Aujourd’hui revenu à Tahiti, Marama Vahirua a revisité sa belle carrière en Ligue 1 tout en dévoilant de multiples anecdotes. D’abord à Nantes, où il a dû intégrer de nouveaux codes avant la consécration avec le titre de champion de France en 2001. Puis à Nice sous la houlette de Gernot Rohr puis Frédéric Antonetti, un entraîneur qui n’était pas « sur la même onde radio » que lui. Dans la première partie de cette grande interview de Marama Vahirua (deuxième partie sur les passages à Lorient, Nancy et Monaco à lire le samedi 7 mars), revivez le FC Nantes de Jean-Claude Suaudeau et Raynald Denoueix de l’intérieur, tout comme la passion qui régnait dans le mythique Stade du Ray.
Marama Vahirua, que deviens-tu depuis la fin de ta carrière de joueur de football professionnel ?
J’ai arrêté ma carrière professionnelle il y a sept ans. J’ai rapidement été embauché par la fédération tahitienne de football pour être directeur technique. Ç’a été compliqué de passer du monde professionnel à un environnement amateur. J’ai démissionné au bout de quelques mois et je me suis mis à mon compte. Par la suite, j’ai créé les stages de football vacances de Marama Vahirua. Je me suis bien éclaté pendant trois-quatre ans en organisant notamment des voyages en Métropole pour des enfants de moins de douze ans. Mais au bout d’un moment, les aides des sponsors ont décliné et c’est devenu difficile de continuer. C’est dommage pour les enfants. Mon but était de repérer les futurs Marama Vahirua. Mais les mentalités de nos nouvelles générations ont beaucoup évolué. Aujourd’hui, les jeunes sont connectés au monde en temps réel et ça ne leur fait plus peur de partir en France.
Est-ce qu’il y a des futurs Marama Vahirua actuellement à Tahiti qui pourraient évoluer en L1 ou L2 dans les prochains mois ?
Dans les prochains mois, je ne pense pas. Je dirais plutôt dans les années à venir. Il y en a un d’ailleurs qui joue à Toulouse, Terai Bremond. Il a un gros potentiel. Après, le problème ici est que la drogue dure est arrivée. Nos jeunes tombent très tôt dedans. Pour eux, c’est un nouveau business. Dès que tu touches à ça, t’es foutu. Les jeunes se disent qu’il n’y a pas d’avenir au niveau professionnel. Moi, j’essaie de leur montrer qu’il peut y avoir une autre issue sociale.
Vers quel âge certains jeunes de Tahiti tombent-ils dans la drogue ?
Tout dépend de leur milieu social. Certains sont déjà dans le « move » à 10-12 ans. J’essaie de dire aux parents qui sont dépendants : « ok, c’est peut-être foutu pour vous mais s’il vous plaît, sauvez vos enfants ». Beaucoup de nos jeunes ont des compétences énormes en football ou dans d’autres sports.
Revenons à tes débuts dans le foot. Est-ce que le parcours de Pascal Vahirua (lire son interview ici) t’a influencé ?
Évidemment. Il m’a beaucoup, beaucoup influencé. Pascal a été un moteur pour moi. Quand je le voyais en Ligue 1, je me disais « j’ai trop envie d’être à sa place ». A l’époque, il n’y avait qu’une seule émission pour voir le foot : c’était Téléfoot le dimanche matin. L’émission était en différé à Tahiti. Je me souviens, j’étais « venère » quand il y avait Auto-Moto. Je me disais « mais on s’en fout ». Je voulais juste voir le foot et les résultats d’Auxerre. Je regardais les exploits de Pascal avec passion et envie. Je me souviens aussi de ses corners directs. C’était un truc de fou.
« Guy Roux m’a convoqué pour me dire : « c’est bon, on te garde ». « Je rentre à Tahiti et je reviens », lui ai-je répondu. Il m’attends encore… »
Quels matchs de Pascal Vahirua t’ont marqué ?
J’étais trop jeune pour retenir certains matches, mais j’aimais surtout son style de jeu. Il feintait pour rentrer à l’intérieur, poussait, débordait et centrait. A chaque fois, tout le monde se faisait avoir. C’était le meilleur ailier gauche du monde à son époque.
Avais-tu envie de jouer ailier gauche comme Pascal Vahirua ?
