confidences relatées pour Foot d’Avant.

Avant de quitter Nice, tu as côtoyé Hugo Lloris qui débutait à l’époque au Gym. Quelles étaient vos relations ?
Quand il était au centre de formation, on entendait beaucoup parler d’un « jeune gardien prometteur ». Lors de ses premiers entraînements avec nous, il avait 17-18 ans mais déjà envie d’être titulaire. Il était très demandeur. Comme je tirais les coups de pied arrêtés à l’époque à Nice, on travaillait souvent ensemble après les séances. Je tirais des coups-francs et des penalties. Surtout des penalties. Au début, je faisais du 5/5 quasiment tout le temps. A la fin de la saison, c’était très difficile de lui marquer des buts. Il avait atteint déjà un très, très haut niveau. Je lui avais dit : « un jour, tu seras le meilleur gardien du monde et quand tu remporteras le mondial, tu m’appelleras ». Un mois après la victoire des Bleus en Coupe du monde, je l’ai vu à Tottenham et j’étais fier. Très fier d’avoir contribué un tout petit peu à sa réussite.

Pourquoi es-tu parti à Lorient en 2007 ?
Ma troisième saison à Nice a été un peu galère. Les relations étaient fraîches avec Frédéric Antonetti sur le plan sportif. Au départ, j’avais prévu de terminer ma carrière là-bas. Et même de vivre à Nice ensuite. Après, il y a les aléas de la vie. Christian Gourcuff m’a appelé. Il me voulait depuis son premier passage à Rennes (ndlr : saison 2001/02). Quand il a été mis au courant de ma situation, il a sauté sur l’occasion et moi aussi. Je suis heureux d’avoir laissé une bonne image auprès des supporters niçois qui étaient vraiment passionnés. Avant les gros matches, ils étaient une centaine à venir à l’entraînement et à chanter. Les fans niçois me transcendaient.

As-tu aimé le style de jeu prôné par Christian Gourcuff à Lorient ?
J’ai accepté Lorient pour lui. Je n’ai pas regretté une seule seconde. Après, la première saison a été compliquée parce que j’ai été victime d’une rupture d’un tendon d’Achille. La plus grosse blessure de ma carrière. Ça m’a éloigné des terrains pendant sept mois. Ç’a été compliqué aussi sur le plan émotionnel à cause de mon nouveau statut. J’ai dû m’adapter à un nouveau club, à un nouveau mode de vie et à une nouvelle mentalité. La Bretagne et la Côte d’Azur, c’est complètement différent. J’ai dû m’intégrer et m’adapter. Avec le recul, cette blessure est arrivée à point nommée car elle m’a remis les pieds sur terre. Je suis sorti de cette période en étant un autre homme. Lorient, j’y ai passé trois saisons magnifiques, surtout lorsque j’ai joué avec Kevin Gameiro ou Morgan Amalfitano. J’ai pris énormément de plaisir avec eux.

« Au départ, j’ai eu du mal à m’intégrer en Bretagne et Christian Gourcuff m’a invité chez lui avec ma femme et mes enfants. Là, j’ai rencontré un père de famille, quelqu’un avec des émotions comme nous. Cette façon de fonctionner a provoqué un déclic pour ma famille. On s’est rendu compte qu’il y avait beaucoup de chaleur humaine en Bretagne et que les Lorientais étaient vraiment très, très accueillants »

Comment c’était justement de jouer avec eux sur le terrain ?
J’adorais.J’étais la plaque tournante de l’équipe. Le jeu passait par moi. Quand le coach disait : « les gars, ça doit passer par Marama », j’étais fier. Avec Kevin, j’ai eu une relation très particulière. Pour Christian, il fallait penser par deux. On faisait même de la tactique à l’hôtel. C’est-à-dire que les attaquants devaient être en chambre ensemble. Avec Christian, il fallait rester connecté avec son partenaire le plus proche sur le terrain. « Si vous ne vous entendez pas en dehors, comment voulez-vous vous entendre sur le terrain », nous répétait-il. Il insistait pour qu’on se connaisse à l’extérieur du foot. Ça m’a permis de créer des liens étroits avec Kevin et forcément après sur le terrain on se cherchait tout le temps.

Finalement, la réflexion de Christian Gourcuff est logique…
Carrément. J’avais connu ça à Nantes mais c’était peut-être encore plus important pour Christian, cette relation entre partenaires. Entre doublettes. Son 4-4-2 fonctionnait toujours par doublettes. Quelque soit l’endroit où tu te situais, tu avais toujours une couverture. « Si tu t’entends bien avec ton partenaire, il voudra forcément te protéger quand tu seras en difficulté », insistait-il. Le foot avec Christian, j’ai juste adoré et kiffé. J’étais comme un poisson dans l’eau. Humainement je n’ai jamais connu un coach comme ça.

