Après ses belles années strasbourgeoises (lire la première partie de l’interview ici ), Martin Djetou raconte ses plus beaux souvenirs à l’AS Monaco. Le club où il a connu l’équipe de France, remporté deux titres de champion de France en 1997 et 2000 et atteint les demi-finales de la Ligue des Champions. Martin Djetou se confie également sur ses galères avec les clubs italiens : une réunion qui tourne mal à Turin et des salaires impayés à Parme. Souvent interrogé sur ses déboires avec les Bleus, Martin Djetou se livre aujourd’hui sur ses plus beaux souvenirs avec l’équipe de France. Et la liste est longue.

 

Martin Djetou, à tes débuts à Monaco, il y avait un secteur défensif incroyable avec Fabien Barthez dans les buts, Franck Dumas en défense ou Sabri Lamouchi au milieu. Comment as-tu appréhendé tes premiers matchs avec Monaco ?
A cette période-là, Monaco était très, très solide dans tous les compartiments du jeu. En plus l’ambiance était bonne même s’il y avait beaucoup d’egos. Je pense que ça faisait aussi la force de l’équipe. Si tu as onze montons sur le terrain qui ne font pas de bruit, tu ne peux pas viser le haut de tableau.

 

Ta deuxième saison à Monaco a été marquée par l’élimination de Manchester United en quarts de finale de Ligue des Champions (0-0, 1-1). Comment as-tu vécu cette double confrontation ?
A l’aller, j’étais au marquage de Teddy Sheringham et j’avais fait un sans-faute. Il m’avait même donné son maillot à la fin du match. Monaco s’était qualifié à Old Trafford grâce à un but de David Trezeguet. Quelques jours avant le match retour, j’avais été interviewé et j’avais dit que Monaco allait se qualifier à Old Trafford.

 

Comment as-tu tenu en défense face aux David Beckham, Andy Cole ou Ole Gunnar Solskjaer au match retour ?
Si on veut réussir dans le sport, il faut avoir une part d’inconscience. Si tu calcules trop, tu te mets trop de pression. A Old Trafford, je me suis mis en mode jeune de quartier. Sur un match comme ça, tu ne dois jamais baisser les yeux.

Par contre en demi-finale, le déplacement sur la pelouse de la Juventus Turin a été beaucoup plus compliqué pour Monaco (ndlr : défaite 4-1)…
Au niveau de l’intensité, sur le plan tactique et technique, la Juventus était au-dessus. Personnellement, j’avais perdu le combat face à Zinédine Zidane qui avait été en feu. Après, Monaco a fait un superbe match retour (3-2). Malheureusement il y a Alessandro Del Piero qui bousille notre rêve en marquant seul au deuxième poteau du plat du pied dans le dos de Lilian Martin. Ensuite, il s’est mis à lui courir après pour lui mettre une patate mais il s’est retenu au dernier moment.

 

Tu ne devais pas jouer ce match retour suite à une blessure à une cheville et à un genou. Mais finalement tu as réussi à être apte au tout dernier moment pour cette demi-finale de Ligue des Champions…
J’avais une double entorse du genou et de la cheville. C’était sur la même jambe. Je ne devais pas jouer le match retour. L’Equipe avait dit que Martin Djetou abandonnait ses collègues. Ç’a m’avait vraiment énervé et j’avais appelé Jean Tigana : « Coach, je joue ce match ». « Martin, je vais appeler l’hôpital. Tu vas refaire un scanner et on décidera si tu peux jouer ou non », m’avait-t-il répondu. Le scanner confirmait mes deux blessures. Jean Tigana m’a donc dit : « Martin, tu ne pourras pas jouer ». Mais moi, je voulais vraiment jouer. J’ai demandé au kinésithérapeute Michel Franco et à Claude Puel de me déposer à l’hôtel. J’ai aussi contacté ma femme pour qu’elle m’amène mon sac. De minuit jusqu’à très tard dans la nuit, Michel Franco a tenté de faire plein de straps. Comme je n’ai pas des petits mollets ni des petites cuisses, je te laisse imaginer le nombre de straps qu’il a utilisés pour que ça tienne et pour que je puisse jouer. Je suis allé dans le couloir de l’hôtel pour faire des mouvements. Le lendemain matin, il y a eu un entraînement à la Turbie. Moi j’ai fait des exercices spécifiques avec Claude Puel. Il a dit : « il y a des chances pour que Martin Djetou joue ». J’avais mal mais j’ai serré les dents car je voulais absolument jouer.