Ah non. Quand je suis arrivé à Nantes, ils m’ont directement installé sur le côté gauche car pour eux, j’étais Pascal Vahirua. Souvent je rentrais à l’intérieur et je mettais des mines. Mon coach chez les jeunes m’a dit un jour à la mi-temps : « dis-donc, tu as vraiment une belle patte droite, toi ». « Coach, je suis droitier et je joue dans l’axe », lui ai-je répondu. C’est parti comme ça.
Avant de venir à Nantes, tu as effectué un premier essai à Auxerre. Vingt-cinq ans après, Guy Roux t’attend toujours…
J’avais 15 ans quand je suis arrivé à Auxerre pour un essai d’une semaine. C’était en plein mois de novembre, juste après un match de Coupe de France à Saint-Priest avec mon club de Pirae. Je n’avais jamais vu la France pendant cette période pré-hivernale. A l’époque, il y avait Djibril Cissé, Olivier Kapo ou Nicolas Marin chez les jeunes à l’AJA. J’ai fait quatre jours avec eux et je me suis dit « en fait non ». Guy Roux m’a convoqué pour me dire : « c’est bon, on te garde ». « Je rentre à Tahiti et je reviens », lui ai-je répondu. Il m’attends encore (rires). Je n’ai qu’un seul souvenir de cette période : il gelait de ouf. J’avais juste envie de prendre une douche chaude et de me mettre sous la couette. L’année suivante, je reviens et je signe à Nantes. Lors de nos tournois amicaux, les coachs du centre de formation d’Auxerre venaient me voir pour me demander : « pourquoi tu n’as pas choisi l’AJA ? ». Je suis revenu au mois de mai cette fois-ci, il faisait beau et chaud, et je me suis dit « c’est bon, je signe ici ».
Est-ce que Pascal Vahirua t’avait prévenu qu’il pouvait faire très froid l’hiver en Bourgogne ?
Il faut se remettre dans le contexte. On était en 1995, il n’y avait pas de téléphone portable, pas de mails et compagnie. C’était très, très compliqué d’appeler Pascal. A l’époque, il était encore pro et c’était difficile de l’approcher.
« Jean-Claude Suaudeau en imposait vraiment. Même si c’était le plus petit de tous. Rien que sa présence, sa prestance et son aura, tu sentais que c’était lui le boss »
Comment le FC Nantes t’a recruté ?
Quand je suis rentré d’Auxerre, j’ai continué à jouer dans le championnat seniors à Tahiti et je ne comptais pas forcément retourner en France. Je me disais, « si c’est ça, laisse tomber ». Finalement, mon père a été contacté par son pote qui connaissait Jean-Claude Suaudeau et Robert Budzynski et ça s’est fait comme ça. Le FC Nantes avait absolument envie de me voir. J’ai fait un essai avec la génération Mickaël Landreau, Eric Carrière, Mathieu Berson et toute la clique. Ç’a tout de suite matché entre nous. Au bout de quatre jours, j’ai été convoqué et Jean-Claude Suaudeau m’a dit qu’il allait me prendre sous sa coupe. Je suis tombé dans une famille. Vraiment. Par contre, ils ont été malins car ils étaient au courant du coup que j’avais fait à Auxerre. Le club a convoqué mon père et toute la famille pour signer un contrat.
Comme tu étais un fidèle de Téléfoot, ç’a dû te faire quelque chose de voir Jean-Claude Suaudeau en vrai ?
(Rires). Le truc, c’est que je suivais seulement Auxerre, le reste je m’en foutais. Pour moi, il y avait l’AJA et d’autres équipes de foot.
Comment s’est déroulé ton premier entretien avec Jean-Claude Suaudeau ?
Lui, il en imposait vraiment. Même si c’était le plus petit de tous. Rien que sa présence, sa prestance et son aura, tu sentais que c’était lui le boss. C’était pour lui une façon de faire respecter ses idées sur sa conception du football. A l’époque, nous étions quasiment les seuls à proposer ce style de jeu. Ce n’était pas évident de le mettre en place. On le voit encore aujourd’hui, le FC Nantes a du mal à le reproduire. Ce monsieur force le respect par le travail qu’il a accompli.
Quels ont été vos premiers échanges ?