Comment était-il avec toi lorsque tu te sentais moins bien mentalement ?
Quand je suis arrivé à Lorient avec ma famille, l’adaptation a été difficile. Lorsque tu passes de Nice, où il y a 90% d’ensoleillement, à Lorient, avec 90% de flotte et de vent, forcément c’est compliqué. Moi personnellement, ça ne me faisait rien parce que j’allais m’entraîner, mais ma femme et mes enfants étaient enfermés dans la maison parce qu’ils ne pouvaient pas sortir. Lors de la première année, ç’a été très compliqué. Au début de la deuxième saison, ma femme n’en pouvait plus et souhaitait partir. Ça s’est ressenti sur ma façon de vivre au club. Un jour, nous étions en mise au vert et Christian a vu que je ne rigolais pas comme d’habitude. Sylvain Ripoll est venu me voir dans un premier temps : « avec Christian, on remarque qu’il y a quelque chose qui ne va pas pour toi ». « Oui, ça ne va pas, je veux partir », lui ai-je répondu. J’ai expliqué les raisons. Si les miens ne se sentaient pas bien, je ne pouvais pas me sentir bien. Christian a tellement bien réagi : il m’a invité chez lui avec ma femme et mes enfants. Là, j’ai rencontré un père de famille, quelqu’un avec des émotions comme nous. Cette façon de fonctionner a provoqué un déclic pour ma famille. On s’est rendu compte qu’il y avait beaucoup de chaleur humaine en Bretagne et que les Lorientais étaient vraiment très, très accueillants. Quand on a réussi à s’adapter, on était chez nous. Du coup, les dix-huit mois suivants sur le terrain ont été extraordinaires.

« Christian Gourcuff, c’est un mathématicien, il est posé. On mange 4-4-2, on respire 4-4-2. On joue au feeling »

Comment expliques-tu ton départ à Nancy en 2010 alors que tu venais de vivre dix-huit mois extraordinaires à Lorient ?
A la fin de ma troisième saison, j’étais en fin de contrat à Lorient. Je venais de réaliser ma plus belle saison au club, donc, moi je ne voulais pas partir. Le problème est qu’ils avaient mis en place une certaine politique : on baisse les salaires mais on augmente les primes. Moi, je ne voulais pas baisser mon salaire alors que beaucoup de clubs m’appelaient. Et notamment Nancy qui me proposait de doubler mon salaire. J’ai donc dit aux dirigeants de Lorient de faire un effort. En fait, je suis parti frustré parce que je ne souhaitais pas partir. Même Christian n’a pas compris. « Comment ça, tu ne veux pas resigner ? », m’a-t-il demandé. « Bien sûr que si je veux poursuivre à Lorient, mais j’ai aussi mon avenir qui est en jeu » lui ai-je répondu.

Combien de temps ont duré les négociations ?
Ce dialogue de sourds a duré environ quelques mois. Jacques Rousselot a mis le paquet pour m’avoir. Du coup, j’ai signé à Nancy. Ce n’est que quelques jours après ma signature à l’ASNL que Loïc Fery, le président de Lorient, m’a sollicité pour me dire qu’il était déçu. Au final, on n’a jamais négocié directement. J’étais triste et énervé contre moi-même car je n’avais pas pensé une seconde à l’appeler. Moi à Lorient, j’ai toujours traité avec le manager général du club. Peu de temps après, cette personne a été limogée. Il faut se rendre compte : le président voulait me garder et le manager général souhaitait négocier. Je pense que si j’étais passé directement par Loïc Féry, on aurait rapidement trouvé un accord, surtout que l’entraîneur voulait me garder et moi je souhaitais rester.

Est-ce que cette situation t’a fait cogiter lors de tes premiers mois à Nancy ?
Beaucoup. Pour moi Nancy, ç’a été très difficile du début à la fin. Pablo Correa était à l’opposé du style de Christian Gourcuff. Christian, c’est un mathématicien, il est plus posé. On mange 4-4-2, on respire 4-4-2. On joue au feeling. Du coup, j’arrive à Nancy et là on met que des avions. Quand mon agent m’a appelé au départ pour me dire que l’ASNL me voulait, je n’y ai pas cru : « ah, bon ils ne font que balancer et veulent un joueur petit qui joue au sol ? ». « Le président m’a dit qu’ils voulaient changer le style de jeu et faire jouer l’équipe autour de toi », m’a-t-il informé. Quand le coach nancéien m’a appelé, j’étais vexé par ma situation à Lorient et je n’étais pas dans les meilleures conditions à ce moment-là. J’ai pris la décision de signer à Nancy par fierté, par ego. Ce n’est qu’une fois arrivé que j’ai compris que Pablo Correa n’avait aucunement l’intention de changer son style de jeu. Lors des matches amicaux, j’ai tout éclaté. Mais dès que le championnat a commencé, le système a rechangé. J’ai senti le piège. Sur le coup, j’étais énervé, j’ai senti une trahison. Mais avec le recul et l’âge, je me suis fait cette réflexion : « il a son style de jeu qui a déjà marché et qui le met en confiance. Il ne va pas tout chambouler pour moi ».