 

Comment se sont déroulées les quelques heures qui ont précédé ce match retour à Louis II ?
Une heure avant le match, j’ai fait une infiltration. Bruno Irles devait jouer. Il avait même fait l’échauffement sur le terrain. Moi, je me suis préparé dans le vestiaire. Je me rappelle encore que Zinédine Zidane et Edgar Davids ont baissé la tête quand ils m’ont vu sortir du vestiaire. J’ai vu dans leurs yeux qu’ils étaient vraiment dégoûtés. Là, je me suis dit : « j’ai gagné ». Du coup, ça m’a vraiment boosté pour la rencontre. D’ailleurs, j’ai fait un super match ce soir-là.

 

« Dès que les dirigeants du Bayern ont vu l’agent qui me représentait, ils se sont levés et m’ont serré la main. Ils m’ont dit : « On ne bosse pas avec ce Monsieur-là, bonne continuation » »

 

Pendant ta grande période monégasque, tu aurais pu signer à la Juventus Turin. Pourquoi le transfert ne s’est pas concrétisé ?
L’année avant le titre de Champion de France de Monaco en 2000, j’avais un pré-contrat à la Juventus. Lors de la réunion qui s’est tenue à Turin, j’étais vraiment surpris de voir autant d’agents italiens. Moi j’avais un agent plus son associé. Pour un seul joueur, il y avait huit agents dans la pièce. Au départ, ils reçoivent des petits cadeaux. Ensuite quand ils me mettent le contrat sous les yeux, il manquait 75 000 francs (environ 10 000 euros) par rapport à la somme qui avait été annoncée au départ. Les joueurs de la Juventus de l’époque touchaient beaucoup plus que ce qu’ils me proposaient. De plus, la Juventus ne voulait même pas prendre en charge mes frais de déplacement entre Monaco et Turin. Du coup, j’ai demandé où était parti l’argent manquant. Roberto Bettega, l’ancien vice-président de la Juve, m’a répondu : « Martin, quand tu retourneras en Afrique, tu vas vivre comme un roi parce que tu auras gagné plusieurs millions ». Je lui ai rétorqué : « Je suis peut-être Black, mais ce que je mérite aujourd’hui, il faut me le verser aujourd’hui, pas demain ». J’ai déchiré le pré-contrat et j’ai dit à ma femme : « viens, on se casse ». Dans La Gazzetta Dello Sport, la Juventus avait déclaré que le transfert avait capoté à cause de ma blessure au genou, celle de la demi-finale de Ligue des Champions. Le club n’avait pas voulu reconnaître qu’il m’avait manqué de respect.

 

En 2000, tu as aussi des contacts avancés avec le Bayern Munich. Et là encore tu ne trouves pas d’accord avec les dirigeants bavarois…
Je les ai rencontrés dans un hôtel à Nice. L’agent qui était censé me représenter, je l’ai découvert ce jour-là. Je bossais avec Jean Tigana et il n’avait pas pu venir car il venait d’être nommé entraîneur de Fulham et il ne pouvait pas assumer les deux fonctions. Je pensais que Richard Bettoni allait venir à sa place. Mais en fait, c’est Ranko Stojic qui est venu. La réunion a tourné très court : dès que les dirigeants du Bayern l’ont vu, ils se sont levés et m’ont serré la main. « On ne bosse pas avec ce Monsieur-là, bonne continuation », m’ont-ils dit. Ensuite c’est Parme qui est arrivé en 2001.

 

A l’époque, Parme était un gros poids lourd du foot européen…
Pour moi Parme, c’était Faustino Asprilla, Tomas Brolin, Hernan Crespo, Gianluigi Buffon, Juan-Sebastian Veron, Lilian Thuram. Ça faisait rêver.