Chez nous à Tahiti, le respect passe par le tutoiement. Quand tu tutoies quelqu’un, ça veut dire qu’il fait partie de ton cercle familial. Même le président de Tahiti, je le tutoie. Du coup, quand j’arrive en France et que je me mets à tutoyer Jean-Claude Suaudeau, tout le monde dit « ouah, mais qu’est-ce qu’il fait lui ? ». Je me souviens que les joueurs étaient fous. J’avais dit : « Coco, Robert (Budzynski) t’appelle ». Tout le monde avait pété un câble. J’ai vite compris que la règle du tutoiement était inversée en France.
« Jouer en une touche de balle et voir avant tout le monde, c’était totalement mon style de jeu. Tout de suite, j’ai réussi à suivre le rythme des jeunes du FC Nantes. Au bout, d’un entraînement ou deux, les coachs disaient à mes parents : « c’est pas mal ce qu’il fait » »
Quelle a été la réponse de Jean-Claude Suaudeau à ce moment-là ?
Il n’a rien dit car il était au courant. Mais par rapport à la réaction que cela a suscité, je me suis dit : « ok, je vais le vouvoyer maintenant ».
Comment s’est passé l’apprentissage du jeu à la Nantaise ?
Jouer en une touche de balle et voir avant tout le monde, c’était totalement mon style de jeu. Tout de suite, j’ai réussi à suivre le rythme des jeunes du FC Nantes. Au bout, d’un entraînement ou deux, les coachs disaient à mes parents : « c’est pas mal ce qu’il fait ». Mon père était fier car je m’adaptais rapidement au style du FC Nantes. Depuis tout petit, j’ai toujours adoré jouer avec les meilleurs. Forcément à Nantes, il n’y avait que les meilleurs. J’étais dans mon élément.
Comment as-tu vécu ton premier match chez les professionnels, au Havre, en 1999 ?
Comme un gamin. Je voulais me montrer au monde. Après, je ne me cassais pas la tête non plus. Ce soir-là, ça s’est fait tout simplement, Raynald Denoueix m’appelle et je rentre. Sur l’un de mes premiers ballons, je tente un lob de vingt ou trente mètres. Cette action résumait mon style : celui d’un joueur qui tente sa chance. Les journalistes sont venus me voir à la fin du match : « à votre âge, vous tentez des gestes comme ça ?», m’ont-ils demandé, interloqués. « Ah bon, il ne fallait pas ? », leur ai-je répondu. Si tu vois de la même façon que tout le monde, tu n’auras pas un temps d’avance. Moi j’essayais d’imaginer des combinaisons et c’est pourquoi je jouais plus à l’instinct.
La saison suivante (en mai 2000), ton but au Havre permet à Nantes de se sauver en Ligue 1…
J’ai un souvenir précis de l’avant-match. On joue la finale de la Coupe de France contre Calais (2-1) quelques jours plus tôt. On est à Clairefontaine, à la veille du match, et Raynald Denoueix me convoque. « Écoute, Marama, j’hésite entre te mettre titulaire ou dans la tribune car j’ai ma liste de remplaçants », me dit-il dans un premier temps. « Finalement, je préfère mettre untel parce que c’est un peu plus défensif », a-t-il développé quelques secondes plus tard. Je suis passé d’une joie énorme à une grosse déception. Mais en même temps, j’étais tellement heureux et fier d’être là. Le week-end suivant, on joue Le Havre. Là le coach me convoque encore. « Écoute, je te fais jouer », m’a-t-il annoncé. Pour le match de la mort. Si Nantes perdait, Nantes descendait. Mais en cas de victoire, c’était tout bon. Après, j’étais tellement « vénère » du week-end précédent. Ç’a été un coup de poker de sa part car il m’a titularisé à la place de Frédéric Da Rocha. Sur le but, c’est Antoine Sibierski qui me met en bonne position. Poteau rentrant…
« La saison précédente, on avait peur de gagner. On était malheureux, on tapait la barre. Quand on méritait de gagner, on faisait match nul. Lorsque le match nul nous tendait les bras, on perdait. Cette peur-là, on l’a laissée de côté en 2000/01 »
Est-ce que ce but a donné un coup d’accélérateur à ta carrière ?
Oui forcément, le public a su qui était ce petit Tahitien. Car lors de mon premier match à La Beaujoire contre le PSG, on a perdu (0-4) et j’ai réalisé une superbe passe décisive à Laurent Leroy (rires). Je me souviens, tout le monde disait « mais c’est qui ce joueur, il ne réussira pas ». Tous mes coéquipiers m’avaient encouragé pour ne pas lâcher.
