Formé par Jean-Claude Suaudeau puis Raynald Denoueix, Nicolas Gillet a vécu la formation à la Nantaise de l’intérieur. Au cours de cette interview passionnante, l’ex-défenseur-central international (1 sélection) explique comment le jeu était au centre de toutes les attentions de cette période dorée des Canaris et revient sur les étapes importantes de sa carrière : Nantes, Lens, Le Havre et Angers.
Je suis revenu vivre à Nantes. Je suis éducateur à Carquefou. Lors des trois dernières années, je me suis formé au métier d’entraîneur. J’ai les diplômes nécessaires pour évoluer si l’occasion se présente. Le foot est mon métier mais c’est aussi un plaisir depuis tout petit.
Tout d’abord, je transmets le respect. Le football est un sport collectif. Nous vivons dans une société où les personnes font de moins en moins attention aux autres. Il y a de moins en moins de bienveillance. J’essaie justement d’être bienveillant envers eux et de leur transmettre des valeurs de partage à travers le foot.
Je ne supportais pas vraiment une équipe en particulier. Un peu plus le FC Nantes quand j’ai intégré le centre de formation à l’âge de 13 ans. J’aimais beaucoup Laurent Blanc par rapport à ce qu’il dégageait. Comme lui, je n’ai pas débuté en tant que défenseur central. Avant j’étais numéro dix. Je suis redescendu milieu défensif puis défenseur.
« Au centre de formation de Nantes, on nous apprenait à faire énormément d’efforts pour les autres. Il ne fallait pas se dire : « pourquoi je ferais cette course-là alors que ça ne va pas me servir moi personnellement ». Notre raisonnement était de se dire que cela servait le collectif »
Je n’allais pas forcément voir les matchs du FC Nantes à l’époque. Moi ce qui m’intéressait à cet âge-là, c’était de jouer au foot tous les jours. J’étais content d’aller à Nantes parce que c’était à côté de chez moi. Après, c’est venu petit à petit.
Outre les valeurs footballistiques, les valeurs humaines étaient primordiales. Il y avait beaucoup de partage et de solidarité entre les joueurs. Sur le terrain, on nous apprenait à faire énormément d’efforts pour les autres. Il ne fallait pas se dire : « pourquoi je ferais cette course-là alors que ça ne va pas me servir moi personnellement ». Notre raisonnement était de se dire que cela servait le collectif. Dans le football actuel, tout le monde veut briller avec le ballon. On individualise beaucoup le football. Nous sommes entrés dans un monde de statistiques et de performances individuelles.
Quand j’étais au centre de formation, les joueurs aimaient partager des choses ensemble. L’objectif n’était pas d’être premier. Mais nous terminions souvent en tête. Nos belles performances en matchs étaient la conséquence de tout notre travail à l’entraînement. Aujourd’hui, quand j’entends des éducateurs dire : « on veut finir premiers de notre catégorie », pour moi, c’est une grande hérésie.
« J’ai un grand respect pour Raynald Denoueix. Avec lui, le collectif et le jeu primaient. En 2000, Nantes a lutté pour son maintien jusqu’à la dernière journée (ndlr : victoire au Havre 1-0). Lors des dix derniers matchs, avant chaque rencontre, il écrivait cette phrase au tableau : « on s’en sortira par le jeu ». Il n’a jamais renié ses valeurs»
Quand Miroslav Blazevic entraînait l’équipe première de Nantes (ndlr : de 1988 à 1991 ), Jean-Claude Suaudeau s’est occupé des U15. Il était très joueur. Il parlait de jeu constamment. C’était plaisant pour les joueurs d’enchaîner les belles séquences. Dans l’échange humain, il était un peu plus dur que Raynald Denoueix. Jean-Claude Suaudeau était très souvent sur mon dos. Quelque part, il me montrait de l’intérêt. Il me connaissait depuis tout petit. Avant que je signe au FC Nantes, il est venu voir mes parents pendant quatre ans pour que je le rejoigne. Je me souviens après les entraînements, je travaillais souvent les transversales du pied droit. Quand j’étais content de moi, Jean-Claude Suaudeau me disait : « Tes ballons sont brossés. Quand tu feras une transversale droite, on pourra dire que tu as un pied droit ». Je me suis entraîné très dur pour enfin y arriver.