 

« Je ne suis pas allé à Barcelone car la plupart des Français qui évoluaient au Barça à l’époque ne jouaient pas beaucoup. Moi à ce moment-là, mon objectif était d’avoir une place de titulaire en équipe de France. Du coup, je me suis dit que j’avais plus de chances de jouer à Parme »

 

Comment Parme t’a sollicité à l’époque ?
Les dirigeants de Parme sont venus chez moi. Quelques jours avant, j’avais reçu une offre du Barça. Je leur ai montré le fax. Ils ont vu les chiffres que Barcelone proposait et ont dit : « ok, on s’aligne sur le Barça ». Le Président de Parme m’a fait venir en jet avec ma femme pour visiter les installations. Il m’a rajouté un peu plus que le Barça. J’ai dit : « il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis ». Avec ce que j’avais vécu avec la Juventus, je ne voulais plus entendre parler des clubs italiens. Avec le recul, je me dit que j’aurais dû rester sur ma décision initiale de ne plus faire de business avec les Italiens.

 

Pourquoi n’as-tu pas directement accepté l’offre du FC Barcelone ?
Je n’y suis pas allé car la plupart des Français qui évoluaient au Barça à l’époque ne jouaient pas beaucoup. Moi à ce moment-là, mon objectif était d’avoir une place de titulaire en équipe de France. Du coup, je me suis dit que j’avais plus de chances de jouer à Parme. Il s’est passé ce qu’il s’est passé, néanmoins, j’ai gagné la Coupe d’Italie face à la Juventus en 2002.

 

Raconte-nous comment vivait le vestiaire de Parme à cette époque-là avec les Hidetoshi Nakata, Fabio Cannavaro, etc…
Franchement au départ, on avait un super vestiaire. On se voyait aussi parfois en dehors du terrain. Ça s’est gâté quand Lilian Thuram a laissé son appartement à Johan Micoud. Il avait préparé les papiers pour pouvoir emménager mais Fabio Cannavaro a dit à son agent que s’il n’avait pas l’appartement de Lilian Thuram, il ne restait pas à Parme. Comme c’était le capitaine, le club de Parme a fait en sorte que l’appartement lui revienne. Du coup, c’était très chaud dans le vestiaire suite à ça. Moi à Parme, j’étais proche de Johan Micoud. J’étais en chambre avec lui. On avait nos petits rituels avant les matchs, on buvait notre petit thé avec des petits gâteaux. Je m’entendais aussi très bien avec Stephen Appiah et Sabri Lamouchi.

 

« Parme me devait de nombreux mois de salaire mais à un moment donné, j’ai arrêté de me battre car je perdais trop d’argent. L’état italien protégeait Parme. J’étais tout seul contre toute une nation »

 

A l’époque où tu jouais en Italie, la Série A c’était du top niveau. Comment as-tu vécu ces matchs italiens ?
Franchement c’était magnifique, avec des grands stades, certes un peu vieillots. A chaque match, je jouais contre des grands joueurs. J’ai eu la chance de jouer contre Gabriel Batistuta et Pavel Nedved. J’ai conservé des photos quand j’étais au duel avec Andreï Shevchenko. Il y avait des superbes attaquants à l’époque en Série A. Parmi ces attaquants, qui était le plus dur à jouer ? Pippo Inzaghi. Il ne savait pas dribbler mais il savait la mettre au fond.

 

Pourquoi ça s’est mal fini pour toi à Parme ?
Ça s’est mal fini parce que le club avait des soucis financiers. De plus, la personne qui s’occupait de mes intérêts à l’époque a fait certains trucs bizarres avec le club. Ils ont préféré prendre de l’argent dans mon dos plutôt que de protéger ma carrière. Parme a prétexté un soucis cardiaque pour obtenir gain de cause. De mon côté, j’ai fait tous les examens qui prouvaient le contraire. Le club me devait de nombreux mois de salaire mais à un moment donné, j’ai arrêté de me battre car je perdais trop d’argent. L’état italien protégeait Parme. J’étais tout seul contre toute une nation, qu’est-ce que tu voulais que je fasse ? Aujourd’hui, j’ai laissé tombé et je vis bien dans une belle petite maison dans une ville que j’adore et je fais un métier que j’adore.