En 2001, Nantes a été sacré champion de France. Quel a été le secret de cette équipe emblématique ?
La saison précédente, on avait peur de gagner. On était malheureux, on tapait la barre. Quand on méritait de gagner, on faisait match nul. Lorsque le match nul nous tendait les bras, on perdait. Cette peur-là, on l’a laissée de côté en 2000/01. Quatre joueurs sont arrivés (Nicolas Laspalles [lire son interview ici], Sylvain Armand, Stéphane Ziani et Viorel Moldovan) à l’intersaison et ont apporté de insouciance. Cette saison-là, je me suis vraiment révélé. Toute l’équipe s’est révélée. Pourtant, le travail était le même. Je me souviens qu’on commence le championnat par une défaite (ndrl : défaite à la Beaujoire contre Lens [0-2]). Là tout le monde disait : « Oh lala, c’est reparti… ». Mais nous, on avait confiance en nous. On s’est dit « pas cette fois-ci ». Dans la tête, on a abordé les matchs différemment. Quand tu abordes un événement positivement, ça marche. Là, on a vécu une saison de rêve.
Tout a donc été une question de programmation mentale…
Tu prends le PSG, la remontada à Barcelone en 2017, c’est dans la tête qu’ils ont lâché. Ils ont eu peur de gagner. Si tu prends des mecs blessés mentalement, forcément ils vont avoir peur au plus mauvais moment.
En mai 2001, c’est toi qui marque le but du titre face à Saint-Etienne (1-0, 37e journée). Quelle sensation as-tu ressentie ce jour-là ?
Je marque lors du premier quart d’heure. Ensuite, sur une action offensive, Jérôme Alonzo plonge dans mes pieds et ma cheville reste coincée. J’ai eu une grosse entorse qui m’a éloigné des terrains pendant pratiquement un mois. Le match était compliqué car on savait qu’il y avait le titre au bout. On était un peu comme un tennisman qui joue une balle de match. On a mis le but et ensuite on a attendu que l’adversaire fasse l’erreur.
« Ma célébration de buts en pagayant ? C’est venu d’un coup. A l’époque, j’appelais ma mère chaque soir après les matchs. « La prochaine fois, quand tu marques, je veux que tu dises que c’est pour ta maman », me disait-elle. « Je ne vais pas le faire à tous les matchs », lui ai-je répondu. Un jour, j’ai marqué en Coupe de France contre Auxerre et d’un coup c’est venu. Je me suis dit « tiens, je vais faire ça ». C’est l’emblème de Tahiti… Peu de temps après, Micka Landreau est venu me voir. « C’est notre signe, tu vas le garder jusqu’au bout, ça va nous offrir le titre de Champion de France » »
Ensuite, c’était la liesse lorsque les supporters nantais sont rentrés sur la pelouse pour célébrer le titre de Champion de France…
A ce moment-là, je ne réalise pas ce qui se passe. J’ai 20 ans. Je ne réfléchis pas. Tu vois tout le monde courir, tu es fier de devenir Champion de France. Je deviens le premier Tahitien de l’histoire à être Champion de France. Ouahh j’étais vraiment fier d’avoir offert le titre à mon équipe. Je ne réalisais pas que ce moment était historique pour le football tahitien et le FC Nantes. A cet âge-là, tu ne penses pas à toutes ces statistiques.
Sous le maillot du FC Nantes, tu as commencé à célébrer tes buts en pagayant. Comme cette idée est-elle venue ?
C’est venu d’un coup. A l’époque, j’appelais ma mère chaque soir après les matchs. « La prochaine fois, quand tu marques, je veux que tu dises que c’est pour ta maman », me disait-elle. « Je ne vais pas le faire à tous les matchs », lui ai-je répondu. Un jour, j’ai marqué en Coupe de France contre Auxerre et d’un coup c’est venu. Je me suis dit « tiens, je vais faire ça ». C’est l’emblème de Tahiti. Le soir-même, j’ai reçu plein d’appels. « Tout le monde est fier ici, c’est la célébration parfaite », m’a confié mon père. Peu de temps après, Micka Landreau est venu me voir. « C’est notre signe, tu vas le garder jusqu’au bout, ça va nous offrir le titre de Champion de France », a-t-il insisté. Cette célébration était associée à la victoire dans le vestiaire.