« Quatre mois après mon arrivée à Nancy, j’ai eu un rendez-vous avec Pablo Correa. Je lui ai dit : « « Coach, on ne va pas se voiler la face, on n’est pas faits pour être ensemble : je vais partir » »

As-tu eu une discussion avec Pablo Correa à ce sujet ?
Je suis allé le voir en novembre-décembre 2010. « Coach, on ne va pas se voiler la face, on n’est pas faits pour être ensemble : je vais partir », lui ai-je dit. A l’époque, j’avais une proposition du club qatari où jouait Juninho (ndlr : Al-Gharafa) qui me voulait tout de suite. Pablo Correa me donne son accord. Sauf que le président refuse et ne veut absolument pas que je parte. Du coup, j’ai terminé la saison sur le banc. Ça été très, très long.

Reynald Lemaître (lire son interview juste ici) confiait récemment sur Foot d’Avant qu’il y avait une superbe ambiance dans le vestiaire nancéien à cette époque-là ?
Nancy, ç’a été très dur pour moi sportivement, mais au niveau humain, quand tu as un Youssouf Hadji, un Michaël Chrétien, un Reynald Lemaître, etc… Forcément, il y a une ambiance énorme. J’ai connu une famille dans le club. C’était magnifique. Je n’avais jamais la boule au ventre en allant à l’entraînement. Je savais que j’allais voir des potes chaque jour à l’entraînement, que j’allais m’éclater. Après, dès que le coach arrivait, ça pourrissait un peu l’ambiance (rires).

Tu es parti à l’AS Monaco, qui a été relégué en L2 en 2011. Comment expliques-tu ce choix ?
Parce que Monaco, quoi. Même en Ligue 2. Je suis fier d’avoir porté le maillot de l’AS Monaco, même si ç’a été une année difficile aussi. Je ne regrette pas.

« Après la relégation de Monaco en L2, le club venait d’imploser : tout le monde voulait partir, on entendait beaucoup de noms, on lisait des choses, on n’en savait pas plus sur l’avenir du club. Moi à ce moment-là, je me disais : « mais qu’est-ce que je fous-là ». On ne parlait plus de football à cette époque-là à Monaco »

Quelle était l’atmosphère au club après la relégation ?
C’était compliqué. Le club venait d’imploser : tout le monde voulait partir, on entendait beaucoup de noms, on lisait des choses, on n’en savait pas plus sur l’avenir du club. Moi à ce moment-là, je me disais : « mais qu’est-ce que je fous-là ». On ne parlait plus de football à cette époque-là à Monaco. Quand Dmitry Rybolovlev est arrivé, il a remis les choses au clair. Je me souviens aussi du coach Laurent Banide. Il a l’âme du footballeur, je m’éclatais sur le terrain avec lui. D’autant que j’avais des garçons vraiment supers autour de moi comme Ludovic Giuly. Il sentait le haut niveau.

Quand Dmitry Rybolovlev arrive à Monaco et que tu lis la liste des joueurs internationaux pistés par le club monégasque, comment le vis-tu ?
Je venais de passer une année blanche à Nancy, je ne me faisais pas trop d’illusions. Je ne représentais plus l’avenir. En plus, Marco Simone ne m’a pas trop fait jouer quand il est arrivé sur le banc. Il avait été agent et une grosse partie de l’effectif avait travaillé avec lui par le passé. Forcément, des liens s’étaient créés. Moi, j’ai accepté mon sort. C’était encore une année compliquée.

Avec Monaco, tu as aussi marqué un but extraordinaire contre Le Mans…
Encore une fois, je ne me casse pas la tête, le ballon arrive, je sens le truc, je tente ma chance et but. A Monaco, les supporters s’en souviennent encore. Je suis content d’avoir marqué le club de mon empreinte à ma façon.

En 2013, tu as joué la Coupe des Confédérations avec Tahiti. Tu as joué contre les Espagnols ou les Uruguayens Edinson Cavani et Luis Suarez. Quel joueur t’a le plus marqué ?
Andres Iniesta. J’ai réalisé un rêve en jouant contre le meilleur joueur du monde. Je dis toujours aux jeunes : « une Formule 1 sans essence, ce n’est rien ». Pour moi la Formule 1 au Barça, c’est Lionel Messi. A l’époque, Xavi et Iniesta étaient l’essence car les ballons passaient par eux. Ils ont participé au succès de Lionel Messi. Avec Andres Iniesta, nous avons échangé nos maillots. Je ne sais pas s’il a conservé le mien (rires).


Enfin souhaites-tu ajouter quelque chose ?
J’ai envie de remercier tous les clubs dans lesquels je suis passé. Tous mes coachs, peu importe la relation que nous avions. Les gens de l’ombre qui travaillent au sein des clubs. Les supporters aussi. Je regarde également la vie en dehors du foot et pour moi, elle a été belle partout où j’ai joué. Je n’ai eu aucun mal à dire « stop, je rentre chez moi », car je n’ai vécu que du bonheur.

Propos recueillis par Clément Lemaître

Tu es fan du FC Lorient ? Découvre cette interview d’Eli Kroupi

Découvre la première partie de l’interview de Marama Vahirua juste ici