Il passait beaucoup de temps au club pour travailler. Son investissement était incroyable. J’aimais son intégrité. C’est quelqu’un de droit avec des valeurs humaines incroyables. J’ai un grand respect pour Raynald Denoueix. Avec lui, le collectif et le jeu primaient. En 2000, Nantes a lutté pour son maintien jusqu’à la dernière journée (ndlr : victoire au Havre 1-0). Lors des dix derniers matchs, avant chaque rencontre, il écrivait cette phrase au tableau : « on s’en sortira par le jeu ». Il n’a jamais renié ses valeurs. En professionnel, je n’ai pas connu un coach qui arrivait à sa cheville.
Je m’en souviens très bien. En face, il y avait Marco Simone et Florian Maurice, l’une des paires d’attaquants les plus redoutables du championnat. Je jouais à côté de Bruno Carotti en défense centrale. Nantes a gagné sur un penalty de Jocelyn Gourvennec. Ce soir-là, ça s’est très bien passé pour moi.
« Aujourd’hui, si un jeune joueur ne joue pas pendant dix matchs, il veut partir. A l’époque, ce n’était pas aussi facile que maintenant pour partir d’un club. Moi, la seule chose que je voulais, c’était réussir à Nantes. C’était inconcevable de partir »
Aujourd’hui, si un jeune joueur ne joue pas pendant dix matchs, il veut partir. A l’époque, ce n’était pas aussi facile que maintenant pour partir d’un club. Moi, la seule chose que je voulais, c’était réussir à Nantes. C’était inconcevable de partir. Au départ, je voulais faire toute ma carrière à Nantes. Si j’avais pu, je l’aurais fait. Avec le recul, je suis content d’avoir connu d’autres clubs pour voir comment ça fonctionnait ailleurs.
La première. Nous avions réalisé un superbe parcours (ndlr : La Roche Vendée, PSG, Metz, Guingamp, Nîmes). Notre équipe était très, très jeune. Par rapport au passé du club, nous n’étions pas perçus comme une équipe de coupe. En trois ans, on a remporté deux fois la Coupe de France et atteint les demi-finales de la Coupe de la Ligue et de la Coupe de France 2001. La Coupe de France 2000 a été plus difficile à conquérir. Face à Calais, le trois-quart du public était contre nous. Ce n’était pas facile de gagner dans cette ambiance. Sur le trajet qui mène au stade, on entendait « Calais » partout. Tout le monde voulait voir le petit terrasser le gros. Nous avons ressenti beaucoup de pression sur ce match.
Nous nous sommes dit : « c’est reparti pour une saison galère ». Pourtant, nous avions bien commencé le championnat avec trois victoires en cinq matchs. Après cette défaite face à Bordeaux, Nantes a dégringolé au classement. Si Nantes s’inclinait à Strasbourg (5-0, 11eme journée) il passait dans la zone des relégables. Finalement cette victoire a lancé notre belle série qui nous a menés au titre de Champion de France.
« Mon tacle sur Cédric Mionnet m’a perturbé jusqu’à la fin de ma carrière. Il y a des joueurs qui auraient réussi à passer outre, d’autres qui auraient dit « ce n’est pas grave si je l’ai blessé » mais moi je m’en suis tellement voulu. Ensuite, je n’ai plus jamais défendu de la même manière. J’avais toujours cette peur de blesser. Je ne m’en suis jamais réellement remis »
Le match du titre face à Saint-Étienne (1-0, 33eme journée). J’ai ressenti une sensation incroyable et unique. Juste avant la trêve, notre victoire à Bordeaux (2-0, 22eme journée), après une excellente prestation collective, a marqué l’équipe. Tous les joueurs ont réalisé qu’ils pouvaient aller au bout.
Ça m’a perturbé jusqu’à la fin de ma carrière. Énormément. Ça m’a blessé car ce n’est du tout dans mon tempérament de faire mal. Il y a des joueurs qui auraient réussi à passer outre, d’autres qui auraient dit « ce n’est pas grave si je l’ai blessé » mais moi je m’en suis tellement voulu. Même si c’était totalement involontaire. Ensuite, je n’ai plus jamais défendu de la même manière. J’avais toujours cette peur de blesser. Je ne m’en suis jamais réellement remis. Je me suis excusé plein de fois auprès de Cédric Mionnet. Pourtant, j’ai reçu des menaces. Quand je suis retourné à Sedan, j’ai pris un tacle par derrière. J’ai été blessé trois-quatre mois. Ce tacle sur Cédric Mionnet, c’est le pire moment de ma carrière.