Raynald Denoueix a été écarté de l’équipe première du FC Nantes. Comment as-tu vécu son départ ?
J’étais vraiment dégoûté. Ce n’est pas pour dénigrer Angel Marcos mais à l’époque, le FC Lorient qu’il entraînait avant de venir chez nous était derrière le FC Nantes au classement. Je me suis dit : « mais, ils sont fous ». Je me souviens d’une réunion organisée avec Mickaël Landreau et nous les joueurs. Nous souhaitions poursuivre avec Raynald Denoueix. On savait bien que ce n’était pas de sa faute. Comment tu peux virer un entraîneur, sept mois après le titre de Champion de France ? C’était l’homme de la situation. Il n’y avait aucun doute là-dessus. Mais le président Jean-Luc Gripond nous avait annoncé que quelque soit l’avis des joueurs, c’était lui le patron. Et il avait décidé de changer d’entraîneur.
Nantes a changé totalement d’époque le jour où Raynald Denoueix est parti…
C’était le début de la fin du FC Nantes. Avant son départ, le club fonctionnait avec l’esprit José Arribas. Ç’a été la feuille de route à suivre pour chaque génération. Il y avait une façon de vivre ensemble, de jouer ensemble. Au FC Nantes, on était une unité. Ça m’avait choqué quand le président nous avait dit « c’est moi le patron, je vous paie et on change ». On était pas dans cette optique à l’époque. Après c’était lui le patron donc la décision finale lui revenait. Comme nous les joueurs, on n’était pas habitué à ça, on s’est braqué.
« A Nice, Gernot Rohr était top. C’était un papa, un ami… Il faisait confiance à ses joueurs. Il me disait : « Tu es libre, sur le terrain fais de la magie » »
Est-ce que ce changement au sein du club a provoqué ton départ à Nice en 2004 ?
Non, pas du tout. Moi, je m’entendais très bien avec le président Gripond. Mais après sur le plan footballistique, je n’avais plus l’impression d’avancer. A 22-23 ans, quand on te dit que tu dois encore prouver, malgré tout ce que tu as déjà fait auparavant, tu te dis qu’il faut peut-être quitter le cocon familial.
Pourquoi as-tu choisi de rejoindre Nice ?
Gernot Rohr m’a appelé. Son discours m’a plu. Je voulais vraiment rebondir dans un club familial et sincèrement, j’ai très bien fait. Gernot et les joueurs m’ont accueilli à bras ouverts. J’ai vraiment aimé ce club, les supporters. C’était vraiment famille. Je n’ai pas regretté d’être parti du FC Nantes. Non pas que je ressentais une certaine haine, c’était juste le moment pour moi de changer d’air.
Quelles étaient tes relations avec Gernot Rohr ?
Il était top. C’était un papa, un ami. A Nantes, les joueurs étaient plus dirigés. Là, il y avait plus d’auto-gestion. Après, ça passe ou ça casse. Il faisait confiance à ses joueurs. « Tu es libre, sur le terrain fais de la magie », me disait-il. A Nice, j’ai marqué des buts improbables. Quand tu es en confiance, tu tentes tout. Donc forcément, je marquais des buts de dingue.
Comment c’était l’ambiance du Stade du Ray lorsque tu étais sur le terrain ?
Tu ne connaîtras plus jamais cette ambiance à Nice. Au Stade du Ray, c’était un vieux stade où tu avais l’impression qu’il n’y avait pas grand monde, qu’il était trop petit pour tout le monde. Mais quand tu rentrais sur la pelouse, c’était impressionnant de voir autant de bruit avec si peu de personnes. J’en avais des frissons. A chaque fois, quand j’étais un peu fatigué, c’était les supporters niçois qui me relançaient. Ils étaient là du début à la fin. Quand on marquait, j’étais aux anges à chaque fois. Mon fils aîné devait avoir 3-4 ans à l’époque. Il était fan de la BSN, le kop de Nice. Quand il rentrait à la maison, il chantait tous leurs chants.