 

Pendant ta période de contrat à Parme, tu as été prêté deux saisons à Fulham où tu as retrouvé Jean Tigana et le plaisir de jouer…
J’ai pris un bon bol d’air à Fulham sur le plan sportif et psychologique. Vraiment un bon bol d’air. Certes j’étais content d’être avec Jean Tigana et certains français comme Steed Malbranque, Steve Marlet, Alain Goma, Sylvain Legwinski, avec qui j’ai formé l’une des meilleures paires de milieux défensifs d’Europe à Monaco, je n’étais pas totalement guéri par rapport à ce que j’avais vécu à Parme. J’avais une belle complicité avec le staff technique. On avait vraiment un bon groupe. Malheureusement, il a fallu que je retourne à Parme car comme j’étais prêté, je ne pouvais pas rester trois ans dans le même club. Je suis resté en très bon termes avec le club de Fulham qui souhaite que je donne le coup d’envoi d’un match prochainement.

 

« Je remercie le bon Dieu de m’avoir fait connaître afin de toucher la main de Nelson Mandela. Le football est un sport fabuleux car il te permet de faire de belles rencontres, d’apprendre des langues et de découvrir plein de pays »

 

Comment as-tu vécu ta saison à Nice ?
A Nice, franchement, j’ai été super bien accueilli. Je crois que c’est le meilleur accueil que j’ai connu pendant ma carrière. J’aurais tout donné pour Nice. Malheureusement Gernot Rohr, qui m’avait fait venir, a été écarté car les résultats ne suivaient pas. Le courant n’est pas bien passé avec son remplaçant Gérard Buscher. Je suis déçu de ne pas avoir rendu au club tout ce qu’il m’avait donné lors de mon arrivée.

 

Concernant l’équipe de France, tu as été beaucoup sollicité pour parler de ta mise à l’écart avant la Coupe du Monde 1998 (lire notamment l’interview de Karim Nedjari sur son livre « La nuit des bannis »). A l’inverse, pourrais-tu nous en dire plus sur tes meilleurs souvenirs avec les Bleus (ndlr : 6 sélections) ?
C’est d’abord la première sélection contre la Turquie (4-0) au Parc des Princes le 9 octobre 1996. J’en garde un super souvenir car c’est Jean Tigana qui me l’a annoncée. Je pensais que c’était mon pote Manu Dos Santos qui m’appelait car il imitait super bien le coach. « Manu, c’est bon » ai-je répondu. Jean Tigana a répliqué : « écoute Martin, si tu ne veux pas y aller, je peux appeler Aimé Jacquet ». Sinon il y a eu un souvenir très difficile personnellement mais très marquant sur le plan sportif : lors d’un déplacement en Écosse avec l’équipe de France en 2000, je n’ai pas pu jouer car ma femme avait fait une fausse couche. Tous les joueurs avaient signé un maillot avec plein de mots sympathiques. Ça m’avait touché. Ce maillot je l’ai toujours. Il y a aussi la rencontre avec Nelson Mandela en septembre 2000. Sur toutes les photos, je suis avec Laurent Robert. Le président sud-africain nous avait reçu chez lui. Chaque joueur avait fait sa photo avec lui et il avait dit un petit mot à chacun d’entre nous. Sur le coup je n’ai pas réalisé. J’ai pleuré avant les hymnes. Tous les joueurs français ont fredonné pendant l’hymne sud-africain tellement l’émotion était forte. On en avait la chair de poule. On voyait tout ce peuple debout qui chantait. C’était vraiment fantastique. Je remercie le bon Dieu de m’avoir fait connaître afin de toucher la main de Nelson Mandela. Le football est un sport fabuleux car il te permet de faire de belles rencontres, d’apprendre des langues et de découvrir plein de pays.

 

Enfin, souhaites-tu ajouter quelque chose ?
Sur Instagram, j’aimerais bien proposer des photos d’anciens joueurs pour savoir ce qu’ils deviennent aujourd’hui, voir les maillots et les coupes de cheveux qu’on avait à l’époque.

 

Propos recueillis par Clément Lemaître

 

Toi aussi tu es fan de Monaco, découvre cette très belle interview de Pontus Farnerud

 

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