Le match face à la Lazio Rome à domicile (1-0, 6eme journée de la première phase de groupes). Nantes a terminé premier de sa poule. Sur le papier ce groupe paraissait très compliqué (ndlr : Lazio Rome, PSV Eindhoven et Galatasaray). Pierre-Yves André (découvre son interview juste ici).
« En 2004, le FC Nantes ne m’a pas proposé de prolongation de contrat. Une fois que les journalistes et les supporters ont commencé à se poser des questions, le club m’a proposé de rempiler un an. A 27 ans, après quinze années passées au club, ça piquait un peu »
Évidemment. L’histoire du FC Nantes a basculé ce jour-là. Avec Angel Marcos, son successeur, ça n’avait rien à voir. Même si on a eu des bons résultats.
Au FC Nantes, il me restait un an et demi de contrat. Une prolongation devait m’être proposée. Le club m’a dit qu’il n’avait pas les moyens de le faire et qu’il était préférable de me prolonger la saison suivante. Ensuite, je n’ai rien vu venir et le FC Nantes ne m’a pas proposé de prolongation de contrat. Une fois que les journalistes et les supporters ont commencé à se poser des questions, le club m’a proposé de rempiler un an. A 27 ans, après quinze années passées au club, ça piquait un peu. Du coup, j’ai été sollicité par Rennes, Saint-Étienne et Lens. Une fois que j’ai signé à Lens, le FC Nantes m’a rappelé pour tenter de me faire signer deux saisons supplémentaires.
J’ai été le Lensois qui a joué le plus de minutes cette saison-là. Je pense que j’aurais pu encore mieux faire. Je me suis bien senti à Lens. J’ai été bien accueilli. Ensuite, j’ai moins joué. Je n’ai pas été moins performant mais je ne faisais pas partie des plans de Francis Gillot. A Lens, j’ai joué avec Hilton qui est toujours titulaire à 41 ans à Montpellier. Ça ne m’étonne pas de lui. Il aime tellement le foot. C’est incroyable de le voir toujours à ce niveau-là. Je suis super content pour lui.
« Lors de la Coupe des Confédérations 2001, les Champions du Monde avaient été très avenants avec les nouveaux venus. A la mi-temps, Marcel Desailly venait parfois me demander des conseils sur des situations de match. Avec eux, il n’y avait pas de fierté mal placée »
J’ai pris un risque à l’époque en allant en Ligue 2. Mais Le HAC avait ce projet de remonter en Ligue 1. C’était une renaissance car j’ai rejoué, j’étais heureux. Il y avait une belle équipe avec notamment Christophe Revault, Jérémy Hénin, Guillaume Hoarau. Au Havre, j’ai senti une vraie histoire de club. Ça me donnait envie de me défoncer pour ce maillot.
J’arrivais en fin de contrat au Havre. J’ai rebondi à Angers suite à un bon contact avec Olivier Pickeu, le manager général du SCO Angers. Ça me permettait de me rapprocher de Nantes et de jouer pour un club ambitieux. Je suis heureux d’avoir participé à la progression d’Angers. Le club avait peu de moyens mais était géré très intelligemment. Dans le choix du recrutement, c’était très malin. C’est toujours le cas d’ailleurs. Je me suis bien senti au SCO Angers même si ça aurait pu mieux se terminer sportivement. Le coach Stéphane Moulin a fait ses choix. Peut-être que de mon côté, j’étais un peu moins performant. Cet automne, le SCO Angers fêtera son centenaire. Si je suis invité, je viendrais avec plaisir.
Tous les moments ont été magnifiques : de l’appel d’Henri Emile à la victoire finale. Partager des moments avec ces joueurs qui avaient cette envie incroyable de gagner, c’était magique. Les Champions du Monde avaient été très avenants avec les nouveaux venus. A la mi-temps, Marcel Desailly venait parfois me demander des conseils sur des situations de match. Avec eux, il n’y avait pas de fierté mal placée. Ma seule grosse déception est d’avoir perdu le seul match que j’ai joué (ndlr : contre l’Australie 0-1). Certes je n’ai pas loupé mon match, mais ça ne suffit pas.
Propos recueillis par Thierry Lesage