« Un jour, j’ai dit à Frédéric Antonetti qu’on n’était pas sur la même onde radio. Oh là là, ça ne lui a pas plu…Dès qu’on parlait football ensemble, ça partait en sucette à chaque fois. Il était exigeant avec lui-même et tout le monde… Forcément les garçons cools comme moi à l’époque qui pensaient « je suis doué, j’ai le don, je vais sentir le coup au moment venu », ça l’énervait »
Seize ans après la remontada de Nice à Monaco (le Gym est passé de 3-0 à 3-4 et le dernier but a été inscrit par Marama Vahirua), les supporters niçois t’en parlent toujours…
Que tu sois spectateur ou joueur, tu as une vision différente. Nous sur le coup, on ne voit pas le temps passer, on ne se rend pas compte qu’on est en train de créer l’exploit. Nous, on voulait juste marquer plus que les adversaires. Quand on égalise, on se dit : « mais, on peut les battre ». C’était comme une proie qui commençait à faiblir. Et nous, nous avions juste envie de l’abattre. Dans les yeux des Monégasques, tu sentais qu’ils commençaient à paniquer. Sur le quatrième but, quand Victor Agali fait une feinte pour que je puisse marquer, en aucun cas je lui dis de me la laisser. C’était un super souvenir. A notre retour à Nice, c’était énorme, on avait l’impression d’avoir gagné la Coupe du monde. On était des Dieux. Tous les supporters présents à Monaco ne faisaient que klaxonner. Ce match a marqué le club. Je suis heureux d’avoir marqué l’histoire de l’OGC Nice avec cette victoire à Monaco notamment.
En 2005, Frédéric Antonetti devient l’entraîneur de l’OGC Nice. Il y a notamment cette vidéo qui tourne sur YouTube où vous vous prenez la tête. Quels étaient vos rapports ?
(Rires). C’était bizarre. Très bizarre. Autant avec Gernot, c’était libre. Autant Frédéric Antonetti était très directif. Nos rapports ont été très tendus. Quand tu sais qu’à l’entraînement, on va te prendre la tête sur un petit truc, tu as la boule au ventre. C’est comme aller au travail et que tu sais que ton patron va te tomber dessus pour un oui ou pour un non. La communication avec les joueurs, ce n’était pas son fort. Il était cash. Plus tard, quand j’ai mûri, j’ai compris que son envie première était que je réussisse. Il n’arrêtait pas de me dire « tu dois courir plus ». Je lui répondais : « mais je marque ». « Je m’en fous, je veux que tu cours », répliquait-il. Un jour, je lui ai dit qu’on n’était pas sur la même onde radio. Oh là là, ça ne lui a pas plu (rires). Dès qu’on parlait football ensemble, ça partait en sucette à chaque fois. Il était exigeant avec lui-même et tout le monde. Il ne comprenait pas pourquoi les autres n’étaient pas comme lui. Forcément les garçons cools comme moi à l’époque qui pensaient « je suis doué, j’ai le don, je vais sentir le coup au moment venu », ça l’énervait (rires).
C’est d’ailleurs lui qui t’a replacé derrière l’attaquant…
Oui, j’ai vraiment aimé ce poste. Quand il est arrivé à Nice, il est venu me voir rapidement : « moi, je n’aime pas où tu joues, ce n’est pas ton poste ». Je me suis dit « oh non, il va vouloir révolutionner mon style de jeu ». « Je veux que tu joues en dix, derrière les deux attaquants », m’a-t-il dit. « Je vais changer le jeu de l’équipe pour toi », a-t-il ajouté. Je ne l’ai compris qu’après : il a tout mis en place pour moi. Pour que je puisse m’épanouir dans son système de jeu. Lorsque je l’ai recroisé quand je jouais à Lorient, je lui ai avoué que je me régalais à ce poste-là.
Lors de ton passage à Nice, tu as marqué un but incroyable du talon (en 2007) au Stade du Ray contre le PSG…
Je me souviens qu’à l’époque, c’était le but le plus rapide concédé dans l’histoire du PSG. J’ai trouvé le chemin des filets après une quinzaine de secondes. Ce record a été battu par Kylian Mbappé lorsqu’il jouait à Monaco. Quand j’ai marqué ce but-là, avec l’ambiance indescriptible du Stade du Ray, j’étais sur une autre planète. En plus, c’était face à mes anciens coéquipiers Mickaël Landreau et Sylvain Armand. Que des potes…
Propos recueillis par Thierry Lesage
Retrouve la deuxième partie de l’interview de Marama Vahirua (époque Lorient, Nancy et Monaco) le samedi 7 mars
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